La loi suffit-elle ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 347 du 01/05/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 347 du 01/05/2018

 

FIN DE VIE

Actualité

Laure Martin  

La prise en charge de la fin de vie vient de donner lieu à une consultation publique nationale, et à d’intenses argumentations. Notamment avec la proposition du Cese, instance consultative, d’introduire dans le droit français la possibilité d’une sédation « explicitement létale ». Une suggestion soutenue par certains parlementaires, mais qui ne fait pas l’unanimité.

C’est la loi Claeys-Leonetti de février 2016 qui organise la prise en charge de la fin de vie en France, avec la possibilité notamment d’administrer aux patients une sédation profonde et continue jusqu’au décès (cf. n° 341 de novembre 2017, pp. 48-49). Pour certains, la mesure est suffisante car « avec cette sédation, la personne décède de sa maladie, ce n’est pas le professionnel de santé qui injecte la mort », souligne Marion Broucke, infirmière en unité de soins palliatifs à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif (Val-de-Marne), à l’origine d’une pétition contre la légalisation des injections létales qui a recueilli environ 2 000 signatures.

Mais pour le Cese (Comité économique, social et environnemental), instance consultative, comme pour 156 députés signataires d’une tribune parue dans Le Monde le 1er mars, la loi doit aller plus loin. « Aujourd’hui, il y a, d’après l’Institut national d’études démographiques, 2 000 à 4 000 euthanasies illégales tous les ans en France, rapporte Jean-Louis Touraine, député signataire de la tribune et auteur d’une proposition de loi sur l’assistance médicalisée active à mourir. Chaque année, quelques centaines de Français partent à l’étranger pour mettre fin à leur vie. Cela montre que la législation actuelle est insuffisante. Il faut introduire la liberté de choix des patients. »

C’est d’ailleurs l’une des préconisations du Cese qui suggère, dans un rapport rendu public en avril, « d’ajouter, aux droits reconnus à la personne malade par la loi, celui de pouvoir demander au médecin, y compris via la rédaction de directives anticipées ou la désignation d’une personne de confiance, de recevoir, dans des conditions strictement définies, une sédation profonde explicitement létale ».

Cette possibilité permettrait aussi, d’après le Cese, de mettre un terme à une situation ambiguë et une insécurité exprimées par les professionnels de santé. « Ils manifestent des réticences à appliquer la sédation profonde et continue, en raison de la responsabilité afférente, indique Pierre-Antoine Gailly, le rapporteur. Certains craignent de mettre trop de produit, ce qui pourrait être assimilé à une euthanasie, avec ses conséquences juridiques ; d’autres redoutent de ne pas en mettre assez et de garder un patient dans un état qui n’est pas acceptable. » Trois propositions de loi ont été déposées pour rendre possible la sédation létale en France. Quatre-vingt-trois parlementaires et deux professionnels de santé se sont, eux, opposés, dans une tribune publiée dans Le Monde le 13 mars, à une telle évolution de la loi. C’est aussi le cas de Marion Broucke. « Nous ne sommes pas d’accord avec la solution de l’euthanasie pour répondre au “mal mourir” en France. Il faudrait déjà commencer par appliquer la loi. »

« Donner une chance à la loi Claeys-Leonetti »

Pour cette infirmière, la formation des médecins et paramédicaux est la priorité, car « ils ne sont pas formés à la prise en charge des patients en fin de vie, souligne-t-elle. Ceux qui demandent l’euthanasie sont ceux qui n’ont pas été suffisamment soulagés de leurs symptômes ou ont vécu l’acharnement thérapeutique. Mais la réponse à “mourir dans la dignité” n’est pas une injection létale. »

La Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap) partage cet avis. « La loi date de 2016 mais les recommandations de la Haute Autorité de santé viennent seulement d’être rendues publiques, rapporte Noëlle Carlin, cadre de santé, formatrice et administratrice de la Sfap. Il faut laisser du temps pour que les recommandations imprègnent les pratiques, et donner une chance à la loi Claeys-Leonetti. » La Sfap craint aussi que la mise en place de l’euthanasie n’empêche le développement des soins palliatifs. « Nous sommes dans une société de contraintes budgétaires, poursuit Noëlle Carlin. Si on légifère sur l’euthanasie, quel médecin fera l’effort de se former ? Quel hôpital fera l’effort de mettre en place un service de soins palliatifs ? Il faut commencer par répondre au problème du soulagement de la douleur, rendre les médicaments accessibles, former les équipes. Lorsque les patients sont pris en charge en soins palliatifs, les demandent d’euthanasie diminuent. »

Pour l’heure, alors que le Comité consultatif national d’éthique a clos fin avril une consultation publique sur neuf thématiques dont la fin de vie, aucune information n’est connue quant aux suites qui seront données à ces propositions.

AFFAIRE VINCENT LAMBERT : QUELLES AVANCÉES ?

Voilà maintenant dix ans que Vincent Lambert a été victime d’un accident qui l’a laissé tétraplégique. Diagnostiqué en état végétatif, il est pris en charge au sein du service de médecine palliative du CHU de Reims (Marne). Plusieurs rebondissements ont eu lieu concernant la demande, par ses médecins, d’arrêter son alimentation et son hydratation artificielles. Demandes auxquelles une partie de sa famille s’oppose. Le 9 avril dernier, après une procédure collégiale de cinq mois, le CHU a de nouveau arbitré en faveur de l’arrêt des traitements. Mais le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a décidé, le 20 avril, après un recours en référé-liberté de membres de sa famille, d’ordonner une nouvelle expertise médicale qui devra déterminer si l’état de Vincent Lambert a évolué depuis la dernière expertise de 2014.

EN LIBÉRAL, UNE COTATION « INADAPTÉE »

Infirmière libérale dans les Yvelines, Nathalie Laugery a été entendue par l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), en charge de la rédaction d’un rapport sur la mise en application de la loi Claeys-Leonetti. « L’Igas a souhaité avoir plus d’informations sur le rôle que les infirmières libérales peuvent tenir sur le terrain concernant la prise en charge de la fin de vie et la transmission d’informations sur les directives anticipées et la notion de personne de confiance, rapporte l’Idel, titulaire d’un diplôme interuniversitaire en soins palliatifs et accompagnement. Nous sommes une ressource de proximité. » Nathalie Laugery plaide cependant pour une évolution de la nomenclature des actes car « la cotation en libéral n’est pas adaptée à la fin de vie. Elle tient compte de l’acte et non du temps passé auprès du patient ».