Faut-il rendre libre l’accès à la pilule ? - L'Infirmière Libérale Magazine n° 343 du 01/01/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 343 du 01/01/2018

 

Point(s) de vue

Débat

Laure Martin  

D’après le Planning familial, la mise en vente libre d’une pilule contraceptive en pharmacie donnerait à toutes les femmes un accès facilité à la contraception. Une proposition à laquelle le Collège des gynécologues et obstétriciens français s’oppose pour la majorité des pilules, y voyant une volonté de faire des économies sur le dos des femmes.

La vente des pilules contraceptives sans ordonnance est déjà possible dans certains pays, mais pas en France. Pensez-vous qu’il faille en faciliter l’accès ?

Israël Nisand : Certainement pas. Les accidents liés à la prise de la pilule sont rares mais peuvent être graves, comme les accidents vasculaires cérébraux ou encore les thromboses. On ne peut pas parler de risque zéro : le pourcentage d’accidents est faible, mais pas nul. L’innocuité doit être parfaite, et cela passe par un interrogatoire de la patiente afin de connaître ses facteurs de risque. La contraception doit donc être prescrite au cours d’une consultation médicale, en raison de la responsabilité qui en découle.

Véronique Séhier : Nous sommes tout à fait favorables à la vente de la pilule sans ordonnance. Nous pensons qu’il faut faire davantage confiance aux femmes, car elles sont très prudentes sur les contre-indications et posent des questions. C’est important de permettre à celles qui le souhaitent de bénéficier d’une contraception. Cet accès est très inégal selon les territoires. Pour certaines femmes, payer une première consultation n’est pas évident, d’autres ne veulent pas parler de leur vie sexuelle avec un médecin dans une première démarche. Il faut renforcer l’accès à l’offre de contraception et l’autonomie des femmes à travers des structures de proximité comme les pharmacies. Le Collège américain des gynécologues-obstétriciens a reconnu cette possibilité d’accès dès 2012. Pour le moment, il s’agit de passer en vente libre une pilule progestative qui est sans risque, et d’ouvrir largement l’accès. Cela apporterait une réponse immédiate à une demande de contraception sans consultation médicale.

Un questionnaire est-il suffisant pour garantir la sécurité sanitaire de la patiente ?

I. N. : Absolument pas car, en cas de problème, qui sera responsable ? Le questionnaire, la patiente, le pharmacien ? Bien sûr que non. En anesthésie, le questionnaire ne dispense pas de consultation… Il est impensable, uniquement pour faire des économies sur la santé des femmes, de ne pas utiliser les compétences des médecins. Ce n’est pas correct. Je ne dirais pas la même chose pour les pilules exclusivement progestatives, mais elles sont moins prescrites, car le contrôle du cycle est moins bon. Leur usage est réservé en cas de contre-indication aux œstrogènes. Aujourd’hui, 95 % des pilules prescrites sont œstroprogestatives, or les thromboses veineuses sont liées aux œstrogènes.

V. S. : Ce questionnaire permet aux femmes de mieux se connaître, d’appréhender leurs antécédents et d’envisager les contre-indications à une contraception hormonale. Nous avions déjà mis en place un protocole de ce type pour la première contraception, lorsque la demande concerne la pilule(1). Depuis, un document d’aide à la prescription a été mis en ligne par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Il pose les questions essentielles(2). S’il y a le moindre doute sur l’une d’entre elles, la patiente peut être orientée par le pharmacien vers un médecin ou une sage-femme. Il faut rappeler que la grossesse est aussi une période à risque pour les femmes. Nous pensons vraiment qu’il faut faire confiance aux femmes sur les contre-indications.

Un accès à la pilule sans ordonnance ne risque-t-il pas de priver les femmes, notamment les plus jeunes, d’un contact avec un médecin ? C’est-à-dire l’occasion d’aborder d’autres questions de santé ?

I. N. : Bien sûr. La première consultation de contraception est une consultation longue et complexe qui peut durer quarante-cinq minutes. La physiologie de la femme, la protection contre les infections sexuellement transmissibles, les explications sur la contraception, le choix du meilleur traitement, l’exploration avec tact de la vie sexuelle, les investigations sur l’histoire familiale, l’examen médical, la prise de tension, ne peuvent pas se faire lors d’une consultation de routine. Il serait illogique d’augmenter les honoraires de cette consultation(3) pour, ensuite, envisager qu’elle ne serve à rien. Il ne faut pas priver les femmes de ces conseils. Sous couvert de liberté des femmes, on les prive d’une sécurité indispensable.

V. S. : Les femmes qui accéderaient à la pilule sans ordonnance n’iraient pas toutes voir un médecin ou une sage-femme. Les raisons sont diverses : économiques, de proximité ou même de confidentialité. Accorder cet accès, c’est renforcer l’offre de contraception et permettre au pharmacien de délivrer une information sur le sujet, tout en évitant un risque de grossesse non voulue. C’est aussi communiquer sur les médecins, sages-femmes ou centres de planification qu’elles peuvent aller voir. La contraception a beaucoup été médicalisée : il est important que les femmes retrouvent leur pouvoir d’agir et de décider. Nous devons renforcer l’offre et la diversité des lieux d’accessibilité. Et les femmes savent qu’à un moment donné, ce sera important pour elles d’aller voir un professionnel de santé, notamment le jour où cette contraception ne leur conviendra plus.

(1) Prescrire, “La contraception déléguée à des soignants non-médecins”, novembre 2012.

(2) “Document d’aide à la prescription des contraceptifs hormonaux combinés” (lien : bit.ly/2B4RniQ).

(3) La première consultation pour la contraception des patientes de 15 à 18 ans chez un généraliste, un gynécologue ou un pédiatre est passée de 23 euros à 46 euros le 1er novembre.

Cette revalorisation a été actée dans la convention médicale signée en 2016.

le contexte

Début 2017, le Planning familial s’est associé au Collectif de pharmaciens et a cosigné, aux côtés de personnalités, l’appel « Libérez ma pilule »(en ligne sur Liberezmapilule.com).

Ils réclament un accès facilité à la contraception, à condition que la patiente ait répondu à l’intégralité d’un questionnaire, et la mise en vente libre d’une pilule en pharmacie. Cette dernière existe déjà au Brésil, en Chine, en Russie, en Thaïlande, en Ukraine, ou encore au Portugal, de façon légale ou informelle.

Avec l’ambition de démocratiser l’accès à la contraception.