Algues vertes, alerte rouge - L'Infirmière Libérale Magazine n° 338 du 01/07/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 338 du 01/07/2017

 

SANTÉ ENVIRONNEMENTALE

Actualité

Isabel Soubelet  

Si le sujet demeure sensible, en particulier pour ne pas effrayer les touristes, la question de la dangerosité des algues vertes en putréfaction sur les plages est bien réelle. Elle implique des mesures de prévention pour les populations et la protection des personnes qui participent à leur ramassage, transport ou traitement.

Ulva amoricana, ulva rotundata… Des appellations chantantes dont il faut pourtant se méfier. En période estivale, ces variétés d’ulves, plus communément appelées “algues vertes“, sont de retour sur les plages. Ce phénomène des marées vertes est connu en Bretagne depuis les années 1970. Des dizaines de communes sont concernées tous les ans et on estime que 50 000 tonnes d’algues sont ramassées par an mais beaucoup plus pourraient s’échouer. En effet, de nombreux sites restent inaccessibles aux engins, comme les terrains meubles type vasières ou les criques, appréciées des amoureux de nature sauvage. Ces laitues vertes pourrissent en 48 heures et dégagent des gaz toxiques tels que l’ammoniac et surtout le sulfure d’hydrogène, ou hydrogène sulfuré (H2S), qui peut entraîner la mort au-delà de certaines concentrations(1). Si les algues sont fraîches, elles sont sans danger. Tout l’enjeu est donc, en les ramassant quotidiennement, qu’elles n’atteignent pas le stade de la putréfaction.

Une longue histoire

En 2002, le programme Prolittoral, signé entre le Conseil régional de Bretagne, les conseils départementaux et l’Agence de l’eau Loire-Bretagne, a initié les premières opérations territoriales. Mais c’est en 2009, lors d’échouages massifs d’algues vertes ayant entraîné la mort d’un cheval et l’intoxication de son cavalier dans la Baie de Lannion à Saint-Michel-en-Grève (Côtes-d’Armor), que la dimension sanitaire du phénomène a été réellement mise en lumière. Ces faits ont notamment rappelé des événements antérieurs jusqu’alors non élucidés comme le décès de deux chiens survenu en juillet 2008 sur la plage de la Granville, dans la baie d’Hillion.

Dans la foulée, le gouvernement d’alors a lancé le premier plan algues vertes 2010-2015 qui concerne huit baies(2) dont les flux de nitrates doivent être réduits d’au moins 30 %. Ce plan repose sur trois volets complémentaires : un volet curatif, qui comprend des opérations de ramassage et de traitement des algues ; un volet dédié à l’amélioration de la connaissance du phénomène ; un volet préventif ciblé sur la diminution des fuites d’azote à l’origine de leur prolifération. Courant juillet, le deuxième plan algues vertes (2017-2021) devrait être effectif. De nombreuses communes ont pris des mesures et on assiste au ballet des tractopelles qui ramassent au quotidien les algues échouées du printemps à septembre sur une zone qui dépasse désormais la Bretagne et touche les Pays de la Loire, la Vendée, le Calvados et la Manche.

« Depuis le début des suivis en 2002, 2017 est l’année la plus précoce avec, en avril, des volumes six fois plus importants, souligne Sylvain Ballu, responsable des suivis des proliférations au Centre d’étude et de valorisation des algues (CEVA). Cela s’explique par une prolifération d’une année sur l’autre. Nous avions un fort stock d’algues à l’automne 2016. Nous avons eu un hiver très calme avec neuf jours de houle contre une vingtaine habituellement et un printemps particulièrement ensoleillé qui a réchauffé les eaux, favorisant la prolifération d’ulves. » Les algues aiment les eaux claires, peu profondes, confinées et enrichies en azote.

Plages fermées

Au-delà de l’aspect quelque peu inesthétique et des nuisances olfactives caractérisées par une odeur “d’œuf pourri”, il s’agit bien d’une question sanitaire. Un point qui a mis du temps à être reconnu mais qui est désormais acquis, depuis notamment la publication en juin 2011 d’un rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). « Sur la question des risques sanitaires, nous sommes sur les mêmes conclusions que le rapport de l’Anses, prévient Cécile Robert, ingénieur d’études sanitaires en charge de la qualité de l’air à la délégation départementale des Côtes-d’Armor de l’Agence régionale de santé (ARS) Bretagne. Les informations et les consignes sont données aux maires des communes littorales concernées sous forme d’une lettre circulaire dans laquelle le préfet rappelle les instructions à suivre. Elles concernent la sécurisation des sites avec un ramassage quotidien, une information au public, une interdiction d’accès aux zones sensibles [par exemple, à l’heure de notre bouclage, de quatre plages d’Hillion] et la surveillance des zones à risque. Cette année, les consignes sont parties le 4 avril. En programmant un ramassage quotidien, on élimine le risque. Les mesures de prévention sont prises en amont. Au démarrage des actions, nous avons mis en place des campagnes en direction des écoles, des clubs de plage, des centres équestres, des personnels du milieu nautique et de tous les usagers. »

En revanche, en direction des personnels soignants ou des médecins, rien de spécifique ne semble avoir été fait… Une carence pointée par Claude Lesné, ancien chercheur au CNRS, spécialiste des polluants aériens. « Dès le départ, j’ai proposé des stages pour les médecins et des formations aux professionnels de santé car il faut être capable de faire tout de suite le lien avec les effets du H2S et les symptômes rencontrés chez les patients. Cela n’a pas vraiment été retenu alors je fais beaucoup de conférences pour alerter sur le sujet. »

En effet, une exposition répétée peut être à l’origine d’une irritation des yeux et des voies respiratoires à des degrés divers. Dès 2009, Laurence Marescaux, médecin inspecteur du travail à la Direccte Bretagne et pilote du groupe régional pour la prévention des travailleurs, a réalisé notamment avec le Carsat(3) Bretagne des fiches pratiques et un guide de bonnes pratiques pour la sécurité des travailleurs. « Dans ce travail collectif, nous avons caractérisé les situations à risque, notamment pour les travailleurs des entreprises de ramassage, et aujourd’hui les choses se sont vraiment professionnalisées », ajoute-t-elle. Pour Gilles Huet, délégué général de l’association de défense de l’environnement Eau et rivières de Bretagne, associée au deuxième plan algues vertes, « il est indispensable de prévenir le public du risque, bien sûr, mais cela n’est pas suffisant : il faut aujourd’hui une fermeture du robinet à nitrates ». C’est là une question très politique et économique en Bretagne. La présence des nitrates dans l’eau pointe quasi intégralement le modèle agricole productiviste et les élevages industriels (porc et volailles) si présents sur ce territoire.

(1) La valeur limite d’exposition du H2S est fixée à 10 ppm ou 14 mg/m3 sur quinze minutes d’exposition, et la valeur limite moyenne d’exposition à 5 ppm ou 7 mg/m3 sur huit heures. Ce gaz est toxique pour l’homme et mortel au-delà de 1 000 ppm ou 1 400 mg/m3.

(2) Huit baies : La Fresnaye, Saint-Brieuc, Lieu de Grève (Côtes d’Armor) ; Locquirec, Horn-Guillec, Guisseny, Douarnenez et Concarneau-Baie de la Forêt (Finistère).

(3) Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail.

UNE RECONNAISSANCE EN ACCIDENT DU TRAVAIL ?

Nouveau rebondissement dans l’affaire de Thierry Morfoisse, un chauffeur d’une entreprise de ramassage d’algues décédé d’une crise cardiaque sur son lieu de travail, en Bretagne, en 2009. Depuis, sa famille a lancé une procédure judiciaire pour faire reconnaître son décès par arrêt cardiaque comme accident du travail, causé par la toxicité (le H2S) des algues vertes. Le Tribunal de la Sécurité sociale a ordonné, le 15 juin, l’ouverture d’un débat entre la famille et la Caisse primaire d’Assurance maladie qui permettra de déterminer qui, des deux parties, devra prouver les causes du décès. Le résultat pourrait marquer le début de la reconnaissance de la dangerosité de l’algue pour les humains. « C’est un premier pas pour la reconnaissance de l’accident du travail, notre deuxième combat sera la reconnaissance du préjudice financier », déclare André Ollivro, président de l’association Halte aux marées vertes. Un prochain rendez-vous judiciaire est prévu le 19 octobre.

en savoir +

• Avis de l’Anses, “Algues vertes”, rapport d’expertise collective, juin 2011, édition scientifique (à consulter via le lien raccourci bit.ly/2snQjTa).

• Centre d’étude et de valorisation des algues : www.ceva.fr/fre/MAREES-VERTES

• Ineris (Institut national de l’environnement industriel et des risques), deux rapports d’étude d’août 2011 (bit.ly/2u664LR et bit.ly/2stkxza).

• Air Breizh, association agréée par le ministère chargé de l’Environnement pour la surveillance de la qualité de l’air en Bretagne : www.airbreizh.asso.fr

• “Guide pour la protection des travailleurs exposés – Algues vertes”, janvier 2016, édité par la Direccte (bit.ly/2snRt0S).

• ARS Bretagne, “Les algues vertes”, décembre 2016 (bit.ly/2trryVJ), “Notice informative sur les algues vertes” (bit.ly/2t82ZL0).

• “Plan de lutte contre les algues vertes 2017-2021, cadre général” (bit.ly/2uqrtOQ).