Secours à une personne victime d’une intoxication - L'Infirmière Libérale Magazine n° 339 du 01/09/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 339 du 01/09/2017

 

Cahier de formation

Savoir faire

DÉFINITION

Une intoxication correspond à un trouble engendré par la pénétration accidentelle ou volontaire d’un poison ou d’une substance toxique dans l’organisme par différentes voies :

→ ingestion : aliments contaminés, médicaments, drogues, alcool, produits domestiques… ;

→ inhalation : monoxyde de carbone, gaz carbonique, fumées d’incendie, gaz irritants, gaz toxiques, aérosols… ;

→ contact direct avec la peau ou les muqueuses : désherbants, pesticides, lessives, détergents, décapants… ;

→ morsure d’un animal ou piqûre d’insecte.

CRITÈRES DE GRAVITÉ

La gravité d’une intoxication dépend de la nature du toxique, de la dose ou de la durée d’exposition et de la voie de pénétration. Exemples :

→ pour les intoxications par inhalation ou injection, la gravité est liée à la rapidité d’absorption et à la diffusion tissulaire ;

→ pour les médicaments, le risque est plus important en cas de marge thérapeutique étroite (antiarythmiques, digitaliques, théophylline, colchicine) ;

→ pour le monoxyde de carbone (CO), la gravité est liée à la concentration de CO dans l’air et à la durée d’exposition ;

→ les toxiques à absorption rapide et à effets rapides tels les cardiotropes (digitaliques, bêtabloquants, certains anti-arythmiques), la chloroquine (Nivaquine) ou certains psychotropes par exemple, entraînent des risques vitaux précoces. Ils sont plus tardifs avec les toxiques à absorption lente comme les formes à libération prolongée ou à effets retardés (paracétamol). Ce qui peut faire sous-estimer une gravité potentielle ;

→ pour certains toxiques comme la théophylline, les digitaliques (digoxine et digitoxine) ou le lithium, la gravité est potentiellement plus importante lors d’intoxications chroniques que lors d’intoxications aiguës. Pour l’alcool et les psychotropes, c’est l’inverse.

TRAITEMENT

Dans le cas d’une intoxication aiguë, le traitement symptomatique est prioritaire : traitement des défaillances vitales (respiratoire, circulatoire, neurologique), des convulsions, d’une hypo- ou hyperthermie.

Peuvent être associés :

→ un traitement évacuateur pour prévenir l’absorption (lavage gastrique, administration de charbon activé…) ;

→ un traitement épurateur pour éliminer le toxique (diurèse forcée, administration de chélateurs, dialyse…) ;

→ et/ou un traitement par des antidotes spécifiques.

SYMPTÔMES

Ils sont très variés et peuvent concerner tous les organes. Les “toxidromes” ou “syndromes toxiques” recouvrent un ensemble de symptômes communs à une intoxication. Il existe autant de toxidromes qu’il y a de familles de produits susceptibles d’être responsables d’intoxication. Les principaux toxidromes sont le syndrome opioïde, de myorelaxation, anticholinergique, adrénergique, stabilisant de membrane, sérotoninergique et d’hyperthermie toxique.

Même si les symptômes varient en fonction de la nature du toxique, quelques signes sont habituellement observés en cas d’intoxication : nausées, vomissements, douleurs abdominales, troubles de la conscience, malaise, fièvre (en cas d’ingestion), maux de tête (en cas d’inhalation). D’autres troubles plus graves peuvent être observés comme un arrêt respiratoire ou cardio-respiratoire et une détresse vitale.

Le syndrome opioïde

Circonstances fréquentes : toxicomanie, surdosage iatrogène et intoxication aiguë aux morphinomimétiques (substance chimique exerçant un effet physiologique similaire à celui de la morphine).

Symptômes

Dépression respiratoire avec bradypnée, perte du contrôle volontaire de la respiration, voire apnée, pneumopathie d’inhalation. Sur le plan neurologique, les symptômes vont de la simple sédation au coma. Des nausées, des vomissements, une occlusion intestinale ou un prurit sont possibles.

Principaux médicaments en cause

Les principaux médicaments concernés sont les morphiniques naturels et de synthèse et les alpha-2-mimétiques présynaptiques (clonidine). La méthadone, en raison d’une durée d’action prolongée, génère un risque vital jusqu’à trois jours.

Le syndrome de myorelaxation

C’est le toxidrome le plus fréquent en France compte tenu de la grande consommation de benzodiazépines dans la population générale.

Symptômes

Les effets surviennent le plus souvent dans les deux à quatre heures. Notamment : ivresse benzodiazépinique avec dysarthrie, confusion et troubles de la vigilance, somnolence, ou coma calme, hypotonique. Chez la personne âgée, l’intoxication provoque une diminution voire une absence de tonus musculaire intense prolongée (myorésolution) sans coma profond. La gravité et la durée des symptômes dépendent de la tolérance du patient aux médicaments ingérés. Une dépression respiratoire à l’origine de pneumopathie d’inhalation est possible.

Principaux médicaments en cause

Toutes les benzodiazépines et les apparentés (zopiclone, zolpidem), les barbituriques, les carbamates (Equanil), certaines phénothiazines et l’alcool, surtout en association.

Le syndrome anticholinergique

Symptômes

Ils apparaissent dans un délai d’une à quatre heures et traduisent une défaillance des fonctions vitales. Notamment : sécheresse cutanéo-muqueuse, soif, hyperthermie, mydriase, tachycardie, délire, agitation, hallucinations, hyperventilation, rétention urinaire ou convulsions précoces, qui sont un signe de gravité.

Principaux médicaments en cause

De nombreux médicaments peuvent entraîner un syndrome anticholinergique parmi lesquels les antidépresseurs tricycliques et tétracycliques, les phénothiazines, les butyrophénones, la quinidine, l’atropine, les antihistaminiques, les antiparkinsonniens et les collyres à l’atropine en cas d’ingestion.

CONDUITES À TENIR

En fonction de l’état de la victime : il faut la placer en position latérale de sécurité si elle est inconsciente, ou pratiquer le bouche-à-bouche si elle est en arrêt respiratoire.

En cas d’ingestion

Origines

L’intoxication peut-être volontaire, accidentelle ou liée à une erreur de dosage. La présence de comprimés, boîtes de médicaments vides, de flacons “suspects”, non identifiés, bouteilles d’alcool, peuvent orienter sur l’origine de l’intoxication. Les intoxications aiguës par ingestion médicamenteuse sont fréquentes et de gravité variable.

Ce qu’il faut faire

Les premiers soins consistent à prendre en charge une éventuelle détresse vitale et à communiquer les éléments cliniques et environnementaux, ainsi que le détail des soins prodigués aux services de secours et d’hospitalisation :

→ effectuer les gestes de premiers secours nécessaires ;

→ appeler le centre 15 en cas de détresse vitale ;

→ déterminer les circonstances de survenue en interrogeant la personne et son entourage : la nature du ou des toxique (s) absorbé (s), sa/leur dose et l’heure d’absorption ;

→ conserver les emballages et les flacons des produits ;

→ ne pas faire vomir, ne pas faire boire et ne rien administrer par la bouche, sauf avis médical ;

→ si la situation ne présente pas de gravité immédiate, demander un avis médical au centre antipoison de la région, alerter le centre 15 en cas d’urgence vitale.

En cas d’inhalation

Origines

Le toxique se présente sous forme de gaz ou de fines particules liquides en suspension. Le nuage toxique peut être visible et/ou s’accompagner d’une odeur désagréable ou irritante. D’autres gaz mortels sont totalement inodores et invisibles, comme le monoxyde de carbone par exemple.

Ce qu’il faut faire

→ Se protéger du toxique soit en restant à distance si nécessaire, soit en supprimant la cause et/ou en aérant le local.

→ Effectuer, si possible, un dégagement de la personne pour la soustraire le plus rapidement possible à l’environnement toxique le cas échéant.

→ Réaliser le bilan d’urgence vitale et les gestes de secours à distance de l’atmosphère toxique.

→ Alerter ou faire alerter le centre 15 ou le centre antipoison (voir les numéros ci-contre).

CAS PARTICULIER DU MONOXYDE DE CARBONE

Contexte

Chaque année, 1 000 notifications concernant des ménages accidentellement intoxiqués par le CO sont recueillies dans le cadre du système de surveillance épidémiologique dédié. La moitié de ces ménages est propriétaire de son logement. Si la principale source d’intoxication est la chaudière, d’autres sources sont en constante augmentation depuis quelques années, comme les braseros/ barbecues, les appareils de chauffage d’appoint mobile (poêle à pétrole ou au gaz non raccordé) ou les groupes électrogènes utilisés dans un lieu clos.

Circonstances évocatrices

Les symptômes d’une intoxication au CO étant peu spécifiques, ce sont les circonstances de leur apparition qui peuvent faire suspecter une intoxication par libération de CO. Exemples : malaise dans une salle de bain équipée d’un chauffe-eau au gaz, plusieurs personnes présentant des signes communs tels des maux de tête, des vertiges, des nausées ou des vomissements, ou lorsque ces symptômes surviennent toujours dans le même espace et disparaissent en dehors de cet endroit.

Signes cliniques

Ils ne sont pas spécifiques. Les symptômes de l’intoxication sont la conséquence du manque de dioxygène à cause de la fixation du CO sur l’hémoglobine qui empêche ces globules de véhiculer correctement l’oxygène dans l’organisme. La fixation du CO sur l’hémoglobine est accélérée par l’effort à cause de l’augmentation du débit cardiaque et de la ventilation. Le CO est aussi responsable d’une toxicité cellulaire dépendante de la durée d’exposition.

Les intoxications légères ou “bénignes”

La personne présente au moins un signe de type asthénie, faiblesse musculaire, céphalées, troubles de l’équilibre, du comportement, troubles visuels, nausées, vomissements, malaise, somnolence, confusion, voire brèves pertes de conscience.

Ces symptômes non spécifiques peuvent être confondus avec ceux d’une intoxication alimentaire ou un début de grippe.

Les intoxications graves

Les signes d’intoxication grave sont un coma hypertonique, une contraction des muscles de la mâchoire (trismus), des convulsions, une hyperthermie, des sueurs et une coloration rouge cochenille des téguments (rare et grave), une hypertension artérielle, des troubles musculaires, une détresse respiratoire, une tachycardie, des troubles du rythme et un infarctus du myocarde possible.

Ce qu’il faut faire

→ Ne pas pénétrer dans un espace où se trouve une victime inconsciente sans avoir évalué la situation.

→ Entrer tout en retenant sa respiration.

→ Évacuer si possible les victimes valides.

→ Ouvrir immédiatement les fenêtres ainsi que les portes du logement.

→ Appeler les services d’urgence (18 ou 15).

→ Rechercher un appareil susceptible de dégager du CO (poêle, appareil à gaz, moteur à essence…). Interrompre son fonctionnement si possible (un appareil au charbon ne peut pas être arrêté).

→ Sortir la ou les victime (s) du local.

→ Si la victime ne respire plus, commencer la réanimation.

→ Si la victime respire, l’installer en position latérale de sécurité.

Cas pratique

Vous arrivez chez Mme P. pour refaire son pansement. Elle vous dit avoir des maux de tête depuis plus d’une heure et le paracétamol ne l’a pas soulagée. À ce moment, son mari arrive du garage en se plaignant aussi de forts maux de tête et de nausées. Il a l’air confus et s’assoit au sol.

Vous entendez un bruit de moteur qui arrive du garage, vous regardez par la porte restée ouverte et vous voyez un groupe électrogène en marche. Vous bloquez votre respiration, vous refermez la porte et vous ouvrez toutes les portes et les fenêtres de la pièce où se trouvent M. et Mme P. Vous pouvez aussi arrêter l’appareil. M. P. ayant perdu connaissance, vous l’installez en position latérale de sécurité. Pendant que vous surveillez son pouls et sa respiration, vous demandez à Mme P. d’appeler les pompiers pour suspicion d’intoxication au monoxyde de carbone.

Entretien Docteur Jerôme Langrand Médecin toxicologue au Centre antipoison et de toxicovigilance (CAPTV) de Paris

Quand alerter un centre antipoison ?

Quand alerter le centre antipoison plutôt que le 15 ?

À partir du moment où il y a une intoxication avec un produit quelconque, une plante, une pollution, un médicament, un produit ménager, une piqûre d’insecte ou autre, les médecins, infirmières et pharmaciens des CAPTV ont une formation en toxicologie médicale qui leur confère une expertise en la matière. Ils détiennent la composition précise des différents produits commercialisés en étant garants du secret industriel. L’appel au CAPTV permet d’avoir une conduite à tenir à domicile et d’éviter la médicalisation dans de nombreux cas. En revanche, en situation d’urgence vitale immédiate, l’appel doit être fait au SAMU, et c’est le médecin du SAMU prenant en charge les symptômes qui nous contacte pour traiter la toxicité du produit de façon adaptée.

Comment se déroule un appel au centre antipoison ?

Les appels sont régulés comme ils le sont au SAMU, sous forme d’une consultation médicale à distance par téléphone. Des questions sont posées concernant la victime comme l’âge, le poids ou les antécédents médicaux. D’autres questions concernent le produit toxique, par exemple son nom exact, la quantité ingérée, la voie d’entrée du produit, l’heure ou la durée de l’intoxication. Si les renseignements sont précis, ils permettent d’adapter précisément la conduite à tenir. S’ils sont moins précis, l’intoxication est traitée selon la catégorie ou la classe de produit.

Quelles conduites à tenir pouvez-vous proposer ?

Elles sont très variées et dépendent du produit. Par exemple, parmi les produits ménagers, il y a des produits dits “irritants moussants” qui ne sont pas corrosifs mais qui vont mousser. Il ne faut donc pas boire dans les deux heures qui suivent l’ingestion et surveiller la survenue de signes respiratoires. Pour un produit corrosif, les consignes sont “à jeun strict” et conduite à l’hôpital par un proche ou par le SAMU si nécessaire. Le CAPTV se met alors en contact avec le SAMU pour organiser la prise en charge.

Les centres antipoison sont-ils bien identifiés par la population et les professionnels ?

Les CAPTV sont des services d’hôpitaux publics qui reçoivent plus de 300 000 appels par an en France, dont plus de 50 000 à Paris. Un certain nombre d’appels qui concerneraient un centre antipoison arrivent au SAMU, car ceux-ci restent plus connus. Les appels les plus fréquents des infirmières concernent les erreurs médicamenteuses. En fonction du type d’intoxication, il peut leur être conseillé d’orienter le patient vers les services d’urgence ou de le garder sous surveillance avec orientation vers les urgences en cas de complications.

Info +

Centres antipoison et de toxicovigilance (CAPTV)

CAPTV de Paris (aussi compétent pour Guadeloupe, Martinique, Guyane…) 01 40 05 48 48

CAPTV de Marseille (aussi compétent pour La Réunion, Mayotte) 04 91 75 25 25

CAPTV d’Angers 02 41 48 21 21

CAPTV de Bordeaux 05 56 96 40 80

CAPTV de Lille 0800 59 59 59

CAPTV de Nancy 03 83 22 50 50

CAPTV de Toulouse 05 61 77 74 47

CAPTV de Lyon 04 72 11 69 11