Les IDE éclaireurs cherchent la lumière - L'Infirmière Libérale Magazine n° 339 du 01/09/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 339 du 01/09/2017

 

SANTÉ PUBLIQUE

Actualité

Murielle Chalot  

L’URPS-infirmiers de la région Auvergne-Rhône-Alpes a lancé un dispositif inédit de veille sanitaire infirmière libérale des événements indésirables, basé sur une application pour smartphone.

« Il y a quelques mois, un matin, l’une de mes collègues a trouvé sa patiente par terre : elle était tombée la veille et avait passé la nuit sur son carrelage », témoigne Isabelle Bizieau, infirmière libérale à Bellerive-sur-Allier (Allier). C’est ce qu’on appelle un événement indésirable, comme en rencontrent régulièrement les Idels dans leur pratique professionnelle, sans vraiment pouvoir les recenser, les tracer et les analyser pour espérer en réduire la fréquence et la gravité, voire les éviter.

Deux types de signalement

Début avril, l’URPS (Union régionale des professionnels de santé)-infirmiers d’Auvergne-Rhône-Alpes (AURA) a lancé un outil mobile destiné à pallier cette carence : l’application Infirmiers éclaireurs(1), téléchargeable gratuitement sur smartphone, se veut le support technique de « la première veille infirmière libérale au monde » en permettant aux soignants de ville de signaler les événements évitables à pronostic morbide dont ils ont connaissance dans l’exercice de leur métier. « Aujourd’hui, nos patients bénéficient de nos consultations et de la plus-value infirmière sans que celle-ci soit identifiée, reconnue, valorisée », constate Louise Ruiz, Idel élue à l’URPS AURA, à l’origine du projet. Objectif : rendre visibles les interventions consultatives infirmières tout en concourant « à mieux cerner les déterminants de santé de la région »(2). La veille sanitaire infirmière proposée repose sur deux types de signalement : clinique ou de dysfonctionnement, comme par exemple une sortie d’hospitalisation non sécurisée.

Une minute chrono

Facteur crucial pour que les Idels s’emparent de l’outil, le temps pour faire un signalement est estimé à une minute. « Toutes nos interventions n’ont heureusement pas vocation à faire l’objet d’un signalement », tempère Isabelle Bizieau, qui a téléchargé l’appli après en avoir eu vent lors d’une formation sur la consultation infirmière dispensée par sa conceptrice, Idel à Saint-Chamond (Loire). Elle « est très bien faite, très intuitive et rapide », confirme-t-elle, bien que n’ayant pas eu encore l’occasion de s’en servir au moment où nous l’avions interviewée, il y a quelques mois.

Plus de 400 de ses collègues ont déjà répondu à l’appel à volontaires de l’URPS pour participer à une “enquête de terrain” au moyen de cette nouvelle appli. Infirmiers-éclaireurs se prévaut ainsi de 6 798 signalements dans 4 095 communes réparties dans les douze départements d’Auvergne-Rhône-Alpes. Les données recueillies, analysées par un comité scientifique dédié, « pourront servir la communauté infirmière dans la recherche et l’élaboration de nouvelles pratiques », s’enthousiasme Louise Ruiz, syndiquée à la Fédération nationale des infirmiers (FNI). La charte que sont invités à signer les infirmiers éclaireurs insiste sur « la participation à la construction de projets » : « l’analyse des données aura comme objectif à la fois d’identifier la qualité de santé de la population régionale et de proposer des projets sanitaires et sociaux à l’URPS, à l’Agence régionale de santé [ARS], à d’autres administrations et à d’autres structures », précise le texte.

Du pain sur la planche

Une perspective qui ne suscite pas que des réactions enthousiastes : « On nous demande dejà tellement de choses, sans que soient réellement valorisés notre travail et nos compétences, encore du bénévolat en perspective ? », s’interroge ainsi Marylène, infirmière libérale dans l’Ain, qui se dit « intéressée, mais sceptique », sur la page LinkedIn de Philippe Tisserand, président de la FNI. Et celui-ci de répondre à ses collègues circonspects par une autre question : « Vous pensez vraiment qu’on peut aujourd’hui commencer à revendiquer avant d’avoir apporté la démonstration que ce que nous avons à vendre est utile pour la collectivité ? »

Au vu de la réaction, pour le moins frileuse, de l’ARS lorsque nous l’avons sollicitée sur le sujet, l’appli Infirmiers éclaireurs semble avoir du pain sur la planche. « Nous ne finançons pas ce projet », indique-t-on à la direction de la communication de l’Agence, qui met en avant un autre dispositif, financé et promu, lui, par l’administration régionale : il s’agit des messageries sécurisées de santé, développées depuis 2010 en partenariat avec les plateformes régionales d’e-santé d’Auvergne et de Rhône-Alpes, qui consistent en des solutions numériques permettant aux professionnels de santé de ville et hospitaliers ainsi que du secteur médico-social de s’échanger des données en toute sécurité, grâce notamment au site Web MesPatients qui propose à ses utilisateurs une vue d’ensemble des dossiers des patients qu’ils prennent en charge. Ce projet-là, tout autant générateur de données, a été « co-construit lors de réunions de travail communes avec tous les professionnels », Idels compris, plaide l’Agence.

D’autres ARS se montreront peut-être plus réceptives : lancée dans la deuxième région de France par le nombre d’habitants, l’appli est reproductible ailleurs, assurent ses concepteurs.

(1) Pour devenir infirmier éclaireur, envoyez un mail à contact@infirmiers-eclaireurs.fr : vous recevrez un lien grâce auquel vous pourrez vous inscrire en quelques minutes (le numéro d’inscription ordinale et le numéro Adeli sont nécessaires).

(2) Les citations de Louise Ruiz sont extraites du blog de la FNI actualites-online.com.