Tournée vers l’histoire - L'Infirmière Libérale Magazine n° 334 du 01/03/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 334 du 01/03/2017

 

PYRÉNÉES-ORIENTALES

Initiatives

Sandra Mignot  

Dans les montagnes au-dessus de Perpignan, Myriam Frantz a créé un musée de la vie quotidienne. Une initiative qui lui permet de se plonger avec délice dans l’histoire récente des Français et de s’enrichir de leurs souvenirs.

À flanc de montagne, le petit utilitaire rouge de Myriam roule en direction du village de Sournia. L’Idel a élu domicile dans les Pyrénées-Orientales en 2002, après avoir vécu une dizaine d’années en Haute-Savoie et passé son enfance dans les Vosges. « Alors, les routes d’altitude et les villages isolés, je connais. » Aujourd’hui, pourtant, l’infirmière n’est pas en tournée. Sa destination : le musée de la vie quotidienne, qu’elle a installé depuis deux ans dans un petit village d’à peine 500 habitants.

« Avant l’époque des déchetteries »

Le coffre de sa voiture déborde des dernières trouvailles qu’elle vient installer dans l’établissement : des poupées des années 1960, du matériel de cuisine d’autrefois en version jouet, des prospectus des années 1950 à 1970 qui vantent des produits de consommation courante… « Je crois que j’ai une âme d’archéologue », s’amuse-t-elle en farfouillant dans les trésors qu’elle a choisi d’exposer dans les différentes ambiances recréées au sein d’une petite maison de montagne avant la réouverture du musée, en avril. « Ce qui me plaît, c’est de partager. L’histoire, le patrimoine et les histoires que les gens racontent par rapport aux objets, à la vie d’avant. J’ai fait beaucoup de recherches sur ces marques qui ont plus de cent ans et qu’on utilise encore. Ce sont des histoires de familles, avec une idée, un premier produit puis toute une industrie qui se construit et est reprise par les générations suivantes. »

La passion de Myriam pour la chine remonte à son enfance. Issue d’une famille modeste, elle a l’habitude de visiter les dépôts d’ordures sauvages avec son père, et d’y récupérer ce qui est recyclable. « C’était avant l’époque des déchetteries. Les gens jetaient des choses en forêt, là où ils pensaient que cela ne se verrait pas. Mon père, lui, il y trouvait des trésors. Avec deux vélos cassés, il pouvait en reconstituer un, par exemple. » En grandissant, avide d’indépendance, Myriam se met en quête d’un métier qui lui permettra de s’assumer rapidement. « Je rêvais de construire des bateaux, mais nous vivions dans les Vosges, ce n’était pas très accessible. J’ai ensuite pensé devenir infirmière militaire. À l’époque, on pouvait entrer dans l’armée, y apprendre le métier, mais il n’y avait pas d’équivalence avec la carrière civile. Il m’aurait fallu repasser le diplôme en Ifsi si j’avais voulu basculer. Donc je me suis dit qu’il valait mieux intégrer directement un institut, dont le diplôme serait reconnu dans le civil comme dans l’armée. »

« Cela me plaît, cette autonomie »

Très vite, cependant, Myriam comprend que « la hiérarchie, ce n’est pas [son] truc ». Exit le projet militaire. Une fois son diplôme obtenu, elle se dirige vers la Côte d’Azur pour y chercher son premier poste. « Je suis restée trois mois à l’hôpital public, puis j’ai raccroché. J’ai fait quelques remplacements en clinique, j’ai rencontré mon mari, et nous sommes partis nous installer en Haute-Savoie. » Là, l’infirmière alterne à nouveau des remplacements, en clinique et en libéral. « À cette époque, les Idels installés pouvaient salarier d’autres infirmiers, mais quand j’ai compris la différence entre ce qu’ils touchaient et ma rémunération, j’ai rapidement cherché à m’associer dans un premier cabinet. » Son époux, lui, ouvre un atelier de sculpture sur bois, régulièrement visité par des touristes. « Nous avons eu l’idée de créer un petit musée du bois avec tous ces ustensiles que les montagnards utilisaient entre 1860 et 1950. » Raquettes à neige, petit mobilier, instruments liés à l’élevage et à l’organisation du foyer… « Je trouvais les objets, faisais des recherches sur leur usage, leur histoire, et m’occupais de la muséographie. »

Lorsque Myriam et son époux se séparent, au tournant des années 2000, elle lui laisse la collection patiemment chinée. « C’était logique, cela fonctionnait avec son activité de sculpture. » Elle reconstruit sa vie à quelques kilomètres de Perpignan. S’ensuivent dix ans pendant lesquels elle se consacre à son métier et à ses enfants, alternant à nouveau entre des gardes de nuit en clinique et des remplacements, avant de trouver le cabinet dans lequel elle pourra s’installer. « Cela me plaît, cette autonomie, les rapports avec les médecins sont bons », s’enthousiasme-t-elle toujours, alors que son téléphone ne cesse de donner l’alerte pour transmettre les informations nécessaires à sa tournée du lendemain. « En plus, je travaille rapidement et je ne me lasse pas du relationnel avec les gens. »

En 2013, son ex-mari décède. Myriam gère sa succession. Elle se lance alors sur les traces de ses œuvres et de la collection qu’ils avaient constituée. Le virus muséal la saisit de nouveau. « Une partie de notre collection était louée à un autre musée que je ne pouvais pas priver de ces objets. » Elle se penche sur les créations du père de ses deux enfants et les objets qu’il avait conservés. Elle envisage de recréer un lieu d’exposition et même un chemin autour des œuvres que l’artiste avait installées dans les Pyrénées-Orientales. « C’est ainsi que je suis arrivée à Sournia, car le père de mes enfants y a sculpté deux anges pour l’entrée du cimetière. J’ai eu le coup de foudre pour ce village. »

« Mon musée à moi »

Le maire, ancien médecin, se montre intéressé. Il cherche à animer son village et propose à Myriam un espace d’exposition de 100 m2 dans la mairie. « J’ai commencé à élaborer un projet pour cet espace, puis le maire a suggéré d’envisager quelque chose d’itinérant entre plusieurs municipalités. » L’instinct d’indépendance de l’Idel se réveille immédiatement. « J’ai vu venir les difficultés, la coordination, la politique… Cela ne me faisait pas envie. En revanche, il y avait plein de maisons à vendre dans le village. Alors, tout en m’installant dans la salle de la mairie, j’ai décidé de devenir propriétaire dans la commune pour y installer mon musée à moi. » Et, pour être certaine d’y faire ce que bon lui semble, cette femme de caractère décide de créer une société par actions simplifiée unipersonnelle. « Je peux faire ce que je veux, sans rien demander à personne. Cela coûte cher, j’ai dû rénover la maison quasiment seule, j’ai des frais d’assurance importants pour un lieu qui reçoit du public et je chine régulièrement sur ebay, dans les vide-greniers, avec mes deniers personnels. Mais c’est ma marotte. Je ne suis pas portée sur les fringues, le maquillage et toutes ces choses-là, alors je me fais plaisir avec le musée. »

Souvenirs de grands-mères

Son univers, auparavant organisé entre les années 1860 et 1960, s’est finalement recentré sur la partie XXe siècle de la fourchette initiale. « J’ai de moins en moins d’objets du XIXe. Les gens en ont marre de l’art paysan. J’en expose un peu avec les sculptures sur bois. Mais ce qu’aiment mes visiteurs, c’est ce qui leur rappelle leur grand-mère ou leurs souvenirs de jeunesse. »

Au sous-sol, Myriam a recréé une classe des années 1950 avec son tableau noir, ses encriers et ses cahiers d’époque ; une chambre d’enfant avec ses jouets et sa décoration ; une pièce dédiée à l’art populaire de la montagne et aux sculptures sur bois. Au rez-de-chaussée, foisonnant, l’Idel a installé une épicerie. Un petit coin mercerie/couture est agrémenté d’une robe de mariée en dentelle de Calais donnée par une habitante du village. Un espace cuisine est organisé autour du four à pain, ainsi qu’un autre consacré à la coiffure et aux soins. « Je ne pouvais pas ne pas le faire, quand même », sourit Myriam.

Un grand mannequin est revêtu d’une tenue d’infirmière rappelant le début du XXe siècle. « C’est l’une de mes patientes qui l’a créée. » À l’occasion des soins à domicile, en effet, l’Idel évoque son musée. « Un jour je suis arrivée chez une patiente qui tricotait de la layette. Je lui ai dit que ça irait bien aux poupées que j’installe dans le musée pour animer les espaces. Cette vieille dame qui se remettait plutôt bien d’un AVC m’a tout de suite proposé ses services. Depuis, elle n’arrête pas de me réclamer de nouvelles poupées pour les habiller. » La patiente semble même en oublier ses soucis. « Mes collègues me disent qu’elle ne se plaint plus, elle n’a plus mal au dos, ni au genou. » L’infirmière espère pouvoir un jour amener la vieille dame dans son musée, pour qu’elle puisse voir le résultat de son investissement. Cet été, peut-être ? Pour la troisième saison consécutive, Myriam y assurera l’accueil cinq jours par semaine, après ses visites du matin, et en alternance avec sa mère et l’un de ses fils.