Mouvements infirmiers, peut mieux faire ! - L'Infirmière Libérale Magazine n° 353 du 01/12/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 353 du 01/12/2018

 

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ACTUALITÉ

Adrien Renaud  

La profession infirmière était dans la rue le 20 novembre dernier. En cause notamment, le plan “Ma santé 2022”, qui ferait la part trop belle aux médecins et parlerait trop peu des autres soignants. Une mobilisation peu suivie qui fait pâle figure face aux 100 000 infirmières qui étaient dans la rue en 1988.

Des mots d’ordre multiples et hétéroclites. Une colère sourde et partagée. Un profond sentiment de déclassement. Des manifestations infirmières ont eu lieu sur tout le territoire le 20 novembre à l’appel de seize associations et organisations syndicales. Un événement loin d’être inédit et qui traduit le ras-le-bol des soignants. Pourtant, la marée blanche attendue n’était pas au rendez-vous. À Paris, une bonne centaine de personnes se sont massées dans le froid, devant le ministère de la Santé. Les autres manifestations en région n’ont pas excédé en nombre la mobili-sation parisienne. Ce qui illustre une triste vérité : historiquement, peu de mouvements infirmiers portent leurs fruits.

Le bon vieux temps

À l’automne 2016, par exemple, dix-sept organisations infirmières avaient appelé à manifester. « On était très mobilisés contre le mépris affiché par le gouvernement de l’époque », se souvient Nathalie Depoire, présidente de la Confédération nationale infirmière. Mais les résultats ont été décevants. « C’est vrai qu’entre 2016 et aujourd’hui, il ne s’est pas vraiment passé grand-chose », reconnaît Catherine Kirnidis, présidente du Syndicat des infirmières et infirmiers libéraux.

Pour trouver une mobilisation qui a eu de fortes retombées, il faut remonter dans le temps. « La référence, c’est le grand mouvement de 1988 », explique Nathalie Depoire. Cent mille blouses blanches étaient dans la rue, le 25 octobre 1988, et la mobilisation s’est poursuivie de manière sporadique mais déterminée pendant plusieurs mois. Résultat : les infirmières ont obtenu l'abrogation du décret Barzach, qui ouvrait l’accès aux études d’infirmières aux non-bacheliers, ainsi que des revalorisations salariales substantielles et de meilleures perspectives de carrière pour les Idels.

L’unité introuvable

La clé de cette réussite ? Une véritable union sacrée des différentes composantes de la profession d’une part, et une capacité à se mobiliser sur la durée, de l’autre. Deux éléments qui ne semblent pas faire partie des ingrédients de la situation actuelle… Les revendications énumérées par les organisateurs de la mobilisation du 20 novembre tiennent en effet davantage de l’inventaire à la Prévert : réactualisation du décret d’actes et d’exercice de 2002, réingénierie des diplômes d’Ibode et de puériculture, reconnaissance de l’expertise des Iade, augmentation des budgets hospitaliers, déblocage des négos conventionnelles avec les Idels…

Il y en a pour tous les goûts, et il reste difficile de trouver une cohérence à ce mouvement. « Je ne pense pas qu’il y ait une unité de la profession infirmière, décrypte Ivan Sainsaulieu, sociologue et enseignant à l’université de Lille. Quand on demande aux médecins de définir un “nous”, ils n’ont aucune difficulté à dire “Nous, c’est les médecins”. Ce n’est pas le cas des infirmières. »

Mais ce manque d’unité pourrait être compensé par une mobilisation sur la durée, ce qui impliquerait, pour les salariées, de perdre des journées de salaire, et pour les Idels, de fermer régulièrement le cabinet. Or, cela fait bien longtemps qu’on n’a pas vu de mouvement infirmier perdurer au-delà d’une journée. Pour Ivan Sainsaulieu, la mobilisation ne peut durer que si elle dépasse la barrière professionnelle et qu’elle s’étend à l’ensemble des soignants. « Sinon, c’est rikiki », avertit le sociologue.

On y croit, pourtant !

Mais du côté des leaders de la contestation, on veut croire qu’une mobilisation sur la durée est possible. « Il y a des dénominateurs communs qui touchent notre cœur de métier », affirme Nathalie Depoire, avant de citer notamment la création des assistants médicaux prévue par le plan « Ma santé 2022 », « une véritable provocation », selon elle. Elle reconnaît toutefois que « les infirmières ne sont pas assez syndiquées », ce qui constitue, selon elle, « un problème » pour faire durer les mobilisations. « Il va falloir qu’on arrive à garder la pression », prévient Catherine Kirnidis, qui reconnaît toutefois que la multiplicité des structures représentant les IDE rend la durabilité du mouvement plus compliquée. « Plus on est nombreux, plus il est difficile de contenter tout le monde », analyse-t-elle, tout en espérant que la profession réussira à « se servir de cette diversité comme d’une richesse ».

En définitive, tout dépendra de la réponse à la manifestation du 20 novembre… La ministre de la Santé ayant annoncé, à la veille de la journée de mobilisation, une reprise des négociations conventionnelles des Idels, interrompues depuis l’été, peut-on déduire que le malaise infirmier a été entendu, du moins en partie ? Pas sûr, estiment les membres de la délégation qui a été reçue par « un conseiller technique » au ministère le jour de la mobilisation, et qui dénoncent l’absence de réponse concrète des autorités. Une demande d’audience a été transmise au président de la République. Mais la question reste la même : la voix des infirmières sera-t-elle entendue ?

DES ABSENCES REMARQUÉES

Seize organisations appelant à la mobilisation le 20 novembre, certes… Pourtant quelques bannières manquaient à l’appel. Notamment, celle de l’Ordre national des infirmiers (ONI). « Nous écoutons nos consœurs et nos confrères, tient à préciser Patrick Chamboredon, son président, qui n’a pas appelé à la mobilisation. Ce n’est pas dans les missions de l’Ordre. » Dans un communiqué publié à la veille des manifestations, l’ONI a tout de même « invité » les pouvoirs publics à « entendre l’appel » des IDE. La Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi) était aussi absente. « Nous préférons être dans la proposition avant d’être dans la mobilisation, indique Ludivine Gauthier, qui était encore présidente au moment où nous l’avons contactée. Nous sommes en lien avec les autres organisations, mais nous n’avons pas envie de faire partie d’une mobilisation à l’heure où nous sommes engagés dans des concertations. »