Patients constructeurs - L'Infirmière Libérale Magazine n° 342 du 01/12/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 342 du 01/12/2017

 

AIDES TECHNIQUES

Actualité

Carole Tymen  

Fourchette anti-tremblements, pousse-suppositoire, porte-sonde… Au centre de rééducation et de réadaptation fonctionnelles de Kerpape, dans le Morbihan, le Rehab-lab permet aux patients de concevoir des objets sur mesure.

Deux ordinateurs, un scanner et une imprimante 3D, une batterie de petits objets en plastique sur des étagères. À l’entrée du laboratoire d’électronique du centre mutualiste (La Mutualité française) de rééducation et de réadaptation fonctionnelles de Kerpape, à Plœmeur (Morbihan), se trouve le Rehab-lab.

Les portes de cet atelier sont toujours ouvertes. Et pour cause. L’équipe - trois ingénieurs, deux élèves de Polytechnique et une personne en service civique - accompagne les patients qui souhaitent concevoir et réaliser des objets sur des machines-outils.

Dans ce fab lab* du handicap, le patient conçoit les aides techniques personnalisées qui lui permettent de retrouver ou d’acquérir de l’autonomie : fourchette anti-tremblements, pousse-suppositoire, porte-sonde, porte-poubelles, cupules, joysticks, orthèses. Tout est sur mesure. « Aucun objet n’a de véritable appellation, regrette presque le Polytechnicien Armand. Nous les nommons au plus près des besoins. »

Si les scientifiques apportent la compétence technique et technologique, le Rehab-lab repose sur le « triptyque ingénieurs - patients - ergothérapeutes ». Les besoins sont exprimés par les patients, guidés par trente ergothérapeutes de quatre services. Ensemble, derrière l’ordinateur, ils donnent vie aux objets. Parfois, certains prototypes en plastique thermoformé sont fabriqués en amont. « Nous en faisons alors des objets numériques destinés à être créés par une imprimante 3D. »

Une heure peut suffire, comme pour ce porte-gobelet imaginé par une patiente pourtant « pas très à l’aise avec l’informatique ». Certaines aides demandent plus de temps : trois séances d’une heure pour un système d’attrape-bouteilles. Et jusqu’à quinze jours de recherches et d’usinage pour ce guide-doigts adapté à la morphologie d’une main. « L’impression de pièces complexes peut prendre plusieurs dizaines d’heures », explique Jérémy, en service civique, qui aide les patients dans le maniement de l’ordinateur.

Si le plastique reste le matériau roi, l’équipe travaille à sa déclinaison en de nombreuses formules : dur pour les aides à la préhension, souple pour le confort. Mais aussi fluorescent, magnétique, thermosensible et bio-sourcé. « À nous ensuite de penser aux applications possibles, se réjouit l’ingénieur Willy Allègre. Et elles sont nombreuses ! »

L’avantage ? « C’est très facile à reproduire en cas de destruction ou perte de l’aide technique, poursuit Willy Allègre. On rouvre le fichier et on le réimprime. Un gain en temps et en énergie. » Et d’argent, aussi, car l’objectif du Rehab-lab est bien la large diffusion des aides techniques à moindres frais.

Pour preuve, les patients concepteurs repartent avec le fichier. « Ils peuvent ainsi le faire réimprimer au besoin, à la maison, dans un fab lab près de chez eux, ou via des sites en ligne dédiés, se réjouit Willy Allègre. Même si nous passons beaucoup de temps à la réflexion et à la conception, plus un objet est reproduit et plus son coût baisse. » Une bobine de 1 kilo de plastique coûte entre 20 et 30 €, et le logiciel 123D Design est libre d’utilisation. Le plus cher reste l’imprimante 3D (à partir de 3 000 €).

130 objets en un an et demi

Depuis sa création en février 2016, le fab lab a produit 130 objets et accueilli 60 patients. « Il n’y a ni âge ni patient type, expliquent les techniciens. En revanche, ils sont tous curieux, ont une appétence pour la technologie et ont l’envie du faire eux-mêmes. C’est la génération DIY [Do It Yourself]. »

Laboratoire unique en Europe à être intégré à un centre de rééducation, le Rehab-lab fait des émules. D’autant que les fichiers des aides techniques sont versés sur des sites de partage d’objets en trois dimensions. « Si quelqu’un dans le monde a besoin d’une aide technique similaire, il peut la télécharger », glisse Jean-Paul Departe.

Un nombre croissant de demandes et de conseils, émanant de professionnels et d’établissements de France, a poussé le centre à ouvrir des formations à destination des ergothérapeutes. La première session aura lieu en 2018. « Pour nous, il s’agit de diffuser ce mode de fonctionnement participatif. »

* Un fab lab, laboratoire de fabrication, est un lieu ouvert au public, où sont mises à disposition des machines-outils pilotées par ordinateur pour la conception et la réalisation d’objets.