« Ils m’ont dit qu’ils étaient prêts… » - L'Infirmière Libérale Magazine n° 341 du 01/11/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 341 du 01/11/2017

 

Fin de vie

L’exercice au quotidien

Laure Martin*   tOad**  

Josette*, infirmière libérale dans le Sud, a été amenée à procéder à « l’injection d’un médicament sans retour » auprès d’un patient en fin de vie …

« Un prestataire de santé m’a proposé de prendre en charge un patient de 85 ans, de retour d’hospitalisation, atteint d’un cancer pulmonaire métastasé, souffrant d’une insuffisance respiratoire aiguë, de douleurs généralisées, d’escarres… Il était sous oxygène avec bonbonnes de neuf litres, sonde urinaire, perfusion, pompe à morphine… Il souhaitait s’éteindre à domicile, auprès de sa famille. Tous les actes de la vie courante étaient une torture à réaliser. Je passais deux fois le matin pour deux heures, une fois l’après-midi pendant une heure trente et deux heures le soir. Certains jours, mon remplaçant faisait le reste de ma tournée. Cette prise en charge a été très difficile, d’autant plus que la famille ne souhaitait pas trop d’intervenants. Je me suis rapprochée d’un réseau mais le patient est décédé avant la mise en place des interventions. Le médecin n’avait pas demandé l’affection longue durée. Et ce patient semblait “coûter” trop cher pour une structure d’hospitalisation à domicile. Un jour, son fils a fait part à l’oncologue de la complexité de la situation. Ce dernier lui a donné une ordonnance, lui disant que je saurais quoi faire avec… Il avait prescrit de l’Hypnovel [midazolam], avec un protocole très précis. Ce médicament endort la conscience. J’ai dit à la famille que le choix de cette injection était sans retour. Ils ont fait un conseil de famille. Le lendemain, après avoir chanté avec ce monsieur toute la journée, ils m’ont appelée à 23 heures pour me dire qu’ils étaient prêts. J’ai préparé le médicament et ils m’ont laissée avec le patient, qui, à son tour, m’a dit qu’il était prêt. C’était terrible. Les généralistes ne viennent pas à domicile pour ça… J’ai fait l’injection et, progressivement, le corps a supprimé tout ce qui était superflu. Mon patient est décédé, un mois à peine après son retour à domicile. Pour la famille, cela a été un soulagement car il souffrait terriblement. J’ai fait un poème pour évoquer le dernier battement de cils. Depuis, j’ai arrêté de prendre en charge des fins de vie car on n’en sort jamais indemne. Être infirmier, ce n’est pas faire que du palliatif ou du curatif. Aujourd’hui, en parallèle, je fais aussi des soins de bien-être, avec rééquilibrage alimentaire, modelage, reiki. »

* Prénom modifié.

Ce qu’il faut faire, ce qui est fait…

L’une des trois IDE auxquelles nous avons soumis ce récit nous le confirme :ce qui est décrit ici existe. Mais plusieurs points interpellent notre trio de commentatrices. La solitude de cette Idel, d’abord, alors que la fin de vie nécessite en théorie un travail collectif, comme le montrent notre cahier (p. 33) et le point sur la sédation profonde et continue, qui nécessite une réflexion collégiale et la présence d’un médecin lors de l’induction (p. 48). Le possible flou de certains mots aussi : « L’oncologue a dit que je saurais quoi faire », « une injection sans retour ». Rappelons que la sédation profonde et continue telle que la loi la dessine conduit à un endormissement ; l’usage de l’Hypnovel, hypnotique et sédatif à action rapide, ne vise pas à conduire à la mort.

Dans cette rubrique, priorité est donnée à la parole, subjective, marquée par l’émotion, sur une expérience, pour le meilleur et pour le plus difficile, voire pour le pire, y compris pour l’Idel. Une parole prononcée au cœur du réel, et pas toujours au plus près des standards et des “recos”.

La rédaction