Histoire d’une bataille judiciaire - L'Infirmière Libérale Magazine n° 334 du 01/03/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 334 du 01/03/2017

 

“AFFAIRE VINCENT LAMBERT”

Votre cabinet

Geneviève Beltran*   Véronique Veillon**  

La bataille judiciaire sur le destin de Vincent Lambert, victime d’un grave accident en 2008, n’est pas encore terminée. Retour juridique sur ce dossier à partir du texte des décisions rendues.

Accident et évaluation

Vincent Lambert, infirmier psychiatrique, est victime le 29 septembre 2008 d’un accident de la circulation qui lui cause un grave traumatisme crânien et qui le rend tétraplégique et entièrement dépendant. Il est hospitalisé au centre hospitalier de Châlons-en-Champagne puis, après quelques mois passés au centre hélio-marin de Berck-sur-mer, au CHU de Reims, où il se trouve toujours. Il y est pris en charge pour tous les actes de la vie quotidienne et est alimenté et hydraté de façon artificielle par voie entérale, à savoir au moyen d’une sonde gastrique. En juin 2011, il fait l’objet d’une évaluation dans un service spécialisé de l’université de Liège, le Coma Science Group, qui conclut qu’il est dans un état neurovégétatif chronique qualifié de « conscience minimale plus ».

Procédure collégiale de la loi Léonetti…

Les soignants croyant percevoir des signes de plus en plus marqués d’opposition de Vincent Lambert aux soins et à la toilette, le Dr Kariger, chef du service, engage, dans les premiers mois de 2013, la procédure collégiale prévue par la loi Léonetti du 22 avril 2015 en y associant son épouse Rachel Lambert. Cette procédure consiste en une concertation avec l’équipe de soins et à recevoir l’avis motivé d’au moins un médecin appelé en qualité de consultant, afin de décider ou nom de l’arrêt de tout traitement. La loi Léonetti prévoit également que « la décision de limitation ou d’arrêt de traitement prend en compte les souhaits que le patient aurait antérieurement exprimés, en particulier dans des directives anticipées, s’il en a rédigées, l’avis de la personne de confiance qu’il aurait désignée ainsi que celui de la famille ou, à défaut, celui d’un de ses proches ». Une fois la procédure menée à son terme, le Dr Kariger décide l’arrêt de la nutrition et la réduction de l’hydratation.

… et premier appel à un juge

Les parents de Vincent Lambert saisissent le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne. Commence alors une bataille judiciaire qui n’est à ce jour toujours pas terminée. Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ordonne de rétablir l’alimentation et l’hydratation normales de Vincent Lambert et de lui prodiguer les soins nécessaires à son état de santé. Il estime qu’en l’absence de directives anticipées de la part de M. Lambert et en l’absence de la désignation d’une personne de confiance, la procédure collégiale aurait dû être mise en œuvre avec sa famille. Or seule son épouse y a été associée.

Nouvelle procédure collégiale…

Afin de tenir compte de cette décision, une nouvelle procédure collégiale est engagée en septembre 2013. Le Dr Kariger consulte alors six médecins, dont trois sont extérieurs à l’établissement, choisis respectivement par les parents, l’épouse et l’équipe médicale. Il réunit l’épouse, les parents et les huit frères, demi-frères, sœurs et demi-sœurs de Vincent Lambert. Rachel Lambert et six des huit frères et sœurs se prononcent pour l’interruption de son alimentation et de son hydratation artificielles, tandis que les parents en souhaitent le maintien. Le 9 décembre 2013, le Dr Kariger réunit l’ensemble des médecins ainsi que la presque totalité de l’équipe soignante. Le Dr Kariger et cinq des six médecins consultés se déclarent favorables à l’arrêt du traitement. Au terme de cette consultation et d’un rapport motivé de treize pages constatant la nature irréversible des lésions cérébrales, et l’inutilité d’un traitement n’ayant d’autre effet que le maintien artificiel de la vie, le Dr Kariger conclut que la prolongation de sa vie par la poursuite de traitements de nutrition et l’hydratation artificielles relève d’une obstination déraisonnable, telle que visée par le Code de la santé publique. Il décide, le 11 janvier 2014, l’interruption de la nutrition et l’hydratation artificielles à compter du 13 janvier 2014.

… et nouveaux conflits devant les tribunaux

Le 13 janvier 2014, les parents saisissent le tribunal administratif de Châlons-en-Champage d’une nouvelle requête. Le tribunal, siégeant en formation plénière de neuf juges, décide par jugement du 16 janvier 2014 de suspendre l’exécution de la décision du Dr Kariger du 11 janvier 2014. Le 31 janvier 2014, Rachel Lambert, François Lambert, le neveu de Vincent Lambert et le centre hospitalier font appel de ce jugement devant le juge des référés du Conseil d’État. Une formation plénière de dix-sept juges du Conseil d’État ordonne le 13 février 2014, avant de statuer, une expertise médicale confiée à des praticiens disposant de compétences reconnues en neurosciences. Trois médecins, proposés respectivement par l’Académie nationale de médecine, du comité consultatif national d’éthique et du conseil national de l’Ordre des médecins, sont désignés. Le Conseil d’État demande également à ces trois institutions de lui présenter des observations écrites. Par ailleurs, il rejette la demande des parents de transférer Vincent Lambert dans une unité de vie spécialisée d’un autre établissement. Le rapport d’expertise est déposé le 26 mai 2014. Les conclusions de ce rapport sont que M. Lambert est dorénavant dans un état végétatif chronique, que les lésions cérébrales sont irréversibles et le pronostic clinique mauvais. Le 24 juin 2014, le Conseil d’État dit que la décision du 11 janvier ne pouvait pas être tenue pour illégale et annule le jugement du 16 janvier 2014 en tant qu’il avait suspendu cette décision. Le Conseil d’État rappelle que la loi du 22 avril 2005 - dite loi Léonetti - a défini le cadre dans lequel un médecin peut prendre une décision de limiter ou d’arrêter un traitement qui traduirait une obstination déraisonnable, et ce, que le patient soit ou non en fin de vie. Le Conseil d’État a relevé qu’une obstination déraisonnable pouvait exister notamment aux termes de cette loi dans le cas d’un traitement n’ayant « d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie ». Il précise que l’alimentation et l’hydratation artificielles constituent bien des traitements au sens de la loi du 22 avril 2005. Les parents, un des demi-frères et l’une des sœurs de Vincent Lambert déposent une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme. Cette dernière rend son arrêt le 5 juin 2015 soulignant qu’il n’y a pas violation de l’article 2 de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales en cas de mise en œuvre de la décision du CE du 24 juin 2014.

Troisième procédure collégiale… suspendue

Relancé par l’un des neveux de Vincent Lambert, le successeur du Dr Kariger tente une nouvelle procédure collégiale mais la suspend au motif que « les conditions de sérénité et de sécurité nécessaires à sa poursuite ne sont pas réunies ».

Le neveu de M. Lambert saisit à nouveaux les tribunaux pour obtenir l’annulation de la décision d’engager une nouvelle procédure.

Le 16 juin 2016, la cour administrative d’appel de Nancy valide la décision du nouveau médecin de Vincent Lambert d’engager une nouvelle procédure mais juge illégale de l’avoir par la suite suspendue pour une durée indéterminée au nom des motifs qu’il invoquait. Cependant, la cour n’impose pas de délai pour reprendre la procédure. Cette décision fait l’objet d’un pourvoi en cassation.

Et aussi…

Par ailleurs, la décision du juge des tutelles de désigner Rachel Lambert tutrice de son mari, contestée par les parents de M. Lambert, a été confirmée par la Cour de cassation. Dernier élément du dossier, le 11 janvier 2017, les parents de Vincent Lambert portent plainte contre le CHU de Reims pour « délaissement de personne hors d’état de se protéger ».