L’homéopathieaux orties ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 349 du 01/07/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 349 du 01/07/2018

 

Point(s) de vue

Débat

Adrien Renaud  

Depuis la publication, en mars dernier, d’une tribune signée par 124 médecins dans Le Figaro pour réclamer le déremboursement de l’homéopathie, celle-ci est au centre d’une féroce polémique. Ses adversaires voient en elle une hérésie scientifique, tandis que ses partisans pointent son innocuité et son coût peu élevé.

De quels éléments scientifiques disposons-nous pour établir l’efficacité ou l’inefficacité des traitements homéopathiques ?

Charles Bentz : Il y a plusieurs études cliniques qui montrent l’efficacité de l’homéopathie. Une méta-analyse publiée dans le Lancet a même prouvé que la réponse des traitements homéopathiques était supérieure à celle du placebo(1). Il y a aussi l’étude EPI3, qui a montré que les médecins homéopathes soignent les mêmes types de malades que leurs confrères et ont des résultats comparables, avec un coût nettement inférieur, le tout sans effets indésirables(2). Il est vrai que d’autres méta-analyses ont montré le contraire, mais on se rend compte que certaines d’entre elles ont ignoré des études pourtant valides du fait d’un nombre insuffisant d’expérimentateurs. Il faut également savoir que, très souvent, les études négatives ne tiennent pas compte des spécificités de la méthode homéopathique, qui peut avoir recours à de nombreux médicaments pour une même maladie. Or les études cliniques ne ciblent généralement qu’un seul médicament, et l’associent à une seule maladie. Il faudrait pouvoir comparer une cohorte soignée par allopathie à une cohorte soignée par homéopathie, ce qui n’est jamais fait.

Jérémy Descoux : Nous disposons sur ce sujet d’une foule d’études, d’une méta-analyse publiée dans le Lancet, d’évaluations réalisées par des comités d’experts en Australie, au Royaume-Uni(3)… Ces travaux concordent : dans leur immense majorité, ils montrent que l’homéopathie n’a pas d’efficacité en dehors de l’effet placebo. Il existe certes quelques études anecdotiques, qui montrent des effets qui peuvent être liés à des variations statistiques, et qui ne peuvent pas être reproduites. S’il y a trois études positives devant trois cents négatives, on ne va pas les nier. Mais la grande masse des études sont négatives. Quant à l’effet placebo qu’on évoque souvent comme un bénéfice de l’homéopathie, il s’agit d’une composante systématique d’une consultation médicale, que le praticien ait recours à l’homéopathie ou non. L’effet placebo n’est pas dans la granule, il est dans le professionnel qui vous a rassuré et à qui vous faites confiance.

L’homéopathie fait-elle perdre des chances aux patients en retardant le recours à une autre prise en charge ? Ou permet-elle au contraire d’éviter le recours à des traitements aux effets secondaires indésirables ?

C.B. : Quand on s’adresse à un médecin, qu’il est sérieux et compétent, il ne peut y avoir de perte de chance. Si un patient diabétique me demandait un traitement homéopathique, je lui dirais que, dans son cas, ce n’est pas indiqué et que le seul traitement disponible est l’insuline. En France, depuis 1994, l’homéopathie doit être exclusivement pratiquée par des médecins, comme l’a décidé l’Ordre des médecins. Ce n’est pas le cas dans d’autres pays, comme par exemple l’Allemagne : là-bas, la majorité des patients soignés par homéopathie ne le sont pas par des médecins, on peut donc s’attendre à des retards de diagnostic. Concernant les traitements évités, on peut remarquer que les enfants suivis en homéopathie consomment souvent très peu d’antibiotiques, ce qui permet d’éviter de développer l’antibiorésistance, qui est un problème de santé publique majeur.

J.D. : Avoir recours à l’homéopathie peut entraîner des retards de diagnostic, des retards de traitement et, à terme, une surmortalité. Donc, en plus de ne rien apporter, cette pratique est dangereuse. Et il ne faut pas croire que l’homéopathie permet d’éviter des médicaments inutiles. À ma connaissance, on n’a jamais prouvé que les patients qui ont recours à l’homéopathie sont moins médiqués que les autres. Par ailleurs, quand elle est utilisée dans des situations qui vont se régler d’elles-mêmes, il est largement préférable de donner un conseil médical simple, de privilégier la réassurance, que de prescrire des granules. Cette approche par la déprescription a en outre l’avantage d’éduquer le patient, de le responsabiliser, de l’autonomiser. L’homéopathie met au contraire le patient en situation de dépendance, et le maintient dans la croyance erronée que le médecin peut tout régler.

Faut-il continuer à rembourser ces traitements ?

C.B. : Bien sûr. Tout d’abord, cela revient très peu cher. D’autre part, quand un traitement est remboursé, les patients passent par la case médecin. Dérembourser, c’est prendre le risque de voir les patients s’orienter vers les naturopathes, magnétiseurs et autres pseudo-thérapeutes. C’est là qu’il y a un risque de perte de chance.

J.D. : Aujourd’hui, il y a des médicaments qui sont déremboursés alors qu’ils ont un service médical rendu fort et des études fortes pour démontrer leur efficacité. C’est par exemple le cas de certains anticancéreux, pour lesquels on estime qu’il existe des alternatives. Et en face, on a l’homéopathie, qui a un statut dérogatoire qui le dispense de faire la démonstration de son efficacité, et qui est remboursée à 30 %. Puisque la ministre semble vouloir réévaluer ces médicaments, évaluons-les comme les autres. S’ils apportent un bénéfice, bien sûr qu’ils doivent être remboursés ! Mais sinon, dans un système normal, ils doivent être déremboursés.

(1) K. Linde et al., « Are the clinical effects of homeopathy placebo effects ? », Lancet, 1997. Plus précisément, l’étude conclut que les résultats « ne sont pas compatibles avec l’hypothèse selon laquelle les effets cliniques de l’homéopathie sont complètement dus au placebo », et ajoute qu’il n’y a pas de preuve suffisante pour affirmer que l’homéopathie « est clairement efficace pour quelque affectation que ce soit ».

(2) M. Rossignol et al., « Impact of physician preferences for homeopathic or conventional medicines on patients with musculoskeletal disorders », Pharmacoepidemiology. and Drug Safety, 2012, et L. Grimaldi-Bensouda et al., « Management of upper respiratory tract infections by different medical practices, including homeopathy, and consumption of antibiotics in primary care », PLoS One, 2014. Ces travaux sur les troubles musculo-squelettiques et les infections respiratoires sont fondés sur EPI3, Étude de l’impact d’une prise en charge homéopathique, initiée par le laboratoire Boiron.

(3) Par exemple, A. Shang et al, « Are the clinical effects of homoeopathy placebo effects ? », Lancet, 2005, et Australian Government, « NHMRC Statement : Statement on Homeopathy », mars 2015.

le contexte

À la suite du débat suscité par la tribune du Figaro, la ministre de la Santé Agnès Buzyn a été obligée de se prononcer sur l’homéopathie. D’abord réticente à critiquer cette pratique (« Ça ne fait pas de mal », avait-elle estimé en avril sur Europe 1), elle a annoncé fin mai sur France Inter que l’homéopathie pourrait faire l’objet d’une réévaluation de la part des autorités, et éventuellement d’un déremboursement.