Un procès gagné - L'Infirmière Libérale Magazine n° 353 du 01/12/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 353 du 01/12/2018

 

JURIDIQUE

L’EXERCICE AU QUOTIDIEN

Olivier Blanchard  

Confrontée à un patient violent, Delphine a dû choisir entre assurer sa sécurité ou ses obligations légales. Le patient a porté plainte pour rupture de prise en charge… mais le juge a donné raison à l’Idel.

« L’histoire remonte à quelques mois*. À la suite de menaces violentes et répétées d’un patient diabétique atteint d’une pathologie invalidante, j’ai décidé, pour nous protéger, ma collaboratrice et moi, de confier cette prise en charge à des collègues. Mais le patient en a vite changé à nouveau. Quelques semaines plus tard, sans surprise, j’ai reçu un recommandé précisant qu’il avait porté plainte contre moi. Dans le doute, j’avais déjà pris contact avec un avocat, qui a échangé quelques courriers avec ce patient. En plus de l’abandon de soins, celui-ci me reprochait d’avoir “mis sa vie en danger”. Il s’appuyait ainsi sur de tous petits incidents en inventant des conséquences désastreuses. Par exemple, je me serais trompée d’une unité dans une dose d’insuline, entraînant une hospitalisation. Ou encore, j’aurais fait tomber sa femme par négligence. Il me rendait aussi responsable des soins de ma collègue qui, par exemple, n’aurait pas “brouillé” le code de la boîte à clés, ce qui aurait, une nouvelle fois, mis sa vie en danger car les clés étaient accessibles à tous les passants. La première audience a été fixée quelques mois plus tard mais je ne m’y suis pas rendue. Comme la loi l’autorise, mon avocat s’y est présenté seul. J’ai senti qu’il ne fallait pas que j’aille aux audiences; par fierté ou par amertume, mais aussi pour signifier au patient que sa démarche n’avait pas de sens. Les audiences ont été repoussées à plusieurs reprises, et j’ai su que son propre avocat tentait de le dissuader de continuer. Mais il s’est entêté et le jugement a été rendu au tribunal d’instance de Bordeaux en août dernier. Le juge a débouté le patient de toutes ses demandes car, d’une part, il n’apportait aucune preuve du lien entre mes soins et les conséquences décrites, et, d’autre part, parce que je ne peux être tenue responsable des soins de ma collègue. Et surtout parce qu’avec les mains courantes et la lettre de fin de soins remise par huissier, j’avais des preuves irréfutables de la succession des faits et de son agressivité. Au final, le patient a été condamné à me rembourser mes frais de justice et à me verser 300 euros pour procédure abusive. Je ne verrai probablement jamais cet argent car le patient vient d’être hospitalisé, mais c’est tout de même important pour moi d’avoir été reconnue dans mes droits et d’entendre dire que j’avais fait ce qu’il fallait. »

* Voir ILM n°345 de mars 2018, p. 63.

Me Gilles Devers, ancien IDE, avocat et enseignant en droit médical

« Le tribunal a très bien saisi le contexte de cette rupture des soins. Le texte de référence est l’article R. 4312-12 du Code de la santé publique : “Si l’infirmier se trouve dans l’obligation d’interrompre ou décide de ne pas effectuer des soins, il doit, sous réserve de ne pas nuire au patient, lui en expliquer les raisons, l’orienter vers un confrère ou une structure adaptée et transmettre les informations utiles à la poursuite des soins”. Or, l’infirmière avait parfaitement respecté l’esprit de ce texte. Une Idel n’est pas tenue de maintenir une relation de soins qui n’a plus de sens, notamment parce qu’elle est marquée par l’irrespect et la violence. La violence commence avec le comportement, sans attendre le mauvais geste. Au vu de ce qui est écrit, elle aurait d’ailleurs pu rompre la relation plus tôt. Notons aussi que, dans une procédure, la tenue du dossier, qui est un devoir professionnel, devient aussi une aide. »