Faut-il revoir les règles de communication ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 353 du 01/12/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 353 du 01/12/2018

 

POINT(S) DE VUE

DÉBAT

Véronique Hunsinger  

Dans une étude publiée en juin, le Conseil d’État suggérait que les professionnels de santé puissent communiquer davantage d’informations au public, dans le respect des principes déontologiques.

Les règles en vigueur sur la communication des Idels vers les patients sont-elles trop restrictives ?

Patrick Chamboredon : Elles ne sont pas restrictives uniquement pour les Idels, elles le sont pour tous les professionnels de santé. C’est ce que met en lumière ce rapport du Conseil d’État (1), qui avait d’ailleurs auditionné l’Ordre infirmier. Nous sommes clairement en train de changer de paradigme. Il faut que les professionnels de santé puissent mieux informer, notamment sur leurs diplômes, leur parcours professionnel et tout ce qui peut être utile au patient pour choisir son soignant. C’est une question qui est apparue au niveau européen et qui a été soulevée en premier lieu par les soignants belges. Les vétérinaires ont d’ailleurs déjà fait évoluer leur code de déontologie.

Concrètement, que compte faire l’Ordre infirmier sur ce sujet ?

P. C. : Une commission a été mise en place pour s’occuper de la révision du code de déontologie infirmier, ce qui est un travail sur le très long cours. Les questions relatives à la communication vers les patients en font partie. Nous allons donc être amenés à faire des propositions pour être davantage en phase avec les besoins d’information du patient. Cependant, à la différence de l’Ordre des médecins, l’ONI ne valide pas les diplômes. Notre rôle est donc un peu différent. D’autre part, il est vrai que les spécialités infirmières concernent surtout l’hôpital et moins la ville. Enfin, s’agissant des infirmières de pratique avancée, il sera évidemment pertinent d’expliquer au public de quoi il s’agit, même si aujourd’hui, on ne sait pas encore si un modèle économique leur permettra d’émerger réellement en ville.

Pensez-vous qu’il faille faire évoluer cette réglementation ?

Alexis Vervialle : Le principe de non-publicité est un bon principe. En revanche, il est évident que les patients manquent d’informations, en particulier sur les tarifs des professionnels de santé libéraux. Ainsi, nous ne sommes pas contre l’idée de faire évoluer la loi mais il faudra consulter les patients pour réfléchir aux types d’informations nouvelles qui pourront être affichées. Le Conseil d’État dit aussi que si on posait un principe de libre communication des informations par le praticien au public, ce serait sous réserve des règles gouvernant leur exercice professionnel. Cela nous semble important qu’il puisse y avoir un contrôle par les Ordres.

La pratique avancée pourrait-elle, par exemple, faire partie de ces informations ?

A. V. : Oui, pourquoi pas. On a tout intérêt à faire de la pédagogie sur ce type d’exercice pour que les patients puissent comprendre en quoi la pratique avancée aura un impact sur leur prise en charge. En ville, les pratiques avancées se feront essentiellement dans les maisons de santé. Or, certaines d’entre elles commencent à avoir des sites web vitrine. Cela peut être un support utile pour faire découvrir ce pan de leur activité. En revanche, s’agissant des compétences classiques des Idels, je ne pense pas qu’il y ait besoin de davantage d’informations, d’autant que les infirmières sont très polyvalentes et ne sont pas censées opérer de sélection dans leur patientèle.

Si on libéralisait les règles, quelles seraient néanmoins les limites à poser ?

P. C. : Il faudra trouver un point d’équilibre entre la publicité et l’information du public. La ligne rouge est que les professionnels de santé ne doivent pas entretenir une relation de type commerciale avec leurs patients. Rappelons que l’article 76 du code de déontologie dit que la profession infirmière ne peut et ne pourra jamais être pratiquée comme un commerce. Nous appelons d’ailleurs aussi les Idels à la vigilance à propos de la multiplication des offres de services en ligne. Il faut insister sur le fait que l’Ordre ne labellise aucun service privé de ce type. Par ailleurs, la concurrence doit être juste et loyale : tous les acteurs d’un même champ d’activité doivent être soumis aux mêmes règles, qu’il s’agisse de professionnels dotés d’une déontologie, de structures ou de sociétés.

L’ONI appelle-t-il les Idels à aller sur Internet comme le préconise l’Ordredes médecins ?

P. C. : L’Ordre a déjà fait évoluer son code de déontologie en intégrant la possibilité de disposer d’un site internet. Il a aussi établi, en septembre 2017, une charte des sites d’infirmiers et des recommandations relatives aux plateformes de services en ligne concernant les infirmières. Ce sont des recommandations pour les professionnelles qui souhaitent le faire mais nous ne sommes pas en train de dire aux Idels qu’il faut absolument y aller car nous savons que c’est quelque chose qui prend du temps.

Si la communication des professionnels est très règlementée, les patients peuvent, eux, donner librement leur avis sur les soignants sur le Web…

A. V. : Alain-Michel Ceretti, président de France Assos santé, a écrit un rapport sur ce sujet (2). Notre position est de dire qu’il est très difficile d’avoir des informations sur la qualité des soins. C’est pourquoi nous plaidons pour la création d’une plateforme nationale portée par les pouvoirs publics, qui permettrait d’aller plus loin dans l’évaluation des soins par les patients. Cela existe déjà en partie pour l’hôpital, nous voudrions la même chose pour les soins de ville. C’est une proposition qui a d’ailleurs été reprise dans le plan du gouvernement « Ma santé 2022 ». Nous préférons une évaluation structurée des soins par les patients qu’une évaluation sauvage à travers des avis sur les professionnels publiés sur Google hors de tout cadre.

(1) Rapport consultable sur : bit.ly/2PoGZKk

(2) Rapport « Inscrire la qualité et la pertinence au cœur des organisations et des pratiques », consultable sur : bit.ly/2DC5Nbf

le contexte

Dans un rapport * publié au mois de juin sur les « règles applicables aux professionnels de santé en matière d’information et de publicité », le Conseil d’État a suggéré de supprimer l’interdiction de publicité directe ou indirecte qui figure dans le code de la santé publique et de poser à la place un « principe de libre communication des informations des praticiens au public sous réserve du respect des règles gouvernant leur exercice professionnel ». Il estime aussi que les professionnels de santé devraient pouvoir mieux informer leurs patients sur leurs compétences, leurs pratiques professionnelles, leurs parcours et leurs conditions matérielles d’exercice et que les Ordres devraient les encourager à communiquer.

* Rapport consultable via le lien raccourci bit.ly/2PoGZKk