Prévenir l’épuisement des aidants - L'Infirmière Libérale Magazine n° 348 du 01/06/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 348 du 01/06/2018

 

Cahier de formation

Savoir faire

ACCEPTER L’AIDE

L’aidant familial, « très impliqué dans l’accompagnement de son proche souffrant d’une maladie d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée, peut progressivement négliger son propre état de santé », avertit la Haute Autorité de santé (HAS) dans des recommandations de 2010 (1). « La maladie est très pernicieuse, détaille Sophie Auria, psychologue à Toulouse. Elle peut évoluer lentement sans manifestations cliniques physiques. Les aidants [familiaux] pensent pendant longtemps qu’ils vont faire face, et même qu’ils sont les seuls à pouvoir répondre aux besoins du malade. » Aussi l’aggravation de la maladie entraîne un grand sentiment d’impuissance chez les aidants. Ils ont beaucoup de difficultés à accepter de l’aide car, pour eux, c’est accepter l’insupportable : un échec supposé. Les Idels qui viennent régulièrement à domicile sont en première ligne pour repérer les signes d’épuisement : dépression, agressivité, retrait social… « Des liens presque affectueux peuvent se tisser au fil du temps avec les aidants qui ont la possibilité de se confier à elles. En tant que soignantes, elles bénéficient d’une certaine légitimité. Leur parole est entendue. Elles peuvent ainsi jouer un grand rôle pour inciter les aidants à faire les premiers pas dans l’acceptation des aides. »

DIFFÉRENTES AIDES POUR LES AIDANTS ET LES MALADES

L’accueil de jour

Structure le plus souvent rattachée à un Ehpad ou à une structure autonome associative, l’accueil de jour propose des activités adaptées pour les personnes malades vivant à domicile durant une demi-journée ou au plus deux jours par semaine : ateliers mémoire, dessin, chant, lecture, jardinage, cuisine, danse, gymnastique, relaxation, sorties culturelles ou festives. « En favorisant le maintien des relations sociales, l’accueil est une aide au maintien à domicile », rapporte le Dr Évelyne Laval, responsable de la permanence France Alzheimer à Toulouse. De fait, « il a été montré que les personnes qui ont intégré l’accueil entrent plus tard en institution ». C’est aussi un espace de soutien et une précieuse opportunité de répit pour les aidants. En effet, l’accueil de jour leur permet de dégager du temps rien que pour eux et de souffler un moment dans la semaine. De nombreuses structures d’accueil de jour proposent également un accompagnement spécifique pour les aidants : réunions d’information, formations, entretiens psychologiques individuels, groupes de discussion…

Des actions pour rompre l’isolement

→ La formation pour les aidants est gratuite et soutenue par l’Etat. Elle est proposée par l’association France Alzheimer, mais aussi d’autres structures. D’une durée de 14 heures sur plusieurs modules, la formation, proposée sur l’ensemble du territoire par France Alzheimer, apporte aux aidants des outils essentiels pour mieux comprendre la maladie, adapter leurs attitudes, communiquer, reconnaître leurs limites et connaître les aides dont ils peuvent bénéficier. Ces séances de formation, co-animées par une psychologue et une bénévole, permettent aux aidants de partager des expériences et de tisser des relations d’entraide.

→ Des formules de répit sont développées, notamment les séjours Vacances répit Alzheimer, action proposée par France Alzheimer depuis de nombreuses années, qui permet d’accueillir les couples aidants/aidés sur un lieu de vacances pendant une dizaine de jours pour profiter d’un moment de détente et de partage d’activités de loisirs (2).

→ Des actions de resocialisation sont organisées par d’anciens aidants familiaux bénévoles afin de favoriser la convivialité et la solidarité entre familles. On peut citer les groupes de parole animés par des psychologues et proposés par différentes structures, notamment dans les accueils de jour, ainsi que les “cafés mémoire” France Alzheimer. « L’idée est de proposer un espace-temps ouvert sur la cité afin d’offrir une vie sociale “normale” aux couples aidants-aidés, précise Sophie Auria. Il y a un retrait social initié par l’aidant qui est fatigué, mais aussi par les amis qui ne peuvent plus comprendre le malade. Le café mémoire est souvent la première marche à franchir pour sortir de l’isolement. »

Des MAIA pour aider les aidants

Financée par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, par l’intermédiaire de l’Agence régionale de santé, une MAIA (3), sur un territoire donné, propose une méthode organisationnelle pour le maintien à domicile de personnes en perte d’autonomie fonctionnelle et décisionnelle comme des troubles cognitifs ou des troubles psychiatriques en refus des soins. « Le rôle de ce dispositif est de faire en sorte que les acteurs du champ sanitaire, social et médico-social (médecins traitants, Idels, masseurs-kinésithérapeutes, orthophonistes, assistantes sociales, mandataires judiciaires…) qui œuvrent autour de la personne en perte d’autonomie connaissent les missions des uns des autres et de les informer des ressources sur leur territoire (accueil de jour, etc.). L’objectif est de mieux informer et de mieux orienter pour mieux répondre aux besoins des personnes âgées et de leurs familles », rapporte Corinne Régnier, responsable MAIA sur le territoire de Toulouse.

En outre, ce dispositif dispose de “gestionnaires de cas” (acteurs du social ou du médico-social avec une formation de coordonnateur de soins gérontologiques) qui, à la demande de professionnels (notamment les Idels, les médecins généralistes, les services d’aides à domicile…), peuvent intervenir sur les situations les plus complexes de maintien à domicile d’une personne âgée. « Dans 90 % des cas, les demandes concernent des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Très souvent, il s’agit d’aider des aidants épuisés. Les gestionnaires essaient alors d’analyser la problématique, de comprendre pourquoi l’aidant est épuisé pour mieux l’accompagner et répondre au plus près à ses attentes et à ses besoins, même ceux non exprimés. Les gestionnaires se déplacent au domicile et travaillent avec la famille. L’objectif est de gagner la confiance de la personne malade et de voir comment on peut l’accompagner soit en accueil de jour, soit en hébergement temporaire… L’enjeu est de trouver des solutions à partir des ressources du territoire pour essayer de soulager les aidants. Les Idels sont des relais essentiels pour alerter sur les situations les plus complexes. »

Un suivi médical de l’aidant

Dans un rapport de 2010 (1), la HAS recommande une consultation annuelle spécifiquement dédiée à l’état de santé de l’aidant familial à toutes les étapes de la maladie (annonce de la maladie, prise en charge au domicile, entrée en institution, fin de vie…). Cette consultation effectuée par le médecin traitant du patient Alzheimer a pour objectifs la prévention, la détection et la prise en charge des effets délétères sur sa santé.

(1) Haute Autorité de santé, “Maladie d’Alzheimer et maladies apparentées : suivi médical des aidants naturels”, février 2010 (lien raccourci : bit.ly/2BmaWCv).

(2) Pour connaître les lieux de séjour, consulter le site France Alzheimer francealzheimer.org (lien raccourci direct : bit.ly/2GLKPIj).

(3) Méthode d’action pour l’intégration des services d’aide et de soin dans le champ de l’autonomie. Pour consulter la liste des MAIA : www.pour-les-personnes-agees.gouv.fr

Cas pratique

Vous intervenez au domicile de M. D., dont la maladie a fortement évolué. Il dérange ses voisins en frappant à leur porte à toute heure de la nuit. Le jour, il lui arrive de sortir seul. À plusieurs reprises, la police municipale l’a retrouvé, égaré en plein centre-ville. Pour l’accompagner dans la journée, sa fille a fait appel à différentes auxiliaires de vie. En vain : son père les refuse. Sa fille, mère de deux enfants de 8 et 12 ans, se sent seule et désemparée face à l’aggravation de la maladie.

Elle est aussi très fatiguée physiquement et psychologiquement avec la multiplication des tâches - professionnelles, familialeset aidantes.

Vous sentez que la fille de M. D. culpabilise, qu’elle ne se sent pas à la hauteur.

Vous lui conseillez de ne pas rester seule, de contacter par exemple une association, qui organise des sessions de formation pour rencontrer d’autres personnes partageant la même expérience, ou de se rapprocher d’un(e) psychologue pour l’aider à préparer une décision importante, notamment l’entrée en institution, que vous avez déjà évoquée avec elle.

Bon à savoir

→ 1 866 structures d’accueil de jour en France et 14 260 places.

→ 9 structures d’accueil de jour sur 10 assurent le transport du malade Alzheimer depuis son domicile, avec leurs propres véhicules ou via un prestataire.

→ Leurs coordonnées : www.pour-les-personnes-agees.gouv.fr.

→ Les familles peuvent être aidées financièrement par le biais de l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA).

Encourager les liens intergénérationnels

La maladie d’Alzheimer affecte significativement l’entourage familial. Elle bouleverse l’équilibre des rôles de chacun et déstructure souvent le schéma familial, avec des conséquences néfastes pour les proches comme pour la personne malade. Face à la perte d’autonomie, les enfants prennent en charge leurs parents. Les petits-enfants sont parfois tenus à l’écart pour les protéger alors qu’il y a intérêt à favoriser les échanges intergénérationnels en associant les enfants et les adolescents à l’accompagnement de la personne malade, en tenant compte de leur âge, de leur capacité, et surtout de ce qu’ils souhaitent faire ou ne pas faire, sans les obliger. Les liens intergénérationnels doivent être encouragés, ils permettent aux personnes malades de se “reconnecter” avec la vie sociale alors qu’elles ont plutôt tendance à s’éloigner du réel.