La détersion des plaies chroniques - L'Infirmière Libérale Magazine n° 354 du 01/01/2019 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 354 du 01/01/2019

 

CAHIER DE FORMATION

Savoir

Adrien Renaud  

La détersion est un phénomène naturel indispensable au déroulement du processus de cicatrisation. Lorsque cette détersion physiologique est incomplète, la plaie est bloquée au stade inflammatoire. La détersion externe effectuée par le soignant occupe alors une place centrale dans la prise en charge des plaies chronicisées. Plusieurs techniques de détersion sont possibles.

LA DETERSION

Un phénomène naturel

La détersion physiologique est une phase essentielle du processus de cicatrisation des plaies. Durant cette phase, l’organisme élimine les divers débris nécrotiques et fragments de tissus dévitalisés issus de l’agression initiale ou du processus inflammatoire lui-même. Ce nettoyage du foyer lésionnel, essentiellement dû à l’action enzymatique microbienne, est indispensable à la poursuite du processus de réparation. Il engage le bourgeonnement progressif de la plaie.

Un soin de plaie

La détersion physiologique peut être incomplète et ne pas traiter l’ensemble des tissus dévitalisés présents dans la plaie. C’est la problématique rencontrée dans les plaies qui se chronicisent au niveau inflammatoire à cause d’un processus de cicatrisation bloqué à la phase de détersion. Dans ce cas, une détersion externe doit être mise en place par les soignants dans le cadre d’une cicatrisation dirigée.

RAPPEL SUR LES PLAIES ET LEUR CICATRISATION

Le processus de cicatrisation

Un processus physiologique

Lorsqu’une lésion survient au niveau d’un épithélium de la peau, d’une muqueuse ou d’un organe, l’organisme enclenche naturellement un processus de cicatrisation qui vise d’abord à arrêter l’hémorragie, puis à protéger, assainir et refermer la plaie, jusqu’à reproduire le plus possible le tissu initial (voir encadré p. 38).

Trois grandes phases

Toute plaie suit une évolution en trois grandes phases successives avant de se fermer.

→ Une phase inflammatoire et vasculaire : la phase vasculaire permet l’arrêt du saignement de la plaie, la formation d’un caillot de fibrine, et l’activation et la migration de cellules intervenant dans la détersion lors de la phase suivante, la phase inflammatoire proprement dite. C’est durant cette phase qu’a lieu la détersion physiologique, qui a pour but le « nettoyage » du lit de la plaie par l’élimination des tissus nécrotiques et fibrineux qui sont des obstacles au déroulement du processus de cicatrisation, et qui permet aussi de diminuer la charge bactérienne. Par son action, la détersion fait passer la plaie de la phase inflammatoire à la phase suivante de bourgeonnement.

→ Une phase proliférative, in-cluant le bourgeonnement et l’épidermisation : cette phase ne peut débuter que si les tissus nécrosés ont été complètement éliminés et à condition que le « sous-sol » de la plaie soit suf-fisamment vascularisé. Cette phase permet la réparation tissulaire dermique et épidermique et aboutit à la « réépithélialisation » de la plaie.

→ Une phase de remodelage et de maturation de la cicatrice, finalisation du processus de cicatrisation.

Les plaies chroniques

Une cicatrisation retardée

Une plaie est dite chronique lorsque le délai de sa cicatrisation est supérieur à quatre à six semaines. Ce retard est forcément lié à une défaillance des mécanismes naturels de la cicatrisation qui doit faire rechercher les facteurs impliqués localement ou au plan général. Les plaies chroniques regroupent notamment les escarres, les ulcères de jambe, les plaies du pied diabétique et les plaies oncologiques, auxquelles s’ajoutent les moignons d’amputation et les brûlures étendues en cas d’allongement des délais de cicatrisation.

Les facteurs retardant la cicatrisation

La chronicisation d’une plaie est due à la perturbation du processus cicatriciel normal par des facteurs qui prolongent la phase inflammatoire. Ils doivent être identifiés et traités pour obtenir la guérison de la plaie.

→ Facteurs liés à la plaie :

- étendue de la perte de substance ;

- profondeur, localisation et ancienneté de la plaie, récurrence ;

- aspect du lit de la plaie : taux de fibrine supérieur à 50 %, taux de tissu nécrosé, présence de calcifications ;

- traitements locaux antérieurs : absence de compression des ulcères veineux, absence de mise en décharge du pied diabétique ou de l’escarre… ;

- forte colonisation bactérienne.

→ Facteurs liés au patient :

- âge (cicatrisation plus rapide chez un sujet jeune), sédentarité, hygiène de vie insuffisante ;

- stress important et répété (stimulation sympathique avec libération de substances vasoconstrictives) ;

- état de dénutrition, qui altère toutes les phases de la cicatrisation et augmente le risque d’infection ;

- niveau de précarité, état dépressif, non-compliance aux traitements…

→ Pathologies associées :

- les pathologies vasculaires, telles une hyperpression veineuse, une insuffisance artérielle ou une atteinte microcirculatoire, qui entraînent une hypoperfusion tissulaire ;

- l’insuffisance rénale chronique : altération du collagène et diminution du tissu de granulation ;

- les déficits immunitaires : altération de la qualité de la phase inflammatoire et de la détersion, moindre résistance aux infections ;

- les troubles de la coagulation et les pathologies hématologiques qui affectent la formation du caillot. Les états d’hypercoagulabilité et les syndromes myéloprolifératifs entraînent aussi des retards de cicatrisation ;

- le diabète : diverses études ont montré l’impact de l’hyperglycémie sur le processus de cicatrisation en altérant les fonctions de cellules impliquées dans ce processus comme les fibroblastes, les cellules endothéliales et les kératinocytes(1).

→ Traitements associés :

les corticoïdes altèrent la phase inflammatoire initiale, avec un impact plus important lorsqu’ils sont administrés à forte dose et précocement. Les corticoïdes locaux inhibent la phase de bourgeonnement des plaies ;

les anti-inflammatoires non-stéroïdiens entraînent une vasoconstriction et suppriment la réponse inflammatoire. Ils diminuent la contraction des plaies et augmentent le risque infectieux ;

les traitements par irradiation ou radiothérapie provoquent une hypoperfusion du tissu irradié. Ils accentuent l’atrophie de la peau et la fibrose ;

la chimiothérapie anticancéreuse met les patients en aplasie (diminution de la production de cellules sanguines) et rend la cicatrisation difficile, surtout si le traitement est administré en phase inflammatoire. L’affaiblissement du système immunitaire entraîne un risque de surinfection de la plaie.

PRISE EN CHARGE D’UNE PLAIE CHRONIQUE

Modalités du traitement et objectifs thérapeutiques dépendent de l’évaluation préalable du contexte médical et de l’évolution de la plaie. En 1983, la Wound Care Consultant Society (spécialisée dans les soins de plaies) propose un classement des plaies en fonction de leur couleur. Cette évaluation colorielle permet de repérer la phase de cicatrisation de la plaie pour adapter la prise en charge (lire l’encadré p. 41).

Traitement des facteurs de retard de cicatrisation

Souvent abordée comme un soin localement limité à la plaie, la prise en charge d’une plaie relève en fait d’une prise en charge globale du patient, particulièrement dans les cas de plaies chroniques. Les soins locaux de la plaie ne pourront aboutir à une guérison que si les facteurs de retard de cicatrisation qui bloquent le processus de cicatrisation sont pris en charge, qu’il s’agisse, par exemple, de la mise en dé-charge des escarres ou des plaies du pied diabétique, ou de la revascularisation des plaies ischémiques.

Traitement des facteurs associés

Un facteur de retard de cicatrisation peut en cacher un autre. Par exemple, une escarre du talon chez une personne âgée peut être à la fois révélatrice d’une hyperpression localement prolongée et d’une artériopathie des membres inférieurs qui évolue de façon silencieuse et indolore chez une personne qui ne marche pas beaucoup. Ainsi, une escarre talonnière profonde qui ne guérit pas malgré une mise en décharge bien observée doit faire rechercher une artériopathie sous-jacente.

TRAITEMENT LOCAL D’UNE PLAIE CHRONIQUE

À la phase de détersion

Objectifs

Lorsque la détersion enzymatique naturelle s’avère insuffisante, elle est complétée par une détersion externe, effectuée par le soignant (infirmière, médecin ou chirurgien). Première étape de la cicatrisation dirigée, la détersion poursuit un double objectif :

→ le parage de la plaie, c’est-à-dire la préparation du lit de la plaie par le nettoyage des fragments de tissus dévitalisés présents dans la plaie qui bloquent le processus cicatriciel et entraînent un risque infectieux important ;

→ le maintien d’un milieu humide stimulant la prolifération de tissus sains.

Choix de la technique de détersion

Lorsque le contexte de la plaie est bien identifié, et après avoir dépisté et si possible corrigé les contre-indications à la détersion (dénutrition profonde, état vasculaire précaire, plaie cancéreuse, etc.), il revient à l’Idel, en collaboration avec le médecin traitant, de déterminer si une détersion active peut être initiée rapidement et s’il vaut mieux privilégier une détersion autolytique, mécanique ou chirurgicale. Le choix de la technique de détersion utilisée dépend notamment :

→ de l’aspect de la plaie elle-même (localisation, étendue…) ;

→ du contexte de prescription et d’utilisation (ville ou hôpital) ;

→ du niveau de compétence de l’Idel ;

→ de la possibilité de contrôler la douleur liée au soin.

Principales techniques de détersion

Trois techniques de détersion sont le plus souvent envisagées : la détersion autolytique, mécanique (effectuée par l’infirmière) ou chirurgicale. À domicile, l’infirmière peut pratiquer la détersion mécanique et/ou la détersion autolytique par des pansements adaptés. Le plus souvent, ces deux méthodes de détersion sont associées. D’autres techniques complémentaires ou alternatives sont parfois évoquées, comme par exemple la larvothérapie, qui emploie les larves de certaines mouches qui, dès l’éclosion de l’œuf, se nourrissent des tissus morts nécrosés.

La détersion autolytique

Elle relève de l’utilisation de pansements actifs qui renforcent la détersion enzymatique naturelle en maintenant un milieu humide et en retirant les débris nécrosés et la fibrine. Les recomman-dations de la Haute Autorité de santé (HAS) se limitent aux hydrocolloïdes à toutes les phases de la cicatrisation, et aux hydrogels et alginates en phase de détersion(2). En pratique, les pansements hydrofibres et les hydrocellulaires sont aussi utilisés. Et bien que les hydrocellulaires « classiques » ne soient pas indiqués en phase de dé-tersion, certains pansements détersifs comme les « irrigo-absorbants » sont classés dans les hydrocellulaires dans la liste des produits et prestations remboursables (LPPR).

En cas de plaie sèche

→ Les hydrogels sont particulièrement adaptés à la détersion des plaies sèches. Ils hydratent les tissus nécrotiques secs et la fibrine en distillant progressivement les 70 à 90 % d’eau qui les composent. Ils peuvent être laissés en place entre 48 et 72 heures. Ils sont contre-indiqués sur les plaies infectées ou à risque d’infection.

Remarques :

- il est conseillé de protéger le pourtour de la plaie avec une pâte à l’eau avec les hydrogels contenant du chlorure de sodium hyperosmotique (exemple : Hypergel) pour éviter la survenue d’une irritation ;

- la forme gel est intéressante dans les cas de plaies profondes et/ou cavitaires (exemples : Hydrosorb gel, Purilon gel). Appliqué en quantité suffisante (5 mm d’épaisseur), le gel est recouvert d’un pansement peu absorbant (hydrocolloïde mince, film polyuréthane).

→ Les pansements irrigo-absorbants (exemple : Hydroclean) agissent comme les hydrogels mais en diffusant une solution de Ringer.

En cas de plaie peu ou modérément exsudative

Les hydrocolloïdes peuvent être utilisés à toutes les phases de la cicatrisation (exemples : Comfeel Plus, Duoderm, Hydrocoll). C’est un réel avantage car ces différentes phases se chevauchent au cours de la cicatrisation. En phase de détersion, il est préconisé de changer l’hydrocolloïde toutes les quarante-huit heures. Lorsque l’exsudation impose de changer le pansement tous les jours, il vaut mieux opter pour des pansements plus absorbants, indiqués pour les plaies très exsudatives.

En cas de plaie très exsudative

→ Les alginates sont des pansements naturels à base d’algues avec une forte capacité d’absorption (exemples : Biatain alginate, Urgosorb). En contact avec l’exsudat, ils enferment les débris et les bactéries. Particulièrement adaptés pour les plaies très exsudatives, ils doivent être évités sur les plaies peu exsudatives à cause du risque d’assèchement et sur les plaies sèches ou nécrosées. En cas d’adhésion avec une plaie trop sèche, imbiber le pansement de sérum physiologique avant de le retirer pour éviter que cela soit douloureux.

→ Les hydrofibres sont majoritairement composés de fibres de carboxyméthylcellulose (CMC) qui se transforment en gel cohésif au contact de l’exsudat (exemples : Aquacel Extra, Biosorb, UrgoClean). Ils ont un fort pouvoir absorbant et doivent être évités sur les plaies sèches.

→ Les hydrocellulaires superabsorbants sont indiqués en phase de détersion des plaies très exsudatives (exemples : RespoSorb Super, Vliwasorb Pro, Tegaderm Superabsorber). Ils sont composés de plusieurs couches, dont une couche hydrophile contenant des polymères superabsorbants. Ils sont caractérisés par leur forte capacité d’absorption et de rétention des exsudats, y compris lors d’un traitement compressif associé. La couche en contact avec la plaie permet le passage des exsudats vers le coussin absorbant. La couche externe « déperlante » permet, quant à elle, les échanges gazeux.

La détersion mécanique

En pratique, l’infirmière procède à la détersion mécanique (ou débridement) avec des compresses, curettes, pinces à dis-séquer, ciseaux ou bistouri. L’acte de détersion mécanique nécessite une bonne connaissance du contexte médical de la plaie et une maîtrise du geste (voir la partie « Savoir faire », p. 34).

La détersion chirurgicale

Confiée à un chirurgien, la détersion chirurgicale est indiquée pour(2) :

→ la détersion des grandes plaies ou des plaies complexes, qui peut être associée à un traitement par pression négative (voir la partie « Savoir faire », p. 39) ;

→ le traitement d’une infection, par exemple en présence d’un abcès ou d’une ostéite ;

→ la prise en charge en un temps : détersion et fermeture chirurgicale par greffe ou lambeaux ;

→ la gestion de la douleur lors-qu’une anesthésie générale ou loco-régionale est nécessaire.

Le recours à la détersion chirurgicale peut être également justifié pour des plaies présentant une surface trop importante ou de vastes décollements, pour des plaies difficilement accessibles à la détersion mécanique par l’infirmière ou lorsque cette détersion présente un risque pour des structures anatomiques sous-jacentes.

À la phase de bourgeonnement et d’épidermisation

Durant la phase de bourgeonnement et jusqu’à l’épidermisation de la plaie, l’infirmière va :

→ réguler le taux d’humidité de la plaie et des berges grâce à une large gamme de pansements « actifs » selon la théorie de la cicatrisation en milieu humide, censée favoriser l’activité des cellules intervenant dans le processus de cicatrisation(3) ;

surveiller la qualité du bourgeonnement et l’état de la peau périlésionnelle(3).

(1) Blandine Tramunt, « Effet de l’hyperglycémie sur la cicatrisation », Revue francophone de cicatrisation, avril-juin 2018.

(2) Assurance maladie, « Plaies chroniques. Prise en charge en ville », octobre 2015.

(3) Voir « Les plaies chroniques », L’Infirmière libérale magazine, n° 291, avril 2013.

L’évaluation colorielle de la plaie

La classification « Noir - Jaune - Rouge » est un modèle simple utilisable pour toutes les plaies sauf pour les brûlures. La couleur de la plaie informe sur le stade de la cicatrisation et permet de déterminer les objectifs thérapeutiques des soins. Une plaie présentant plusieurs couleurs (mixte) implique de traiter en priorité le facteur le plus dérangeant : les tissus nécrosés (noir) et la fibrine (jaune).

→ La phase noire révèle la présence de tissus nécrosés noirs, généralement secs, sur lesquels une plaie ne peut cicatriser. Des signes d’inflammation sont possibles. Le traitement consiste au débridement de la nécrose (de préférence avec un bistouri).

→ La phase jaune correspond à une plaie exsudative et peut être le signe d’une infection. Le traitement vise à nettoyer l’excès d’exsudat qui constitue un foyer de bactéries et empêche la guérison au moyen d’une curette et de pansements absorbants.

→ La phase rouge indique que le bourgeonnement s’opère. Le traitement consiste à protéger le tissu de granulation vulnérable de l’assèchement et des dégâts mécaniques. Les pansements sont adaptés pour entretenir un microclimat humide stimulant la guérison.

→ La phase « rosée » correspond à la phase d’épidermisation de la plaie, qui se recouvre d’un épithélium fragile. Elle se distingue de la phase précédente granuleuse par un aspect nacré.