Un infirmier qui sait swinguer - L'Infirmière Libérale Magazine n° 355 du 01/02/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 355 du 01/02/2019

 

MUSIQUE

SUR LE TERRAIN

REPORTAGE

Laure Martin  

À 56 ans, Laurent Locher, infirmier libéral à Dinan (Bretagne), partage son temps entre son métier de soignant et la musique. Guitariste du groupe de jazz manouche Vendredi Treize, il se produit régulièrement dans les festivals, les bars ou encore les médiathèques de sa région.

Dans la petite pièce attenante à la salle à manger de Laurent, le son des guitares et de la contrebasse retentit. L’heure est aux accords des instruments. C’est la première « répèt’ » de Vendredi Treize depuis les vacances de fin d’année. « Avec Nico et Pascal, nous nous retrouvons tous les mardis soir, souligne Laurent. Il est rare que nous devions annuler. » Le célèbre guitariste Django Reinhardt, en photo sur un guéridon, veille sur les trois complices. Car c’est le jazz manouche leur credo. La musique swingue depuis plusieurs minutes maintenant. Les musiciens ont le sourire aux lèvres, heureux de faire de nouveau danser leurs doigts sur les cordes pour reprendre leurs compositions. D’autant plus que « en dehors des répèt’, en ce moment, je n’ai pas trop le temps de faire de la musique, regrette Laurent. Sauf pendant les vacances ! J’apporte toujours une guitare. »

La complicité des trois membres du groupe est évidente. Voilà maintenant neuf ans qu’ils jouent dans les bars, festivals ou encore médiathèques de la région, des morceaux de leur composition ou des reprises. « Lors de nos représentations, c’est souvent Nicolas, l’autre guitariste, qui assure les solos. Il a une grande maîtrise technique et improvise facilement sur la grille d’accords. Il m’arrive aussi d’être soliste, sinon, je fais la pompe, je marque le rythme », explique Laurent.

Musicien passionné depuis l’adolescence

La musique fait partie intégrante de la vie de Laurent et ce, depuis son plus jeune âge. À 14 ans, il commence la guitare aux côtés d’un ami avec lequel il écoute les Beatles. « En 1977, lorsque j’étais au collège, on a monté un groupe, Les Lords, dont j’étais le bassiste, se souvient-il. C’était très sérieux pour moi, nous avons même enregistré un vinyle, ce qui n’a peut-être pas arrangé mes relations avec le système scolaire. » D’ailleurs, il quitte le lycée pour travailler comme assistant chez un vétérinaire, « car j’aimais beaucoup les animaux », reconnaît cet heureux maître d’une jeune beauceron et de deux chats. « J’y suis resté pendant environ quatre ans, raconte-t-il. Mais le vétérinaire avec lequel je travaillais m’a poussé à reprendre mes études. Je pensais devenir manipulateur radio mais j’ai aussi passé les concours d’infirmier après avoir obtenu un examen de niveau pour les concours des écoles paramédicales. » Et d’ajouter : « Dans ma famille, ma tante était infirmière libérale à Suresnes (Île-de-France) et il est vrai que j’ai toujours aimé les histoires qu’elle racontait sur son métier, son mode de vie. » Il intègre alors l’Institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) de Caen (Normandie) de 1985 à 1988. À cette période, il remplace pendant deux ans le bassiste d’un groupe de rock, Club 45, qui se produit dans les bars de la ville.

Un début professionnel en libéral

À la fin de ses études, pour des raisons financières, le CHU de Caen ne peut pas l’embaucher. Quoi qu’il en soit, le milieu hospitalier, qu’il a découvert pendant son cursus, ne l’attire pas. Sa tante lui propose alors d’assurer son remplacement en libéral au mois d’août, à Suresnes. « Un groupe de rock de la région parisienne m’a demandé de le rejoindre mais j’ai refusé, indique Laurent. Ma rencontre avec une patiente de ma tante m’a alors mis sur la voie de la musique classique. Elle était pianiste. Elle avait envie d’échanger et m’a fait découvrir Schubert, Brahms. Cela m’a beaucoup plu et d’ailleurs, cela m’est resté. » Après ce remplacement, il rejoint le service de pneumologie de l’hôpital Foch, à Suresnes. Il n’y reste qu’un an car avec Laurence, son épouse rencontrée dans la structure, ils ont des projets de voyage au Pérou. À leur retour, ils s’installent en Suisse, dans le canton du Valais, à Sion. « Ma femme a exercé en physiatrie et moi en gériatrie. Nous avons beaucoup profité des paysages helvètes. On a fait de la randonnée, de la marche en montagne. La première de nos trois filles est née là-bas. À l’époque, je n’ai pas joué beaucoup de musique, mais j’écoutais toujours autant de classique. »

De retour en France, en 1991, ils vont habiter à Dinard où Laurent effectue des remplacements en libéral tout en travaillant au bloc opératoire de la clinique de Saint-Malo. Ils partent ensuite dans le Trégor (nord de la Bretagne) pendant douze ans, où Laurent s’installe en libéral, en 1993, en tant qu’associé avec un infirmier avant d’intégrer un nouveau cabinet avec trois infirmières, en 1997. « Plus tard, ma femme, devenue infirmière de l’Éducation nationale, a obtenu sa mutation pour Dinan. Nous y sommes arrivés à l’été 2005 et j’ai racheté, en 2008, une patientèle à une infirmière libérale qui partait en retraite. » Désormais, il partage un cabinet avec trois autres infirmiers. « Nous avons deux tournées quotidiennes, explique-t-il. Nous sommes toujours deux à travailler et deux en repos. » Ce cabinet est situé au sein de la polyclinique de Dinan où exercent également des médecins, masseurs-kinésithérapeutes, diététiciens et psychologues. Depuis un an, Laurent est aussi conseiller à l’Ordre interdépartemental des infirmiers. « Je suis adhérent de la Fédération nationale des infirmiers (FNI) et c’est le syndicat qui m’a suggéré d’avoir un rôle de conseiller au sein de l’Ordre, raconte Laurent. Nous examinons des dossiers de confrères confrontés à des difficultés dans le cadre de leur exercice pour leur apporter notre aide. »

La découverte du jazz manouche

Lorsque ses trois filles sont encore petites, Laurent pratique peu la guitare. Il s’essaye néanmoins à la musique baroque, sans pour autant poursuivre. Et pendant toutes ces années, un vinyle le suit, celui de Django Reinhardt et Stéphane Grappelli. « J’essayais de l’écouter, mais je ne captais pas cette musique », reconnaît Laurent. C’est dans les années 2000, alors qu’il vit dans le Trégor, que Laurent croise le chemin de musiciens venus jouer du style manouche. « J’aimais beaucoup cette musique et tout s’est éclairci, s’enthousiasme-t-il. C’était vivant ! » Il s’inscrit à des stages, obtient des contacts, notamment celui d’un musicien de swing manouche, originaire de Saint-Brieuc avec lequel il décide de prendre des cours car, « techniquement, le style inventé par Reinhardt est très particulier », précise-t-il. Jusqu’à présent, Laurent était autodidacte. « Ce musicien de Saint-Brieuc m’a initié. C’est tout un univers qui s’est ouvert à moi, une autre sonorité. Même les instruments sont différents. Ce sont des guitares de luthiers dont la bouche [l’ouverture sur le dessus de la guitare, NDLR] est plus ou moins grande en fonction de la sonorité que l’on veut obtenir. » En 2006, Laurent organise un stage regroupant une dizaine de personnes et y rencontre Nicolas. Ils commencent à jouer ensemble et décident, en 2009, de monter leur groupe, Vendredi Treize, en référence au premier jour où ils ont répété et à une composition de Django Reinhardt. Un an plus tard, Pascal, le contrebassiste, les rejoint. « Nous formons un trio classique, mais il pourrait aussi y avoir une clarinette, un accordéon ou encore un violon », précise Laurent. Les trois musiciens ont déjà enregistré deux albums, en 2011 et 2016. « Nous avons eu l’envie de partager notre travail et nos souvenirs », reconnaît-il. Aujourd’hui, ils souhaitent approfondir un projet qui leur tient à cœur : des « concérences », à savoir un mélange entre un concert et une conférence pour expliquer et faire découvrir au public la vie de Django Reinhardt. Est-ce que Laurent aurait souhaité faire une carrière de musicien ? « Travailler en lien avec la musique, oui pourquoi pas, mais être musicien professionnel, je ne le pense pas. Ils ont un mode de vie qui n’est pas évident et difficilement compatible avec ma vision de la vie de famille. Dans le groupe, nous avons de la chance car nous parvenons à concilier notre passion pour la musique et nos métiers respectifs. » Et de conclure : « Je me demande si la place de la musique dans ma vie, que ce soit le jazz manouche, le rock ou le classique, ne m’est pas simplement indispensable pour continuer mon métier d’infirmier. Cela fait trente ans que j’exerce et je n’envisage pas vraiment autre chose avant la retraite - en dehors de changer de région - tant qu’il y aura de la musique. »