Les onychopathies iatrogènes - L'Infirmière Libérale Magazine n° 336 du 01/05/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 336 du 01/05/2017

 

Effets indésirables

Cahier de formation

Point sur

Maïtena Teknetzian  

Dysesthétiques, les onychopathies (ou atteintes unguéales) médicamenteuses présentent également des répercussions fonctionnelles, impactant la qualité de vie. Les anticancéreux sont les plus fréquemment incriminés.

Où agissent les médicaments toxiques pour l’ongle ?

→ Les onychopathies iatrogènes résultent de la toxicité de certains médicaments sur la matrice (située sous la lunule), le lit de l’ongle (sur lequel repose la plaque dure de l’ongle appelée “tablette”), les tissus périunguéaux, ou encore d’une agression vasculaire responsable d’hémorragie et d’œdèmes sous-unguéaux.

→ Plusieurs (voire tous les) ongles sont alors concernés, au niveau des mains et/ou des pieds.

Quelles sont les différentes onychopathies iatrogènes ?

Altération de la structure de l’ongle

→ La toxicité de certains médicaments sur la matrice fragilise les ongles et peut être responsable d’onychomadèses (décollements proximaux).

→ L’interruption de la synthèse de la matrice par certains médicaments (comme les cytotoxiques en particulier) peut aussi provoquer l’apparition de sillons transversaux (ou lignes de Beau) sur la plaque de l’ongle.

→ L’atteinte du lit de l’ongle peut quant à elle être responsable d’onycholyses (décollements distaux, c’est-à-dire débutant par le bord libre de l’ongle).

Modification de la couleur des ongles

→ Il peut s’agir de mélanonychie (coloration noire par activation des mélanocytes présents dans l’épithélium du lit et de la matrice) ou de leuconychie (taches blanches).

→ Les hématomes sous-unguéaux liés à une atteinte vasculaire affectent évidemment aussi la couleur de l’ongle.

Lésions péri-unguéales

Certains anticancéreux peuvent être responsables d’inflammation des replis de l’ongle (on parle de “paronychie” ou de “périonyxis”) et de l’apparition de petites tumeurs vasculaires bourgeonnantes appelées “botryomycomes”.

Quels sont les médicaments responsables ?

Les anticancéreux

Les anticancéreux sont les médicaments les plus fréquemment impliqués dans la survenue d’atteintes unguéales iatrogènes.

→ Parmi eux, certains cytotoxiques comme les taxanes (notamment le docétaxel Taxotère, qui a un tropisme particulier pour l’ongle) et les anthracyclines, mais aussi le cyclophosphamide (Endoxan), la capécitabine (Xeloda) et le 5-fluorouracile sont particulièrement incriminés dans la survenue de lignes de Beau, d’onychomadèse et d’onycholyse. 35 % des patients traités par taxanes sont concernés par des onychopathies.

→ Les taxanes peuvent aussi provoquer des hémorragies sous-unguéales et des dyschromies.

→ Les inhibiteurs de tyrosine kinase agissant sur l’angiogenèse (sorafénib Nexavar, sunitinib Sutent) sont responsables d’hématomes d’apparition spontanée sous la partie distale des ongles, chez 40 à 70 % des patients.

→ Les thérapies ciblées inhibant les récepteurs EGFR (epidermal growth factor receptor) comme l’erlotinib (Tarceva), le géfitinib (Iressa), le lapatinib (Tyverb) ou le cétuximab (Erbitux) sont quant à elles responsables de paronychies douloureuses et invalidantes.

Les médicaments photosensibilisants

Les médicaments photosensibilisants (psoralènes et plus rarement cyclines et quinolones) peuvent être responsables d’un décollement de l’ongle après exposition à la lumière (photo-onycholyse). Le pouce est typiquement épargné. Un érythème du dos de la main est souvent associé.

Autres médicaments

→ Les rétinoïdes par voie orale sont également impliqués dans la survenue d’onycholyse, d’onychomadèse et d’inflammation de replis péri-unguéaux.

→ Selon une enquête publiée aux États-Unis, le voriconazole pourrait être responsable de modifications ou de pertes des ongles.

→ La phénytoïne (Di-Hydan), prise au cours du premier trimestre de la grossesse, peut induire des hypoplasies des phalanges distales et des anomalies unguéales chez le nouveau-né.

Quelles sont les complications ?

→ Les onychopathies iatrogènes sont mal vécues par les patients car elles sont sources de souffrance psychologique et physique. Elles sont non seulement inesthétiques, mais ont aussi des répercussions fonctionnelles sur la préhension, la statique et la marche, perturbant la vie quotidienne.

→ Les paronychies sont susceptibles de se surinfecter et d’évoluer vers un ongle incarné, pouvant nécessiter une intervention chirurgicale.

→ Le plus souvent réversibles après l’arrêt du médicament responsable, les onychopathies iatrogènes peuvent persister plusieurs mois (six mois pour les doigts et jusqu’à dix-huit mois pour les orteils).

L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêts.

Prévenir la toxicité unguéale des anticancéreux

→ Éviter les activités pouvant entraîner des traumatismes des ongles, porter des chaussures larges et souples, des gants pour les travaux humides et ménagers.

→ Couper les ongles des pieds au carré, éviter de pousser les cuticules.

→ Appliquer sur les ongles deux couches de vernis au silicium (pour renforcer les ongles), puis un vernis foncé opaque (afin de protéger les ongles de la lumière et de masquer une éventuelle coloration disgracieuse). Retirer le vernis avant les consultations de façon à permettre la surveillance des ongles. Utiliser un dissolvant doux sans acétone.

→ Certains hôpitaux proposent le port de doigtiers et chaussons réfrigérants pendant la cure de chimiothérapie.