Au rendez-vous d’Internet - L'Infirmière Libérale Magazine n° 341 du 01/11/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 341 du 01/11/2017

 

MISE EN RELATION PATIENT/INFIRMIÈRE

Sur le terrain

Enquête

Sandra Mignot  

En quelques années, les services de mise en relation patients/infirmiers se sont multipliés. S’ils n’ont pas encore convaincu tous les professionnels, leur déploiement suscite la stimulation d’une concurrence inédite. Et des inquiétudes déontologiques.

« Je suis la première, je crois, à m’être inscrite en tant qu’Idel sur Doctolib, à l’été 2015, explique Corinne Pocholle, infirmière libérale dans un centre médical parisien. Tous les autres professionnels du centre utilisaient déjà la plateforme, moi je m’installais tout juste et il fallait que je monte ma patientèle. » L’Idel reconnaît pourtant qu’elle n’a pas le temps de mettre quotidiennement son planning à jour. « Mais j’ai une permanence téléphonique chaque soir, pendant laquelle je peux rappeler les patients qui m’ont laissé des messages. Cela m’apporte en moyenne deux rendez-vous par jour, ce qui rentabilise l’abonnement. » Cette infirmière n’utilise donc pas la fonction de prise de rendez-vous en ligne, le grand plus mis en avant par les nombreuses plateformes qui se sont lancées sur ce nouveau marché depuis le début des années 2010.

Économiser du temps administratif

Leur argument principal : faire économiser jusqu’à 30 % du temps administratif aux professionnels de santé (notamment celui passé à gérer leur agenda). Mais aussi diminuer le nombre de rendez-vous non honorés. Deux problématiques qui ne concernent pas les infirmières libérales de la même manière que les médecins, compte tenu de leurs déplacements à domicile pour des soins précis, qu’il faut au préalable organiser avec le patient. Aussi la profession ne s’est-elle pas précipitée sur l’offre. À titre d’exemple, Doctolib affiche 20 % de paramédicaux parmi ses abonnés, sans donner plus de précisions. Mais une rapide recherche sur le site montre qu’hormis à Paris, où ils se comptent sur les doigts des deux mains, les abonnés Idels sont excessivement rares. Alors d’autres entreprises se saisissent de l’opportunité pour développer un service plus adapté.

La société Libhéros a ainsi été créée en décembre 2015 par une infirmière, Florence Herry, et un spécialiste de la finance, Jean-Christophe Klein, pour mettre sur le marché une application pour smartphone. « Les patients se connectent avec l’adresse de leur domicile, le type de professionnel recherché (infirmière libérale, kinésithérapeute ou sage-femme pour l’instant), le type de soins prescrits et la date de début des soins souhaitée, puis nous leur proposons une liste de professionnels de santé correspondant à ces critères », résume l’infirmière devenue entrepreneur. De son côté, le professionnel inscrit auprès de Libhéros aura indiqué sa zone d’activité, ses disponibilités par créneaux horaires et sa spécialité s’il en a une. Il pourra accepter le soin, le caler dans le créneau horaire qui lui convient, éventuellement le décaler s’il est en retard, voire l’annuler…

Le fonctionnement de Medicalib, lancé en 2016, et exclusivement réservé aux infirmiers – l’entreprise revendique 700 infirmiers dans une quinzaine de villes en France –, est assez proche. Le professionnel inscrit reçoit, par SMS, une demande de soin anonymisée, puis, s’il l’accepte, le numéro de téléphone du patient afin d’organiser la visite. Le créateur de Medicalib, fils d’infirmière libérale, a créé le site seul, et le met actuellement en conformité avec les règles de protection des données personnelles. « Au départ, nous demandions très peu d’informations au patient, mais nous avons affiné, alors nous voulons être nickel », explique Mathieu Lardier.

En fonction de l’âge…

Dans l’ensemble, ces plateformes précisent ne pas commercialiser les données de leurs abonnés. Pour autant, sur le plan de l’éthique et de la déontologie, l’apparition de ces nouveaux services dans le secteur de la santé pose question. Quid du libre choix de son praticien par le patient, si celui-ci s’informe uniquement via les plateformes ? Et quid des applications qui attribuent une demande de soins à un seul professionnel ? Ou, plus simplement, à celui qui répondra le plus vite à la demande ? Enfin, les sites vérifient-ils tous la qualification professionnelle de leurs inscrits ? Sur www.trouver-une-infirmiere.com, par exemple, on peut s’inscrire sans numéro Adeli. Au passage, on notera également que l’on peut rechercher sur cet annuaire en ligne un professionnel en fonction… de son âge. « J’ai créé cette plateforme à partir de mon expérience personnelle, justifie son fondateur Boubziz Naïm. Lorsque j’ai dû moi-même trouver un infirmier libéral pour des soins après une hospitalisation, je recherchais quelqu’un d’expérimenté, donc l’âge m’est apparu pertinent. » Le site propose également d’inclure des avis de patients, avec un contrôle de la part de l’infirmier pour s’assurer qu’il ne s’agit pas de commentaires abusifs. « J’ai moi-même déjà retiré des avis après m’être aperçu qu’ils étaient émis par une infirmière elle-même », observe le responsable du site, qui est par ailleurs un professionnel de la sécurité informatique. Le Conseil national de l’Ordre des infirmiers se prononce pourtant en défaveur de tels avis de patients (lire p. 52). Et il doit prochainement publier les recommandations de sa commission éthique et déontologie relatives aux plateformes de services en ligne. « Dans l’ensemble, il est très difficile de suivre tous les services qui se créent aujourd’hui, observe Karim Mameri, secrétaire général de l’Ordre national des infirmiers. Chaque semaine peut voir apparaître une nouveauté devant laquelle les infirmiers doivent en permanence conserver à l’esprit les règles déontologiques de la profession. Car ces plateformes ne sont pas toutes créées par des experts de notre cadre de travail. S’ils ont des questions, ils ne doivent pas hésiter à s’adresser à leur conseil départemental ou interdépartemental. » Et de rappeler que toute insertion payante dans un annuaire est considérée comme de la publicité, donc interdite (article R 4312-69 du Code de la santé publique).

Troisième voie

Face à ces interrogations déontologiques, une troisième voie a également vu le jour, avec des plateformes pour l’instant sans but lucratif, créées par des Idels pour des Idels. « Nous voulons des plateformes éthiques et déontologiques, où il n’y aura pas à terme un risque de tri des patients ou des professionnels », explique Daniel Guillerm, vice-président délégué de la Fédération nationale des infirmiers. Il s’agit aussi d’éviter des coûts supplémentaires pour les cabinets qui pourraient à l’avenir être obligés de s’abonner à ces plateformes pour être connus des patients. Sans compter le risque que ces activités de mise en relation soient intégrées à des environnements favorisant des services d’hospitalisations à domicile. « Certaines sont actuellement financées par des industriels du monde de la santé qui investissent de plus en plus dans le soin à domicile »*, observe ainsi Daniel Guillerm. Inzee.care (société Idelyo) a été conçu par Abdel Iazza et Frédéric Beneat, avec le soutien d’étudiants de l’École centrale. Ce site, actuellement utilisé uniquement au sein de l’association Assolidel (lire notre n° 336 de mai 2017), permet aux infirmiers de s’inscrire gratuitement sur une plateforme où se connectent les hôpitaux parisiens pour préparer les sorties des patients. La solution a également été retenue par six Unions régionales des professionnels de santé (URPS) pour être mise à disposition – également gratuitement – des infirmiers de Bretagne, d’Occitanie, de Guadeloupe, des Hauts-de-France, de Nouvelle-Aquitaine et du Centre-Val de Loire. L’abonnement sera financé à l’année par les URPS, en fonction du nombre d’infirmiers présents sur leur territoire, à un prix défiant les solutions des start-up existantes. « Et ce n’est qu’une première vague, explique Daniel Guillerm, qui est également dirigeant de Sphère Consulting Santé, l’entreprise qui détient 50 % des parts d’Idelyo. Nous pouvons toucher 35 à 37 000 libéraux à ce jour, mais nous sommes en discussion avec trois autres régions. »

Gratuité et dotation

Dans le Sud de la France, un autre concurrent, www.moninfirmier.fr, s’apprête également à faire son entrée. Le site, un annuaire des infirmiers extrait de la base de données de l’Assurance maladie, existait en fait depuis 2009. Un site simple et gratuit. « Nous avions réalisé une étude de marché en 2011 pour voir comment nous pourrions développer l’activité, mais le résultat avait établi que jamais personne n’irait rechercher un infirmier libéral via le Web », s’amuse Franz Bousségui, Idel et créateur du site. Alors, quand lui et son équipe ont vu les plateformes se multiplier, ils ont repris le flambeau. « Ce n’est pas pour faire fortune, nous voulons simplement faire ce que nous aimons et défendre la profession », explique Franz Bousségui. Résultat : une nouvelle version du site (toujours gratuite pour les infirmiers) sera lancée le 20 novembre prochain, sous l’égide de l’URPS-PACA, qui a financé les frais de développement. « Tous les infirmiers inscrits dans la base de l’URPS y seront référencés. Ensuite, à eux d’activer le service qui leur permettra de recevoir par e-mail des propositions de soins. »

Mais les start-up n’ont pas dit leur dernier mot. « Nous aussi, nous souhaitons que tous les professionnels de santé aient accès à notre application, relève Florence Herry. Mon objectif initial, c’est que notre application soit conventionnée par la Sécurité sociale et que les soignants puissent bénéficier d’une dotation pour s’équiper… Mais, pour cela, nous devons d’abord prouver que nous sommes les meilleurs. »

* Début octobre, Libhéros a annoncé une levée de fonds de 1,1 million d’euros auprès d’investisseurs comme Air Liquide Venture Capital.

VIGILANCE SUR LA DÉONTOLOGIE

L’Ordre national des infirmiers s’apprête à diffuser des recommandations concernant l’usage des plateformes de services en ligne par les infirmiers. Concernant les plateformes de mise en relation, l’Ordre précise qu’elles ne portent pas atteinte aux règles déontologiques de la profession. Il convient néanmoins que chacun s’assure que la plateforme qu’il utilise n’entrave pas la règle du libre choix de son praticien par le patient ou celle de la confidentialité des données de santé. Le partage des honoraires est interdit, ce qui exclut totalement la possibilité de rémunérer une plateforme par le prélèvement d’un pourcentage sur les ressources de l’Idel. Enfin, ces recommandations stipulent que l’engagement à utiliser ces plateformes de services soit stipulé dans un contrat écrit qui puisse être transmis au conseil départemental ou interdépartemental qui pourra en vérifier la conformité avec les règles déontologiques.

Combien ça coûte

L’inscription sur une plateforme de mise en relation coûte de 20 à 109 euros par mois. Celles qui s’adressent spécifiquement aux Idels se situent dans la fourchette inférieure, entre 20 et 43 euros mensuels. Celles qui s’adressent en priorité aux médecins sont plus coûteuses mais proposent également des agendas en ligne, la constitution d’une base patients sécurisée, un service de rappel des patients par SMS, etc.