Fragiles ou contagieuses - L'Infirmière Libérale Magazine n° 339 du 01/09/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 339 du 01/09/2017

 

ESSAI

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Parutions & sorties

Barbara Ehrenreich & Deirdre English

Est-il si loin, ce XIXe siècle décrit ici par deux écrivaines et militantes féministes, où la femme des classes supérieures était considérée comme malade par nature et par conséquent à mettre au repos et à “soigner” (jusqu’à subir de soi-disant traitements gynécologiques au nom d’une prétendue “psychologie de l’ovaire”), et celle des classes populaires comme une source potentielle de contagions ? Plus que des experts de la biologie, les médecins étaient aussi, voire d’abord, des agents de l’ordre social. Des dangers publics. En 1856, le taux de mortalité des femmes accouchant à la maternité de Port-Royal était ainsi dix-neuf fois plus élevé que lors des accouchements à domicile, et, jusqu’en 1912, se rendre chez le médecin constituait pour le patient états-unien moyen un risque plus qu’un bénéfice. En 1973, quand sort ce pamphlet qui fait suite à Sorcières, sages-femmes et infirmières (cf. notre chronique de mars 2016), les médecins se montrent moins disponibles pour les femmes des classes plus aisées, qui ne sont plus condamnées à l’oisiveté, et les femmes sont devenues le sexe fort, fortes d’une espérance de vie supérieure. Des avancées en termes de contraception, vaccination ou de salubrité publique sont aussi à noter, avec ambiguïté cependant : ce sont les femmes des classes moyenne et supérieure qui les ont arrachées pour “éduquer” celles des classes populaires, dont il fallait aussi éteindre la contagiosité et limiter l’absentéisme au travail. Surtout, dans la seconde partie du XXe siècle, la dépendance des femmes au corps médical subsiste, la grossesse reste médicalisée, le médecin en situation de quasi-monopole sur l’avortement et la contraception, les femmes considérées comme malades (mentalement et non plus physiquement…), les inégalités sociales entre femmes demeurent, avec des millions d’entre elles privées d’accès aux soins. « Ils nous tiennent par les ovaires, pour ainsi dire », résume en postface la doctorante Eva Rodriguez. Qui en appelle, comme les auteures, à une meilleure connaissance de soi des femmes, pour mieux appréhender les techniques de la médecine sans être soumises à son pouvoir.

→ Cambourakis, 160 pages, 2016. 18 euros.