Mieux exploiter les erreurs - L'Infirmière Libérale Magazine n° 346 du 01/04/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 346 du 01/04/2018

 

QUALITÉ ET SÉCURITÉ DES SOINS

Dossier

Sophie Magadoux*   Boris Hurtel**  

Errare humanum est, certes. Mais dans le soin, un faux pas peut s’avérer lourd de conséquences. Pour l’éviter, les professionnels de santé doivent commencer par changer de regard sur l’erreur. Et la voir comme une opportunité d’améliorer les pratiques. Bienvenue dans l’ère de « l’organisation apprenante » et de la culture positive de l’erreur…

Le 23 février, une jeune femme est décédée des complications d’une otite, en dépit de deux passages aux urgences, à Lyon. Erreur ? Manquement ? Dysfonctionnement ? C’est ce que semble penser sa mère, qui a porté plainte pour « homicide involontaire ». Les médecins, selon elle, « n’ont pas pris le temps de diagnostiquer correctement le mal dont souffrait ma fille »(1). En 2016, un octogénaire est resté six jours avec un dentier coincé dans la gorge. Un praticien de l’hôpital de Dunkerque diagnostique une « fausse route » et la famille, malgré ses demandes répétées, doit attendre six jours avant qu’une radio soit enfin réalisée. De l’opération en urgence, le retraité ne se remettra pas(2). Autre affaire, moins grave, mais psychologiquement dommageable. Fin novembre dernier, un Mosellan de 48 ans reçoit un courrier de l’hôpital : il souffre d’un carcinome urothélial. Autrement dit, un cancer. Il l’annonce à ses proches et aux jeunes footballeurs qu’il entraîne. Cinq jours plus tard, l’hôpital de Metz lui annonce que c’était une erreur(3).

Ces trois histoires, deux fatales et une à l’issue plus heureuse, ont fait la une des médias. Mais loin des gros titres, sur le terrain, en ville et à l’hôpital, au quotidien, des « erreurs médicales », comme elles sont communément appelées, surviennent. Plutôt qu’erreur, la désignation « événement indésirable » (EI) fait consensus chez les professionnels, car moins stigmatisante. En 2013, à l’occasion de l’Étude nationale en soins primaires sur les événements indésirables (Esprit)(4), la première portant sur le secteur ambulatoire, il a été défini comme « un événement ou une circonstance associé aux soins, qui aurait pu entraîner ou a entraîné une atteinte pour un patient, et dont on souhaite qu’il ne se reproduise pas », une formulation retenue par la Haute Autorité de santé (HAS).

47 % d’évitables

En France comme à l’étranger, le nombre d’EI est important. Dans l’Hexagone, un patient hospitalisé sur dix en serait victime lors des soins et 47 % de ces événements pourraient être évités car dus à « l’administration de soins non optimaux ». Un EI grave (EIG) surviendrait tous les cinq jours dans un service de trente lits. Les EIG seraient aussi à l’origine de 4,5 % des séjours, d’après l’Enquête nationale sur les événements indésirables graves associés aux soins (Eneis)(5).

En ville, les EIG resteraient exceptionnels, mais les EI surviennent une fois tous les deux jours (par médecin généraliste), bien que les trois quarts soient sans conséquence, d’après l’étude Esprit, qui apporte un éclairage sur les médecins généralistes en secteur libéral. Les erreurs se répartissent entre l’organisation du cabinet (42 %), la communication entre professionnels et structures de santé (21 %), les connaissances et compétences (20 %), la relation patient (10 %) et l’évolution inhabituelle de la maladie (3 %).

Quand on parle d’EI, chez les Idels, il peut aussi bien s’agir d’un prélèvement dommageable, d’un manque d’asepsie dû à la présence d’un chien, d’une mauvaise gestion de pilulier, d’une tournée perturbée par un accident de la route, d’un oubli de déposer l’ordonnance à la pharmacie ou de l’impossibilité de joindre le médecin pour adapter une prise en charge. Chez les Idels adhérentes de l’association toulousaine Sidéral santé, qui, depuis 2013, procède au recueil de fiches d’incident et établit une cartographie des facteurs de risques, 96 % des déclarations d’incident ou d’EI sont liées aux processus de soin, principalement à un problème de communication et de coordination. Afin de mener à bien ce travail de recensement, Sophie Beauverger, Idel membre de l’association, a validé un master professionnel en gestion des risques en milieu de soins. De son côté, l’assureur MACSF-Le Sou médical, chaque année, présente des exemples de sinistralité infirmière. Exemple en 2016 avec l’injection par erreur d’insuline rapide au lieu d’Inipomp pour une patiente polypathologique prise en charge dans les suites d’un traitement chirurgical d’un cancer du côlon. L’erreur a été constatée après l’injection, le Samu appelé. Après le coma, l’évolution de la situation a été favorable.

Des causes plutôt collectives

Face à la complexité croissante – techniques, chaîne de soins, actes, multiplicité des intervenants –, les événements indésirables sont plutôt la conséquence d’un dysfonctionnement global, au niveau du parcours du patient, sur un territoire, et non le fait d’une défaillance individuelle. Toutefois, même si la composante individuelle est rarement en cause, le risque d’erreur médicale est de 26 à 71 % plus important lorsque l’infirmier est en mauvaise santé physique et mentale, selon une étude de l’Ohio State Université(6). « Au lieu de chercher un coupable – le soignant de première ligne –, il faut chercher une solution dans l’organisation, la communication, etc. – les causes profondes, dites latentes », commente Sophie Beauverger. Il est temps de passer « de l’erreur voilée à l’erreur dévoilante », comme l’indique la Drees(7). Des erreurs loin de disparaître aux dires du Pr René Amalberti, expert en gestion des risques : « Le risque va mécaniquement augmenter avec une population vieillissante et polymorbide. » Et « les séjours hospitaliers étant chaque fois plus courts, les problèmes se déplacent au domicile. Il faut le savoir pour se préparer », ajoute Sophie Beauverger. Le Pr René Amalberti incite à se centrer « sur l’analyse de la gestion des risques et de l’évènement dans l’épisode de soins, pré, per et post EIG, pour apprendre des autres et savoir encore plus vite détecter les problèmes, avec le partenariat du patient, à la fois en détection et en déclaration ».

Culture positive

En ville ou à l’hôpital, pour gérer la survenue des EI, leur impact ou leur prévention, il s’agit de développer une culture positive de l’erreur. C’est ce que tente d’insuffler le Plan national pour la sécurité des patients(8). Cela commence par la déclaration des EIG auprès de l’Agence régionale de santé, procédure qu’un décret de novembre 2016(9) a étendue à l’ensemble des professionnels de santé, et qui a été facilitée par l’ouverture d’un portail national dédié, accessible aussi aux usagers(10) (lire aussi en encadré p. 35). Le décret a aussi rendu obligatoire l’analyse des événements et la détermination d’un plan d’actions. Cependant, en ville, l’étude Prism (Pluriprofessionalité et gestion des risques par un programme multifacette en soins primaires)(11), menée auprès de 415 professionnels de santé qui ont déclaré des centaines d’EI, a mesuré le niveau de culture de sécurité des soignants à 65 %, au moment de leur inclusion.

« S’engager avant qu’on nous l’impose »

Depuis la loi Kouchner du 4 mars 2002(12), de plus en plus d’établissements hospitaliers mettent en place leur procédure de gestion des risques : un signalement des EI informatisé, des référents, un circuit de traitement de celles-ci par des commissions pluridisciplinaires régulières. Ces dernières transmettent les cas à des comités de retour d’expérience (CREX) pour analyse à partir d’une description objective des faits, de la chronologie au niveau du patient, des actes de soin, des locaux… Ils proposent des actions correctives et leur suivi. Le tout est soutenu par une charte de non-sanction, la sensibilisation des professionnels de santé dans les services et la formation des cadres à la gestion des risques, car, sans un management impliqué, le processus ne peut perdurer.

En ville, « autant s’engager avant qu’on nous l’impose », lance Isabelle Morin, présidente de l’Union régionale des professionels de santé (URPS)-Idels Centre-Val de Loir(13), où un signalement en ligne et un développement de CREX sont dans les tuyaux. Cependant, il faut adapter à l’exercice libéral et au territoire le savoir-faire hospitalier, la méthodologie comme les outils d’analyse des causes : tous les acteurs de terrain engagés sur le sujet en conviennent, qu’ils interviennent au sein d’association de professionnels, d’URPS ou de centres, pôles ou maisons de santé.

La HAS a d’ailleurs validé la grille d’analyse Cadya, dérivée de la grille Alarm (voir lexique en fin de dossier), largement utilisée à l’hôpital : le fruit d’un travail de simplification, réalisé lors de l’expérimentation de revues de morbi-mortalité pluriprofessionnelles ambulatoires (RMM-PPA)(14). Pour réaliser ce travail, huit groupes pilotes pluriprofessionnels (médecins généralistes, infirmiers, pharmaciens, kinésithérapeutes, biologistes et, pour certains, représentants de patients), situés en Rhône-Alpes, Lorraine, Ile-de-France et PACA, se sont régulièrement retrouvés en petites unités de proximité autour de cas d’EI les concernant. Ils ont réalisé un travail d’analyse globale et décidé de mesures correctives. Par exemple, « un groupe de travail, pour pallier les problèmes de communication, a conçu un annuaire dédié aux professionnels, mentionnant les modalités de contact de chacun. Le plus compliqué reste le suivi », rapporte le Dr Jean-Michel Oriol, généraliste près de Lyon et porteur du projet, mené sous l’égide de la structure régionale d’appui à la qualité et la sécurité des patients (SRA).

À la suite des RMM-PPA, le Dr Jean-Michel Oriol a ouvert un nouveau champ d’expérimentation avec des RMM ville-hôpital dans le secteur de Vienne, en Isère : « L’analyse ramenait souvent vers ce lien. » Sidéral santé, elle, a développé sa propre formule d’analyse et l’étude Prism a testé un nouvel outil de déclaration, appelé le système de recueil des EI.

Dans ces analyses d’événements indésirables, la démarche pluriprofessionnelle permet un éclairage complet d’une situation, en équipe. « On découvre l’organisation de l’autre, on peut expliquer nos compétences et ça crée du lien », témoignent les professionnels habitués à un exercice isolé. « Réfléchir de façon uniprofessionnelle comporte toujours un risque : déplacer le problème », ajoute le Dr Marc Chanelière, chercheur de l’étude Prism (lire l’encadré page précédente).

Vers « une organisation apprenante »

Un autre risque est pointé du doigt par les professionnels : le fait de déclarer une erreur peut les mettre en difficulté, d’autant plus inutilement, selon eux, que la plupart des EI sont récupérés et donc sans conséquence. C’est vrai, « on partage plus volontiers ses succès, on y consacre même des colloques », ironise le Dr Jean-Luc Quenon, co-directeur et chef de projets de la SRA en Aquitaine. Mais il se félicite que la crainte de la stigmatisation perde du terrain : « Après des débuts difficiles, car il a fallu convaincre les professionnels de partager un cas d’EI dans le magazine Risques et qualité, la rubrique dédiée est désormais la plus lue. » « Partager nos incidents, c’est comprendre les risques », renchérit Sophie Beauverger. « On tire souvent plus de leçons d’une erreur que d’un résultat d’expérience concluant », affirme un enseignant en neurosciences à l’université de Columbia à New York(15). De la même manière que des scientifiques plaident pour la publication des échecs de leurs recherches, réfléchir à ses erreurs dans le soin fait avancer la connaissance. Par ailleurs, il faut noter que les éventuelles sanctions, judiciaires ou disciplinaires, sont surestimées, car, selon l’HAS(16), « une prise en charge appropriée du patient à la suite d’un dommage conduit à une diminution des plaintes, du montant des indemnisations et du temps passé à traiter les plaintes ». Et, qui sait, de la souffrance des soignants ? Car de tels incidents peuvent générer deux victimes, le patient et le soignant, comme le montrent les travaux du Dr Eric Galam sur le burn-out des soignants(17). Enfin, à condition de ne pas se cantonner au niveau normatif, la gestion des risques consiste en « une autre organisation, apprenante, vers une amélioration de notre pratique », estime Isabelle Morin, et non pas en une contrainte administrative supplémentaire. Finalement, le monde de la santé est peut-être assis sur une mine d’or : les erreurs inexploitées ! C’est tout l’enjeu de la gestion des risques, facteur d’une plus grande qualité des soins, avec en ligne de mire l’amélioration de la sécurité du patient.

Simulation d’erreurs

La formation constitue souvent une solution. L’URPS-Idels Centre-Val de Loire, en lien avec la Fédération des URPS de la région, va ainsi organiser de la formation au CREX pluriprofessionnel [Développement professionnel continu (DPC) validant], « afin que tous les professionnels disposent de cet outil de travail et changent peu à peu de mentalité ». Le projet est conçu en lien avec la nouvelle SRA de la région.

La prochaine génération d’Idels sera d’emblée sensibilisée à la gestion des risques, car depuis 2009, « la formation initiale aborde le sujet. Nous travaillons la simulation d’erreurs sur mannequin et patient standardisé, et organisons des groupes d’analyse pour des situations rencontrées en stage, en transparence avec les terrains de stage », explique Pauline Blanchemanche(18), IDE cadre formatrice à l’IFSI de l’hôpital Foch, à Paris. Pour les infirmières diplômées, les chambres des erreurs se multiplient (lire notre n° 344 de février 2018).

Plus question, donc, d’ignorer les erreurs, directes ou résultantes d’une accumulation de facteurs : les usagers exigent plus de transparence. Les sondages réalisés chaque année par le Collectif interassociatif sur la santé « montrent une intolérance croissante des patients et des usagers aux risques associés aux soins »(19).

(1) Le Progres.fr, 10 mars 2018 (lien : bit.ly/2GQgZzI). À sa deuxième visite aux urgences, la patiente de 19 ans a attendu huit heures, mais ses examens étaient “normaux”, indique le chef des urgences.

(2) LExpress.fr, 17 octobre 2016 (bit.ly/2ptoYve).

(3) Republicain-lorrain.fr, 11 décembre 2017 (bit.ly/2FShY5c).

(4) Esprit, étude lancée à l’initiative du ministère de la Santé, 2013 (bit.ly/2IDvyY2).

(5) Eneis, Drees, 2009 (bit.ly/2GbdQwA).

(6) Journal of occupational and environmental medicine, février 2018, volume 60, numéro 2, pp. 126-131.

(7) Drees, « Analyse sociologique des politiques publiques de réduction EIG à travers leur perception par les acteurs sanitaires », 2012 (lien : bit.ly/2DIlwRO).

(8) Plan national pour la sécurité des patients 2013-2017 (lien : bit.ly/2ptv4LZ).

(9) Décret du 25 novembre 2016 relatif à la déclaration des événements indésirables graves associés à des soins et aux structures régionales d’appui à la qualité des soins et à la sécurité des patients.

(10) Portail de signalement des événements sanitaires indésirables : signalement.social-sante.gouv.fr

(11) Étude Prism, menée sous l’égide de la Coordination pour l’évaluation des pratiques professionnelles en Auvergne-Rhône-Alpes (lien : bit.ly/2u7RY0j). Les résultats complets de l’étude devraient sortir en fin d’année 2018.

(12) Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

(13) URPS-Idels Centre-Val de Loire, « CREX-L : pour une culture positive de l’erreur » (lien : bit.ly/2IEpleo).

(14) HAS, Ceppral, « Revues de morbi-mortalité pluriprofessionnelles ambulatoires (RMM PPa) », 2013. (lien : bit.ly/2DKAHd4).

(15) Stuart Firestein, dans les colonnes du Figaro, le 16 novembre 2016.

(16) HAS, « Annonce d’un dommage associé aux soins », 2011 (lien : bit.ly/1laYgRJ).

(17) Eric Galam, « L’erreur médicale, le burn-out et le soignant : de la seconde victime au premier acteur », éditions Springer, 2012.

(18) Pauline Blanchemanche, « De la déclaration des événements indésirables à la culture de l’erreur », Elsevier Masson, 2010.

(19) Haut Conseil de la santé publique, 2012, Actualité et dossier en santé publique n° 79, « Sécurité des patients : mieux connaître et réduire les risques » (lien : bit.ly/2GaLC51).

« QU’AU MOINS CETTE MORT SERVE À QUELQUE CHOSE ! »

→ Martine*, infirmière libérale dans le Sud-Ouest, impute la mort d’une patiente à un problème de communication.

« On travaille toujours sur la corde raide, jusqu’à ce qu’elle casse. Et ce jour-là, elle a cassé ! J’ai fait intervenir les pompiers pour entrer chez une patiente âgée de 70 ans au lendemain de sa chimiothérapie en ambulatoire. On l’a retrouvée dans le coma. La veille déjà elle n’avait pas répondu. Mais l’aidant familial contacté par téléphone, son frère qui résidait à une demi-heure de chez elle, a estimé qu’il n’y avait pas de quoi s’alarmer. Six mois plus tard, la dame est décédée… On avait déjà interpellé la clinique sur le manque d’aidant à domicile pour une patiente avec des troubles psychiatriques, et le besoin d’un référent joignable au sein de l’établissement. Pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise, avec le soutien de l’association Sidéral santé, des démarches pour traiter cet événement indésirables (EI) grave ont été engagées avec la clinique. Il y a eu des réunions en présence de plusieurs professionnels de ses services, dont le responsable Hygiène et sécurité qui, au lieu de s’intéresser à la situation, me parlait de ma colère, naturelle selon lui, de n’avoir pu faire correctement mon travail ! Alors que j’y voyais un problème de fonctionnement, de communication. J’avais l’impression d’être face à un tribunal. On se sent seule en post-ambulatoire, alors pouvoir échanger entre Idels et se fédérer en association, c’est un soutien important pour analyser et, au besoin, faire remonter les EI. Depuis à la clinique, un cahier de suivi ambulatoire existe et une infirmière référente a été désignée, avec un numéro direct pour les professionnels de santé libéraux. Se pencher sur les erreurs soulage tout le monde. Et une erreur n’est pas une faute. »

* Prénom d’emprunt par souci d’anonymat.

LE DROIT À L’ERREUR… ADMINISTRATIVE

Un projet de loi « renforçant l’efficacité de l’administration pour une relation de confiance avec le public » est en passe d’être adopté. Lors d’un premier manquement dans une déclaration d’impôt ou d’Urssaf, si l’usager ou l’entreprise est de bonne foi, il pourrait n’y avoir aucune sanction et les intérêts de retards être réduits. Les relations seront censées être facilitées par le recours à la médiation.

3 questions à… Marc Chanelière, médecin généraliste, enseignant à la faculté de médecine de Lyon (Rhône), membre du laboratoire Hesper et investigateur principal de l’étude Prism sur la culture de la sécurité chez plus de 400 soignants (dont des IDE)

« La recherche de solution autour d’une erreur est consensuelle »

1 La culture de sécurité peut-elle contribuer au rapprochement des professionnels de soins primaires ?

Dans Prism, nous avons mesuré la culture de sécurité des professionnels de santé en soins primaires avec un seul et même outil pour tous, car elle est d’emblée commune à tous. Prendre du temps pour se réunir autour d’un même outil génère une unité. Celle-ci amène chacun à considérer l’autre au travers de la perception de son travail, de ses compétences et développe un respect mutuel. La recherche de solution qui nous rassemble autour de l’erreur est un travail consensuel. Dans Prism, les référents au sein des vingt maisons de santé pluridisciplinaire (MSP), neuf centres de santé et sept pôles de santé sont des médecins généralistes, des IDE ou d’autres professionnels, bousculant la « hiérarchie » médicale qu’on aurait pu craindre.

2 Les Idels occupent-elles un rôle particulier dans la gestion des risques ? Beaucoup plus présentes au domicile, elles peuvent recueillir des informations sur le contexte de vie qui peuvent se montrer utiles pour expliquer la survenue d’un événement indésirable. Elles sont plus souvent en contact avec le patient et le temps de soin est aussi plus important. Elles sont donc bien placées pour évaluer l’observance du patient, repérer d’éventuels mésusages de médicaments, alerter sur l’auto-médication, constater la dégradation éventuelle de son état ou apprécier l’impact d’une action corrective… La prise en charge à domicile est organisée autour du triptyque médecin-infirmier-pharmacien. C’est un travail d’équipe, bien qu’informel, où chacun est efficace parce qu’il travaille en lien avec les autres.

3 Hors structure, la culture de sécurité est-elle possible ? La transférabilité du modèle a ses limites, sachant que, par exemple, seuls 10 à 12 % des médecins généralistes exercent en MSP. Il faut réfléchir à d’autres formules, comme des groupes ressources et développer la dimension de soutien pour les professionnels isolés. Pour qu’ils ne restent pas seul face à une situation d’événement indésirable. La formation initiale devrait être l’occasion de développer la culture de sécurité, idéalement au moyen d’un enseignement commun entre toutes les professions. Il faudrait aussi former les étudiants à la communication, au travail d’équipe… en introduisant des pédagogies innovantes, comme les classes inversées, sans oublier la formation continue pluriprofessionnelle sur la sécurité du patient.

à savoir ?

Les SRA, ça sert à quoi ?

Ccecqa en Aquitaine, Ceppraal en Auvergne-Rhône-Alpes, Pasqual en PACA… Prochainement, tous les territoires disposeront d’une telle SRA, structure régionale d’appui à la qualité et la sécurité des patients, définie par un décret du 25 novembre 2016, « indépendante de l’Agence régionale de santé et respectant strictement la confidentialité des informations et des données », affirment leurs responsables. Ces SRA, qui accompagnent les professionnels de santé dans la gestion des risques, ont vocation à s’ouvrir au secteur ambulatoire. « Les Idels n’ont pas le réflexe de se tourner vers nous, pour un soutien méthodologique, des outils d’analyse ou de la formation », remarque Stéphanie Gentile, médecin coordonnateur de la SRA de PACA.

LA DÉCLARATION EN PRATIQUE

Si un événement sanitaire indésirable survient dans l’urgence, appeler le 15 et, en cas d’intoxication (y compris médicamenteuse), le centre antipoison le plus proche peut être la première action. Par la suite, le portail national signalement.social-sante.gouv.fr recueille depuis mars 2017 le signalement de tous les événements inattendus aux conséquences graves associés aux soins, concernant un produit à usage médical, un acte de soins ou un produit de la vie courante. Il est accessible aux professionnels de santé comme aux usagers, en ville et à l’hôpital. L’ARS suit les déclarations des EIG et peut proposer un accompagnement à leur gestion. Deux étapes : tout de suite, consigner la nature, les circonstances, les premières mesures prises et l’information du patient ; dans les trois mois, analyser les éléments de l’EIG et mettre en place un plan d’actions correctives. Tout professionnel ou établissement de santé doit déclarer toute infection ou tout EIG associé à des soins.

LEXIQUE

Alarm : Grille de questionnement pour l’analyse des causes des erreurs.

Aléa thérapeutique : incident lié au risque inhérent à l’acte, la complication propre à la technique.

CREX : Comité de retour d’expérience. Similaire à un RMM.

EIAS : Événement indésirable associé aux soins. « Événement lié aux soins, et non à l’évolution normale de la maladie, qui aurait pu entraîner ou a entraîné un préjudice pour le patient. Les EIAS recouvrent de nombreux types d’événements de gravité plus ou moins importante » (HAS). C’est « un incident préjudiciable à un patient hospitalisé survenu lors de la réalisation d’un acte de prévention, d’une investigation ou d’un traitement » (décret du 12/11/2010). Il est qualifié de grave (EIG) lorsqu’il est à l’origine d’un décès, de la mise en jeu du pronostic vital, du risque d’un déficit fonctionnel permanent ou d’une anomalie ou malformation congénitale.

EPR : Événement porteur de risques. Événement n’ayant provoqué aucun préjudice grâce au fonctionnement d’une ou plusieurs barrières de sécurité.

Faute : Elle correspond à EI dont le dommage au patient est dû à une négligence ou une inattention, avec ou sans intention de nuire. Seul un juge est compétent en la matière. Exemple : une erreur de diagnostic est possible ; c’est une faute si le médecin n’a pas fait tous les examens nécessaires ou s’il a tardé à se prononcer.

Gestion des risques : Vise à comprendre la défaillance du système en vue de prévenir. Un processus modélisé sous forme de barrières de sécurité successives conceptualisées par James Reason, psychologue auteur du “modèle du fromage suisse” : les barrières sont assimilées à des tranches comprenant des trous (défaillances) qui s’ouvrent, se ferment et se déplacent. Leur alignement entraîne la survenue de l’incident.

Qualité des soins : La capacité des services de santé d’augmenter la probabilité d’atteindre les résultats de santé souhaités, en conformité avec les connaissances professionnelles du moment, selon l’Institut de médecine aux États-Unis.

RMM : Revue de morbidité et de mortalité ou morbi-mortalité. Analyse collective, rétrospective et systémique (dimensions organisationnelles, techniques et humaines) d’un EI qui débouche sur la mise en œuvre d’un plan d’actions et son suivi.

Sécurité des soins : Dimension de la qualité des soins qui met l’accent sur la prévention des évènements indésirables.