Jean de Kervasdoué chasse les “licornes” - L'Infirmière Libérale Magazine n° 344 du 01/02/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 344 du 01/02/2018

 

PARUTION

Actualité

Olivier Blanchard  

Dans son dernier livre Qui paiera pour nous soigner ? (Fayard), l’économiste de la santé Jean de Kervasdoué dresse un portrait « pointilliste » du système de santé français auquel il a consacré toute sa vie. Il y fait le tour des “licornes”, ces « croyances dans un système aussi pur que parfait qui s’évanouit quand il est confronté à la réalité ».

Peut-on considérer les maisons de santé comme une “licorne” ?

Jean de Kervasdoué : Il y a souvent une confusion des termes et des concepts. Dans l’absolu, c’est une bonne idée de réformer les soins primaires et de mettre dans une même équipe médecins, infirmiers, kinés, etc. Je suis l’avocat des infirmières « bac +5 » qui se positionneront entre les « bac +3 » des infirmières débutantes et les « bac +10 » des médecins ; la maison de santé serait le lieu où cela aurait un sens. Mais il faut trouver un financement pérenne. Or on n’a pas changé le mode de rémunération des soignants. Le fait de participer à une maison de santé n’est pas rémunéré en soi, donc rien ne change. De fait, je pense que la maison de santé n’aurait de sens que si les équipes touchaient un « forfait annuel » par patient et n’étaient plus facturées à l’acte.

Que pensez-vous du dossier médical partagé ?

J. de K. : Je suis favorable à un système d’information informatisé dans une structure déterminée comme les maisons médicales. Je pense qu’on ne peut pas l’envisager en dehors des structures car cela pose trop de problèmes de langages, de contraintes. D’autre part, cela ne peut s’envisager que lorsque tenir le dossier fait partie du « contrat de travail » du soignant car c’est une contrainte. Si personne ne fait respecter la contrainte, la contrainte n’existe pas.

On parle de surpopulation infirmière. Faut-il revoir le “numerus clausus” à l’entrée des études ?

J. de K. : On a longtemps affirmé qu’on manquait d’infirmières mais ce n’était pas le cas. On ne peut prendre de décision sérieuse sans connaître exactement quelle est la demande de soin de la population, notamment avec la démographie et le vieillissement général, voire la démographie locale, car les infirmières ne travaillent pas « hors sol ». Il faudrait aussi savoir quel va être le nouveau partage des tâches entre infirmières et médecins, puis prendre en compte la durée de vie professionnelle des infirmières. Elle augmente beaucoup. C’est à partir de ces éléments qu’il faut réfléchir au numerus clausus, sinon on fait des variations scandaleuses sur des cycles qui ont un impact sur cinquante ans, comme cela a été fait avec celui des médecins dans les années 90.

Pensez-vous, comme l’Assurance maladie l’affirme, que le nombre d’infirmiers influe sur le nombre de soins ?

J. de K. : Non, les soins sont prescrits ! Quand il y a un manque, les médecins en tiennent compte mais quand il y a un excès, j’en doute !

Les médecins sont-ils tous compétents et de même niveau ?

J. de K. : Il y a de bons médecins et de moins bons comme dans toutes les professions. Certains médecins ne se forment pas. Pour les évaluer, on a des critères de « non-qualité » : prescriptions trop fréquentes, ordonnances trop vastes ou, pour les chirurgiens, suites opératoires difficiles, etc. Les assureurs sont tout à fait capables d’évaluer le niveau de risque en recensant les plaintes ou les complications des médecins. C’est ce qui permet de décider si on les assure ou pas, donc une évaluation est possible. On distingue les bons des mauvais.

Vous évoquez une société qui « refuse de renvoyer chaque homme à la solitude tragique de son destin ». Pensée économique ou avis personnel ?

J. de K. : Je viens d’avoir 73 ans, l’aventure humaine est une aventure qui se termine mal même si elle a été merveilleuse comme l’a illustré mon ami Jean d’Ormesson. On ne doit pas considérer le face-à-face que nous aurons tous avec la mort comme un échec de la médecine, à traiter par des pilules ou des belles paroles, même des paroles de professionnels. Mon agacement « philosophique » est en réaction à cette politique de l’émotion qui met des « cellules d’urgence » partout. Mais cela ne doit pas masquer mon souhait de garder un système merveilleux de protection sociale avant tout tourné vers l’autre. Tout système de santé est fondé sur trois plans : philosophique, économique et scientifique. Même si les soins ont un impact financier, on ne soigne pas pour des raisons économiques, c’est précisément ce qui m’a passionné toute ma vie.

À lire : notre chronique du livre, parue dans L’infirmière libérale magazine de janvier.