« Montrer le clitoris tel qu’il est » - L'Infirmière Libérale Magazine n° 340 du 01/10/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 340 du 01/10/2017

 

Point (s) de vue

Débat

Sandrine Lana  

La représentation du clitoris ne figurait pas dans les manuels de sciences de la vie et de la terre – ou bien de manière incomplète ou erronée. Pour cette rentrée scolaire, un éditeur l’a dessiné comme partie intégrante de l’appareil sexuel féminin. Analyse de cette première avec la chercheure Odile Fillod.

Vous avez modélisé le premier clitoris en 3D en 2016. Cette année, Magnard représente le clitoris en entier ; c’est une première pour un manuel de SVT. Êtes-vous optimiste en ce qui concerne l’évolution des mentalités en France ?

Odile Fillod : Sur ce sujet précis, oui. Cette année, une réelle prise de conscience a eu lieu dans le grand public. On a beaucoup parlé du clitoris dans la presse, à la télé… Plus aucun auteur de manuels de SVT ne peut aujourd’hui ignorer à quoi il ressemble. À l’avenir, d’autres éditeurs vont s’aligner, c’est certain. Mais les révisions de manuels ne se font qu’en cas de changement de programme. Or le programme de collège a été revu fin 2015, et une nouvelle mouture n’est donc pas pour tout de suite. En revanche, une révision des programmes de lycée, et donc des manuels, interviendra peut-être un peu plus tôt.

En 2013, vous aviez pointé les inégalités véhiculées par les manuels de SVT. Ceux-ci contribuent-ils aux inégalités entre hommes et femmes ?

O. F. : Oui, au même titre que nombre d’autres productions culturelles, mais avec une gravité particulière car ces manuels destinés aux jeunes sont censés refléter l’état des connaissances scientifiques, et non des préjugés. Or j’ai constaté qu’ils étaient porteurs de biais reflétant les stéréotypes de genre et les inégalités sociales entre les sexes. C’est dans ce cadre que j’ai relevé qu’aucun manuel ne comportait une représentation correcte du clitoris : il était soit représenté par son seul gland comme si c’était l’organe entier, soit carrément absent. De manière générale, les manuels tendent à accentuer artificiellement la bicatégorisation de sexe et à naturaliser certains rôles sociaux de sexe. Pour ne prendre qu’un exemple, les hormones gonadiques (dites “sexuelles”) sont catégorisées en hormones masculines (voire “mâles”) ou féminines alors qu’hommes et femmes les produisent, et on explique à tort que leur niveau est variable chez les femmes mais constant chez les hommes, ce qui renvoie au stéréotype de la femme qui souvent “varie”, est inconstante, voire versatile, opposé à celui de l’homme stable, fiable.

Ce constat a-t-il motivé la création du premier modèle de clitoris en 3D ?

O. F. : En préparant des vidéos pédagogiques(1) qui avaient pour objectif de prendre le contre-pied de ces biais, j’ai pensé que ce serait bien de montrer à quoi ressemblait vraiment un clitoris, à taille réelle et en entier. Pour ce faire, j’ai d’abord défini sa forme et sa taille en me basant à la fois sur des ouvrages anciens et sur des publications scientifiques récentes contenant des photos de dissections, des images obtenues par IRM, et des précisions sur les dimensions du clitoris. J’ai ensuite obtenu l’aide du Fab Lab(2) de la Cité des sciences de la Villette à Paris, dont une médiatrice a transposé mes indications et croquis en un fichier imprimable en 3D. Il est téléchargeable librement(3), ce qui a permis à tout le monde d’en profiter au-delà de mon souhait à court terme d’en montrer un spécimen.

Pensez-vous que le corps médical puisse un jour se saisir de ce modèle en 3D ?

O. F. : C’est déjà le cas. Il est utilisé dans des consultations pour femmes excisées et je collabore à un projet mené dans ce cadre qui vise à compléter le modèle en représentant la vulve en entier. Des sexologues, des membres de centres de planning familial et des personnes qui interviennent en éducation à la sexualité s’en servent également – en plus d’enseignants de SVT, qui étaient au départ le public visé.

Vous travaillez également sur les questions de genre et de représentation liées au sexe(4). De quoi s’agit-il ?

O. F. : J’analyse la production et la vulgarisation des discours scientifiques portant sur les différences biologiques entre femmes et hommes. Cela m’amène notamment à critiquer la façon dont certaines études sont (mal) relayées dans les médias ou ouvrages grand public, et aussi à relever des biais, qui, fréquemment, existent déjà dans les articles scientifiques eux-mêmes. J’ai par exemple traité le cas d’une étude faite sur des singes réputée avoir montré que filles et garçons avaient des préférences de jouets naturellement différentes, en montrant ce qui n’allait pas dans cette étude, son interprétation, et la façon dont elle était présentée(5). Les études de genre mettent bien en évidence les mécanismes sociaux et culturels de construction du genre. Par exemple, on a observé l’attitude différente qu’avaient des adultes accompagnant les jeux d’un enfant selon son sexe, le poussant vers certains choix et comportements plutôt que d’autres. C’est très utile et intéressant, mais il faut aussi regarder de plus près ce que les sciences du vivant disent à propos de l’existence de facteurs biologiques contribuant à la construction du genre, ne serait-ce que pour mettre en évidence, lorsque c’est le cas, que les théories concernant ces facteurs présentées comme scientifiquement fondées ne le sont pas ou sont caricaturées. C’est ce que j’essaie de faire.

Comment faire pour éviter les fausses informations en la matière ?

O. F. : Ce n’est pas évident quand on n’a ni les moyens ni le temps de rechercher les sources des informations. Certains indices peuvent néanmoins alerter : lorsqu’il n’y a aucune référence à des études scientifiques précises, dans le style « on sait que » ou « la science a démontré que… » sans autre précision, ce n’est jamais bon signe. J’invite en particulier à se méfier de la parole de médecins essayistes qui ne sont pas eux-mêmes chercheurs, qui s’expriment sur des sujets sortant de leur domaine d’expertise et/ou prêchent pour leur chapelle. Une vérification de base est aussi de s’assurer que la source de l’information qu’on consulte est a priori fiable, et pas d’ores et déjà connue pour être douteuse ou tendancieuse.

En quoi la “théorie du genre”, dont il a beaucoup été question ces dernières années concernant l’école notamment, relève-t-elle de la désinformation ?

O. F. : Dans les années 1990, sous la houlette du Vatican, les milieux catholiques conservateurs ont entrepris de lutter contre la progression dans le monde de l’accès des femmes aux droits reproductifs et de l’égalité pour les couples homosexuels. L’expression “idéologie du genre” a alors été forgée pour dénigrer tout ce qui remettait en question la famille traditionnelle et la morale sexuelle prônée par l’Église. Au début des années 2000, le prêtre et psychanalyste français Tony Anatrella a affiné cette rhétorique en forgeant le terme “théorie du genre”. En gros, l’idée est de convaincre que les évolutions sociales portées par les mouvements féministes et LGBT(6) sont contre-nature, et que ce “fait” serait nié par une prétendue théorie appelée “théorie du genre”. Cet argumentaire a notamment été repris par la Manif pour tous, un représentant notable de cette mouvance catholique réactionnaire.

(1) À voir sur matilda.education

(2) Un Fab Lab peut se définir comme « un atelier partagéde fabrication numérique ».

(3) À télécharger sur https://lc.cx/4Egu

(4) Sur le blog Allodoxia notamment.

(5) Cf. le lien raccourci bit.ly/JeuxSges

(6) Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres.

le contexte

1998 Reprise des travaux de recherche sur l’anatomie du clitoris par l’urologue australienne Helen O’Connell

2013 Analyse par Odile Fillod de quatorze manuels de SVT où le clitoris et les organes sexuels féminins ne sont pas représentés correctement

2016 Présentation par Odile Fillod du premier modèle de clitoris entier imprimable en 3D

2017 – Le manuel Magnard de SVT de 4e est le premier à représenter le clitoris entier

– Lancement par Odile Fillod du site Clit’info, mine d’or d’informations sur le clitoris, dont les premières évocations remontent au Ve siècle avant notre ère (https://odilefillod.wixsite.com/clitoris).