« La voiture de Sophie » - L'Infirmière Libérale Magazine n° 354 du 01/01/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 354 du 01/01/2019

 

LE BLOG

Christophe Malinowski  

Au mur du salon du service psychiatrique, l’horloge égrenait les secondes dans un silence qu’elle seule brisait. Accoudé à la fenêtre, monsieur A. regardait au loin, derrière la vitre embuée, l’hiver approcher, pas encore blanc, plutôt gris, plutôt sombre. Le jeune infirmier que j’étais avait rejoint cet homme triste, perdu dans ses pensées, pour partager cet instant avec lui en cette période difficile. Nous l’avions accueilli quelques jours plus tôt dans un état dépressif majeur. Il scrutait l’horizon.

« Là-bas, tout près de la colline, c’est la route de Sophie », m’avait-il expliqué. Elle prend ce chemin pour venir chez Maman. Avec un peu de chance, je verrai passer sa voiture ! » J’avais immédiatement été saisi par le sourire qui se dessinait à l’instant sur les lèvres de ce patient d’ordinaire abattu, au regard douloureux. Qui était cette Sophie qui l’éclairait soudain ?

Sophie, dont je n’ai jamais su le nom, était l’Idel qui, depuis des mois, soignait sa mère gravement malade avec qui il vivait. Chaque jour elle venait, par pluie et par vent, avec son sourire rassurant. En entrant dans la maison, un café préparé par monsieur A. l’attendait toujours. Avec deux sucres. Car c’est ainsi que Sophie aime son café, bien sucré.

C’est d’ailleurs quand il n’a plus préparé son café qu’elle s’est inquiétée. Car Sophie prenait soin de tous, autant des patients que de leur famille. Mon patient était un peu « vieux garçon », comme disaient les gens du village, très timide, presque phobique du monde extérieur et sans vie sociale. Alors sa mère, c’était toute sa vie. Effondré à l’idée de la perdre, il avait sombré. Inquiète et à force de confiance, Sophie l’avait convaincu puis accompagné elle-même jusqu’aux urgences, même s’il n’était pas officiellement son patient. Car les pompiers, c’était non, Sophie, l’infirmière bienveillante, c’était oui.

Depuis, il a quitté l’hôpital psychiatrique. Je ne sais pas ce qu’il est devenu et comment va sa mère. Mais chaque jour, en regardant par la fenêtre, bercé par les secondes de l’horloge, je guette la voiture de Sophie.

Je ne connais pas cette collègue infirmière mais qui sait, si un jour je la croise, je la remercierai d’avoir pris soin de mon patient et de nous l’avoir adressé.

Puis je lui servirai un café. Avec deux sucres.