Les médicaments ototoxiques - L'Infirmière Libérale Magazine n° 333 du 01/02/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 333 du 01/02/2017

 

ORL

Cahier de formation

Le point sur

Maïtena Teknetzian  

L’ototoxicité est une manifestation iatrogène potentiellement irréversible après l’arrêt du médicament en cause. Aminosides et dérivés du platine sont les plus incriminés.

Qu’est-ce que l’ototoxicité ?

→ Les médicaments ototoxiques sont des médicaments toxiques sur l’oreille interne ou au niveau du nerf auditif.

→ Le mécanisme exact de la toxicité reste mal connu, mais les médicaments ototoxiques sont capables de diffuser dans les liquides labyrinthiques et, en fonction de leur tropisme, d’imprégner la cochlée (organe de l’audition) et/ou le vestibule (organe de l’équilibration), où ils provoquent des lésions parfois irréversibles.

Quels en sont les effets ?

→ Les manifestations d’ototoxicité peuvent apparaître progressivement ou, au contraire, brutalement. L’atteinte peut être uni- ou bi-latérale.

→ Une atteinte de la cochlée provoque des acouphènes (perceptions sonores anormales, à type de sifflements ou de bourdonnements, non provoquées par un son extérieur) qui constituent le signe le plus fréquent d’ototoxicité et/ou une hypoacousie.

→ Une atteinte vestibulaire se manifeste par des vertiges et des troubles de l’équilibre éventuellement accompagnés de nausées et/ou de vomissements.

Quels sont les principaux médicaments ototoxiques ?

Antibiotiques

→ Les aminosides (gentamicine, Gentalline ; nétilmicine, Nétromicine ; tobramycine, Nebcine…) sont responsables d’atteintes vestibulaires et cochléaires (perte auditive dans les fréquences aiguës le plus souvent bilatérale) souvent irréversibles, se manifestant quelques jours à quelques semaines après le début du traitement. Les gouttes auriculaires à base d’aminosides sont de ce fait contre-indiquées en cas de perforation tympanique (lire l’encadré de la page ci-contre).

→ Des pertes d’audition bilatérales dans les fréquences aiguës mais aussi conversationnelles, le plus souvent réversibles, ont été rapportées avec l’érythromycine (Érythrocine), en particulier à fortes doses ou chez les patients âgés, les insuffisants hépatiques ou rénaux.

→ La polymyxine B est réputée ototoxique. La prescription de gouttes auriculaires qui en contiennent (Antibio-Synalar, Auricularum, Framyxone, Polydexa) requiert une vérification de l’état tympanique.

Anticancéreux

→ Les dérivés du platine sont responsables d’acouphènes (transitoires ou permanents) et d’hypoacousies bilatérales définitives (touchant en premier les fréquences aiguës et pouvant s’étendre aux moyennes). Le cisplatine est l’anticancéreux le plus ototoxique.

→ Les vinca-alcaloïdes (vinblastine, Velbé ; vincristine, Oncovin, surtout) exposent à des surdités réversibles.

Anti-inflammatoires

Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) (notamment le naproxène, Apranax, et les inhibiteurs sélectifs de la cyclo-oxygénase de type 2 comme le célécoxib, Celebrex) et les salicylés en surdosage peuvent être responsables d’atteintes cochléaires et vestibulaires généralement réversibles.

Autres

→ Les diurétiques de l’anse (bumétanide, Burinex, et furosemide, Lasilix) - notamment lorsqu’ils sont utilisés par voie intraveineuse et chez l’insuffisant rénal - sont impliqués dans la survenue de vertiges et d’atteintes cochléaires transitoires.

→ La quinine (Hexaquine, Quinimax) et la chloroquine (Nivaquine) peuvent induire, même à faibles doses, un cinchonisme associant des acouphènes,une hypoacousie, des vertiges, des troubles de la vision, des céphalées et des vomissements, qui peut se compliquer d’une insuffisance rénale aiguë.

→ La lidocaïne peut provoquer des acouphènes et des vertiges. Les gouttes auriculaires en contenant (Panotile, Otipax) sont ainsi contre-indiquées en cas de perforation tympanique.

Quels sont les facteurs favorisants ?

Facteurs liés au patient

→ Très jeune ou grand âge.

→ Déshydratation et altération de la fonction rénale.

→ Surdité de perception préexistante.

→ Perforation tympanique (favorisant l’ototoxicité de certaines gouttes auriculaires, davantage susceptibles, en cas de non-intégrité tympanique, de diffuser vers l’oreille interne par la fenêtre ronde).

→ Vulnérabilité génétique (la mutation de l’ADN mitochondrial MT-TS1 prédispose à l’ototoxicité des aminosides).

Facteurs liés au médicament

→ Dose et durée de traitement.

→ Association à un autre médicament ototoxique ou néphrotoxique.

Comment traiter l’ototoxicité ?

→ Il n’existe pas de traitement curatif des lésions irréversibles.

→ Les troubles de l’équilibre peuvent justifier une rééducation vestibulaire et les surdités être appareillées. En revanche, les acouphènes ne bénéficient pas de prise en charge thérapeutique particulière.

L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêts.

Attention aux aminosides locaux !

→ Il ne faut jamais administrer de gouttes auriculaires sans avis médical et prescription préalables. En effet, avant toute prescription de gouttes auriculaires contenant des aminosides, il est important de s’assurer de l’intégrité tympanique. En cas de perforation tympanique, les aminosides peuvent être en contact avec les structures de l’oreille moyenne et interne, et provoquer des effets ototoxiques vestibulaires ou cochléaires irréversibles.

→ Ainsi les spécialités locales à base d’aminosides telles que la néomycine (Antibio-Synalar, Panotile, Polydexa) ou la framycétine (Framyxone) sont-elles contre-indiquées chez les patients ayant une otite à tympan ouvert, et chez ceux porteurs d’aérateurs transtympaniques.

→ Les gouttes auriculaires antibiotiques indiquées en cas d’otorrhées purulentes sur otite chronique à tympan ouvert ou sur aérateurs transtympaniques sont celles contenant une fluoroquinolone, comme l’ofloxacine (Oflocet) ou la ciprofloxacine (Ciloxadex) ou les gouttes contenant de la rifamycine (Otofa).