Surmonter la barrière de la langue - L'Infirmière Libérale Magazine n° 336 du 01/05/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 336 du 01/05/2017

 

LE SOIN AUX MIGRANTS EN PRATIQUE

Dossier

Pour traduire les propos d’un patient étranger, il arrive que les professionnels de santé, pour des raisons d’organisation ou par souci d’économie, passent par un proche du malade ou un collègue. Cette interprétation improvisée peut s’avérer imprécise, générer des contre-sens et avoir des effets dangereux. Par exemple, faire traduire par un enfant des récits de sévices ou de tortures subis par un parent peut le projeter dans le monde adulte et susciter des troubles. La présence d’un interprète médical et social professionnel peut donc faciliter la prise en charge d’un patient allophone (c’est-à-dire dont la langue maternelle diffère de celle, officielle, du pays). « Le fait de partager la langue du patient instaure une certaine confiance », souligne Sohainji Halder, interprète social et médical indépendant à Pantin(1). Car la langue, tout commela condition administrative ou financière des étrangers, ne peut entraver l’accès à la santé, comme l’indique le Code de la santé publique dans son article L. 1110-3 (lire l’encadré p. 25).

La “conversation triangulaire” en cas d’interprétariat médical

L’interprète en milieu social et médical « assure la communication et la compréhension interculturelles entre l’administration ou le médecin et les personnes étrangères ne maîtrisant pas, ou très peu, la langue française » et « aide et guide ces populations dans leurs diverses démarches », dans les hôpitaux notamment(2). « Il est très important que l’examen médical se passe pour le mieux car il peut déboucher sur un certificat qui, en cas de sévices corporels ou de maladie, sera présenté à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et pourra influencer l’octroi du statut. La meilleure manière d’aider le patient est d’être précis dans la traduction », explique Sohainji Halder. Il s’agit d’une conversation triangulaire (patient-interprète-soignant) qui se rapproche de la médiation interculturelle : l’interprète partage une langue mais également, au-delà des mots, des connaissances culturelles qui permettent de passer outre certaines barrières ou représentations que le patient pourrait se faire de la consultation médicale et, à l’inverse, les représentations qu’un soignant se fait d’un patient étranger. Au-delà de l’examen purement physique, la présence d’un interprète lors des premiers entretiens permet d’aborder d’éventuels problèmes sociaux et d’établir si le patient a déjà été suivi ailleurs. L’interprète peut intervenir à l’hôpital, en services sociaux ou en centres d’accueil sur demande.

Interprétariat et secret médical

« Lorsque je suis présent pour une consultation médicale ou sociale, je commence par indiquer au patient que je suis tenu au secret professionnel au même titre que le médecin, que je ne dirai rien à la préfecture, à l’Ofpra ou au CNDA [qui octroient les statuts administratifs aux personnes réfugiées], indique Sohainji Halder. Si un patient doit présenter des blessures au médecin et que je sens que ma présence le met mal à l’aise, je propose tout de suite de sortir et je rentre après l’examen. »

Combien coûte un interprète ?

Les coûts varient en fonction des combinaisons de langue et de l’entreprise (association, profession libérale, entreprise…) et de la rareté des langues pratiquées. Dans le cas d’un traducteur indépendant du français vers des langues “rares”, la traduction téléphonique varie entre 32 et 37 euros par heure. Une vacation d’une demi-journée est rémunérée entre 120 et 160 euros bruts. S’il est salarié, l’interprète est rémunéré 10 euros par heure. L’expérience du traducteur-interprète se répercute également sur ses tarifs(3). Les structures financent son recours sur leurs fonds propres.

Par qui se faire aider ?

Les associations disposant d’interprètes (ISM Interprétariat, Cofrimi, Migrations Santé, Asamla, Adate, Aptira, Mana…) et les interprètes indépendants spécialisés sont des ressources à ne pas négliger. Certaines associations ont adopté en 2012 une charte de bonnes pratiques du métier, la “Charte de l’interprétariat médical et social professionnel en France”.

1- En hindi, ourdou, bengali. Il collabore depuis 2009 avec le Comede, la Croix-Rouge et d’autres associations venant en aide aux migrants. Cette page a été réalisée avec son aimable collaboration.

2- Définition de l’université Paris-Diderot dispensant un diplôme universitaire d’interprète-médiateur en milieu médical et social, qui vise notamment à acquérir une connaissance des structures administratives et médicales.

3- Valeur à titre indicatif.

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