Comment financer la dépendance ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 350 du 01/09/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 350 du 01/09/2018

 

Point(s) de vue

Interview

Laure Martin  

L’accroissement rapide des effectifs de personnes âgées - d’ici 2050, les plus de 85 ans seront passés de 1,5 à 4,8 millions (1) -, et notamment des seniors en perte d’autonomie, pose la question de leur prise en charge. Sur le plan économique, mais pas seulement.

Face à la hausse du nombre de personnes âgées et de la dépendance, faut-il créer [comme le souhaite le président Macron] une cinquième branche de la Sécurité sociale (2) ?

Marie-Ève Joël : Dans l’absolu, cette idée est très bonne. Mais, politiquement, cela sera difficile à mettre en place car il y a beaucoup d’âgisme dans notre société et les arbitrages nécessaires à la création de cette cinquième branche ne sont pas acquis. Les problèmes liés aux formes d’exclusion, au rejet du fait de l’âge sont loin d’être réglés. L’état d’esprit actuel est de dire que la génération du baby boom [née après la Seconde Guerre mondiale] a bénéficié de la croissance, de l’absence de chômage, des faibles prix de l’immobilier, et il est donc considéré comme logique, au sein de notre société, qu’une partie de la dépense liée à la perte d’autonomie soit payée par cette génération. Bien sûr que les personnes âgées peuvent contribuer à la prise en charge de leur dépendance avec leur capital, mais cela revient à sacrifier une partie de leur héritage. C’est loin d’être simple. Je grossis le trait, mais la société actuelle souhaite cibler davantage son action sur les jeunes.

Quelle est, selon vous, la meilleure solution pour financer la dépendance et le vieillissement en France ?

M.-È. J. : Personne n’envisage facilement de pouvoir un jour se retrouver en situation de perte d’autonomie, de s’assurer en conséquence et à un niveau suffisant. C’est pourquoi l’assurance complémentaire devrait être obligatoire. Concernant la journée de solidarité, l’idée vient d’Allemagne où, à l’issue de très longues négociations entre syndicats et gouvernement, il a été proposé de sacrifier une journée de congé. Mais, dans le contexte français, il n’y a pas eu d’adhésion unanime qui pourrait justifier la mise en place d’une seconde journée [une piste avancée par le président de la République, mais que la ministre de la Santé ne semble pas privilégier plus que d’autres modes de financement].

L’assurance privée, n’est-ce pas inégalitaire dans un système solidaire ?

M.-È. J. : Si, bien entendu, mais notre système l’est déjà, inégalitaire, il ne faut pas se leurrer ! En France, le problème de la prise en charge de la dépendance ne concerne pas les gens considérés comme “riches”, qui sont censés pouvoir prendre en charge eux-mêmes les dépenses liées à leur dépendance, ni les plus défavorisés, pris en charge par l’aide sociale. Le gros du problème touche les personnes qui se situent dans l’entre-deux, c’est-à-dire à la fois pas assez riches pour financer le reste à charge sans appauvrissement notable, et trop riches pour bénéficier de l’aide sociale. Des solutions financières plus souples, davantage diversifiées doivent être mises en place. Par exemple, rendre le patrimoine de la personne âgée plus liquide et lui permettre d’en consacrer une partie au financement de sa perte d’autonomie sans se séparer brutalement de ses actifs immobiliers.

Pensez-vous à d’autres solutions économiques ?

M.-È. J. : Compte tenu de la croissance de la population âgée du fait du baby boom, il existe plusieurs manières de gérer la situation sur le plan économique. La croissance de la prise en charge collective implique que les choix de solidarité en matière de perte d’autonomie soient clairs. Augmenter la prise en charge collective, c’est arbitrer par rapport à d’autres dépenses de protection sociale. Il faudra probablement cibler davantage les personnes à prendre en charge et la nature de l’aide. Jusqu’à présent, l’aide publique concernait toutes les personnes dépendantes, en relation avec le niveau de dépendance.

Au-delà de la question du financement, comment prévenir la dépendance ?

M.-È. J. : Il faudrait faire en sorte que les personnes âgées puissent sortir de chez elles, en encourageant la mobilité. Le Japon est un exemple souvent cité en raison du nombre de bancs et de toilettes propres qu’on trouve dans les villes et qui permettent aux personnes âgées de sortir sans appréhension. Vouloir aider les personnes dépendantes tout en leur disant de ne pas sortir de chez elles et de se reposer est un contresens qui induit un risque de dépression et la nécessité de devoir augmenter les aides individuelles. Il y a toute une série de positions collectives qui ne sont pas adaptées au maintien à domicile. Si la société devient beaucoup plus inclusive à l’égard des personnes âgées, par exemple avec des escaliers roulants dans tous les métros, des bus dont l’entrée s’abaisse, des trains au niveau du quai, des toilettes nombreuses, propres et accessibles de plain-pied, cela facilitera la mobilité des personnes âgées, et leur vie sociale. Elles seront moins fragiles en faisant plus d’exercice et en étant plus autonomes. Il sera moins nécessaire de mettre en place des actions individuelles d’accompagnement.

Outre le domicile et les Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), serait-il possible de sortir de ce schéma binaire pour créer d’autres structures plus légères, comme le suggère la ministre de la Santé ?

M.-È. J. : Je suis persuadée que d’autres modèles vont se mettre en place car les baby boomers ne vont pas se laisser “envoyer” en maison de retraite aussi simplement. On voit actuellement des personnes de 70/75 ans qui se regroupent car elles ne veulent pas aller en maison de retraite. Cela ne veut pas dire que ce soit la fin des Ehpad, car il en faudra toujours, mais peut-être devront-ils être davantage spécialisés en fonction de la population reçue et de la structure de l’habitat : résidence service, maison en partage, béguinage (3)… Par ailleurs, la réduction des durées de séjour dans l’hôpital conduit à des taux d’occupation de plus en plus faibles. Tous ces lits existent, le foncier est là, les équipements sont présents. Pourquoi ne pas revenir à des unités de long séjour, plus adaptées et modernisées, sans que, sur le plan économique, il leur soit demandé de contribuer à la couverture de toutes les charges financières de l’hôpital ?

Les initiatives locales, ça marche ?

Il n’existe pas d’évaluation solide. Il est donc très compliqué de savoir si ces expériences ponctuelles peuvent s’étendre à l’ensemble du territoire.

(1) Selon les données citées par le ministère de la Santé fin mai (lien : bit.ly/2LmNuas).

(2) Les quatre autres branches : maladie, accidents du travail et maladies professionnelles, famille et retraite.

(3) Depuis quelques années, certains béguinages - autrefois des communautés de religieuses vivant dans un esprit d’entraide - ont été rénovés et d’autres construits sur le même modèle, comme logements pour les seniors.

INFO +

Cette interview sera suivie, le mois prochain, dans cette même rubrique, d’un débat sur la place des aînés dans la société et le regard qu’elle pose sur eux.

le contexte

Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, a présenté fin mai sa feuille de route pour relever le défi du vieillissement à court et moyen termes. Les priorités sont données à la prévention, à domicile et en établissement. L’objectif est également de répondre aux besoins croissants de soins médicaux, de pérenniser le financement des établissements, de soutenir les professionnels. Un débat public et citoyen devrait s’ouvrir en septembre afin d’élaborer la stratégie nationale pour l’accompagnement du vieillissement, dont la présentation est attendue courant 2019. Une consultation sur la retraite est par ailleurs en cours (pour participer : bit.ly/2LLMWvs).