La vie post-greffe en pratique - L'Infirmière Libérale Magazine n° 333 du 01/02/2017 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 333 du 01/02/2017

 

Cahier de formation

Savoir faire

M. V., 51 ans, a été greffé du rein il y a neuf mois. Tout s’est bien passé. Il a bénéficié d’une prise en charge diététique qui s’est, entre autres, attachée à stabiliser son poids car il présente un embonpoint qui doit être a minima stabilisé pour ne pas fatiguer le greffon. Vous intervenez car il nécessite des soins aseptiques très rigoureux depuis une morsure de chien. Au fil des jours, vous constatez que son moral n’est pas au beau fixe et qu’il présente une propension inquiétante à grignoter.

Vous lui demandez de se peser afin d’objectiver une prise de poids depuis sa sortie de l’hôpital et tentez d’approcher les causes de son mal-être. De toute évidence, il rencontre des difficultés à réorganiser sa vie depuis la greffe et semble compenser par la nourriture. Vous l’incitez à reprendre rapidement contact avec le CT et vous contactez les IDE d’ETP pour les tenir informées de l’évolution de l’état du patient et leur permettre de prendre les dispositions qui s’imposent (revoir le patient en entretien d’ETP, renforcer le suivi médical, diététique et psychologique).

AIDER LE PATIENT À S’ADAPTER À SA NOUVELLE VIE

Porteuse d’espoirs d’une nouvelle vie et attendue avec impatience, la greffe est parfois suivie d’une période d’adaptation difficile car les patients, dont la vie était rythmée par les dialyses trois fois par semaine, sont obligés de réorganiser totalement leur quotidien. « Du jour au lendemain, ils se retrouvent libérés de cette contrainte mais du même coup, leurs repères s’écroulent car ils perdent leur “statut de malade” et n’ont plus besoin de l’attention permanente des soignants, observe le Dr Esposito. La vie peut reprendre une forme de normalité à laquelle ils ne sont plus habitués et, pour certains, c’est extrêmement perturbant. » D’autant que les patients n’ont en général pas réussi, avant la greffe, à se projeter dans le futur et à élaborer un projet de vie post-greffe. Qu’ils soient jeunes ou plus âgés, la vie post-greffe signifie réinvestir un nouveau statut, une nouvelle place au sein de la famille et de la société, mais aussi faire l’apprentissage et mettre en œuvre de nouvelles compétences et de nouveaux comportements de santé, ce qui peut engendrer des difficultés d’adaptation, des troubles anxieux, voire des dépressions existentielles, justifiant un accompagnement psychologique (lire le témoignage p. 48). Une dimension que les Idels ne doivent pas négliger car le manque de psychologues dans les services de transplantation ne permet pas toujours de systématiser la prise en charge psychologique post-greffe de tous les patients. Les Idels peuvent donc repérer à domicile les difficultés d’adaptation ou les troubles psychologiques et les signaler aux IDE d’ETP du CT afin qu’elles revoient rapidement le patient et puissent faire le lien avec un psychologue.

HYGIÈNE DE VIE : CONSOLIDER LES SAVOIRS

Afin d’optimiser et pérenniser les bénéfices de la greffe, les patients transplantés doivent respecter temporairement ou durablement des conseils de protection alimentaire, environnementale et individuelle communs à tous ou personnalisés en fonction des contextes (présence d’une HTA, d’une obésité, d’un diabète…). Toutefois, la greffe doit rester un traitement “libératoire” et il convient de ne pas les enfermer dans un carcan de contraintes. De l’art de savoir justement doser les conseils au cas par cas, pour que la qualité de vie recouvrée supplante les obligations imposées par la greffe.

Conseils d’hygiène alimentaire

Largement abordée en pré-greffe par la diététicienne et les IDE d’ETP, la question de la prise en charge diététique post-greffe a pour but d’adapter l’alimentation à la nouvelle fonction rénale et aux traitements.

→ « Pour les patients qui étaient sous dialyse, la reprise de la fonction rénale, lorsque le rein fonctionne bien, permet de reprendre une alimentation équilibrée, normale en potassium et en boisson, mais hyposodée et sans sucres rapides (dans les premiers temps au moins), en raison du risque cortico-induit de rétention de sel et d’eau, et de diabète », explique Karine Carié, diététicienne du CT de Toulouse. Ces restrictions seront ensuite adaptées en fonction de la réduction, voire de l’arrêt de la corticothérapie, autorisant alors une alimentation normale en sucre si le patient n’est pas diabétique, et modérée en sel (6 g par jour) si sa tension artérielle est correcte.

→ L’hypersensibilité aux infections liées aux immunosuppresseurs impose par ailleurs de prendre quelques précautions pour éviter de contracter certaines maladies (toxoplasmose, listériose notamment) via l’alimentation :

- consommer des viandes bien cuites,

- laver et frotter les légumes et les fruits à l’eau claire,

- éviter les fromages au lait cru, œufs crus, poissons crus et fumés, coquillages crus,

- privilégier les fromages et le jambon emballés,

- désinfecter le réfrigérateur à l’eau de javel toutes les semaines et vérifier que la température est comprise entre 5 et 8 °C.

« Ces conseils sont surtout importants les six premiers mois post-greffe, le temps que l’immunité se stabilise, commente Karine Carié. Ensuite, ils peuvent être plus ou moins allégés en accord avec le médecin. En revanche, l’interdiction de consommer du pamplemousse (attention aux jus multifruits qui peuvent en contenir) et du millepertuis reste valable toute la vie en raison de leurs interactions avec les IS (car ils augmentent la concentration sanguine des IS). » ?

À domicile, les Idels peuvent rappeler ces conseils et veiller par ailleurs à ce que le patient s’alimente de manière équilibrée et s’hydrate correctement (un litre à un litre et demi par jour) sans fatiguer son rein. « L’important, commente l’IDE Magali Mosnier, c’est d’avoir toujours à l’esprit que l’alimentation et l’hydratation doivent être adaptées à la fonction rénale à l’instant T, ce qui donne un argument supplémentaire aux Idels pour justifier l’observance du suivi biologique. Leur intervention peut aussi s’avérer très utile pour déceler des comportements alimentaires à risque et réorienter le patient vers la diététicienne du CT. »

Conseils d’hygiène environnementale

Le juste milieu

Si l’objectif de la transplantation est de faire rimer “greffe” avec “vie”, l’état d’immunosuppression rend néanmoins les patients greffés plus vulnérables et justifie de leur prodiguer quelques conseils de protection environnementale particulièrement recommandés dans les mois qui suivent la greffe et lorsque le traitement IS est renforcé :

→ éviter les lieux publics surbondés en pleine épidémie de grippe, ainsi que piscine, sauna, jacuzzi ;

→ ne pas embrasser les personnes atteintes de maladies infectieuses contagieuses ;

→ différer les travaux risquant une inhalation de poussières et de champignons ;

→ garder des distances avec les animaux domestiques ;

→ vivre dans un intérieur propre et régulièrement aéré.

Cela dit, « il est important de ne pas encourager les patients à une passivité craintive par un discours trop protectionniste, insiste le Dr Macher. Mieux vaut les inviter à prendre leurs médicaments, à bien se surveiller et à observer quelques précautions de bon sens qui leur permettront d’avoir une vie active quasi normale ».

La protection solaire, non négociable

Les patients doivent toutefois être conscients qu’ils devront observer toute leur vie des mesures de protection solaire et bénéficier d’une surveillance cutanéomuqueuse (auto-examen, consultation spécialisée annuelle) qui sera renforcée en cas d’antécédents ou de lésions préexistantes à l’examen prétransplantation(1). Des messages largement évoqués dans le cadre de l’ETP et que les Idels peuvent relayer pour éviter qu’avec le temps, les patients négligent cette protection. Celle-ci repose sur des conseils simples : ne pas s’exposer au soleil sans protection hiver comme été et veiller à utiliser de l’écran total indice 50 (Actinica) lotion très haute protection solaire (Galderma) peut leur être conseillé car elle présente l’intérêt d’avoir une efficacité de 24 heures et de ne s’appliquer qu’une fois par jour (contre toutes les deux heures pour les autres écrans indice 50). Toutefois, elle ne dispense pas d’y associer une protection vestimentaire (casquette, vêtement couvrant, lunettes de soleil).

Les conseils d’hygiène de vie individuelle

Vivre normalement signifie pouvoir reprendre des activités physiques, voyager et avoir une vie sexuelle harmonieuse. « Ce sont des sujets qui préoccupent beaucoup les patients en post-greffe et auxquels les soignants d’ETP mais aussi libéraux doivent pouvoir apporter des réponses », indique Magali Mosnier.

L’activité physique

Une fois la cicatrisation terminée, les patients peuvent reprendre ou commencer une activité physique qui améliore la récupération, contribue au bien-être et participe à l’équilibre psychologique. « Nous ciblons la reprise de l’activité physique progressive car certains patients avaient diminué, voire arrêté toute activité avant la greffe en raison de la fatigue engendrée par l’insuffisance rénale terminale et/ou la dialyse, poursuit l’IDE. Nous leur expliquons ce qu’ils peuvent faire (marcher, nager dans un premier temps) et travaillons sur leurs motivations et sur les freins à lever afin qu’ils puissent reprendre une activité adaptée régulière. » À l’exception des sports violents de combat (judo, catch, boxe…) qui peuvent présenter un risque de coups pour le greffon, tous les sports peuvent être pratiqués après une greffe de rein, sachant que la musculation abdominale ne doit pas être reprise avant le troisième mois. Les activités de jardinage peuvent également être reprises à distance de la greffe en veillant à porter des gants, voire un masque, pour se protéger des champignons présents dans la terre.

Les voyages et la vaccination : anticiper

Voyager après une greffe devient beaucoup plus facile pour les patients qui étaient auparavant en dialyse. Néanmoins, il est recommandé d’attendre que l’immunité soit stabilisée (environ un an) et de mettre en place les vaccinations adaptées et une prévention infectieuse avec le médecin référent de greffe quelques mois avant le départ. Il est également possible de prévoir, avant la greffe, les vaccinations contre-indiquées après, mais qui seront éventuellement requises pour de futurs voyages ou l’exercice de certaines professions. Il s’agit des vaccins vivants et atténués (fièvre jaune, polio voie orale, BCG) qui, associés à l’immunosuppression présentent le risque de déclencher la maladie que l’on veut prévenir. En revanche, après la greffe, et après avis médical, les vaccins inactivés (tétanos, grippe, polio injectable, hépatites A et B, peste, choléra…) peuvent être réalisés, et celui de la grippe est même recommandé tous les ans en octobre.

La sexualité

Altérés par la dialyse, la libido, l’érection et le plaisir sont généralement améliorés en post-greffe, ce qui représente un facteur de normalisation important de la vie des patients. Toutefois, si des troubles persistent, il faut encourager les porteurs de greffe à en parler avec leur médecin référent car un traitement de soutien à distance de la greffe (cinq mois) peut les aider à retrouver une sexualité épanouie. Quant à la contraception, elle doit être adaptée à la femme (âge, antécédent de grossesse), au traitement et à la fonction rénale. Enfin, le désir de grossesse n’est pas incompatible avec la greffe chez les femmes de moins de 40 ans, ayant une fonction rénale satisfaisante et aucun signe de rejet ni de complication depuis au moins un an(2). Il nécessite une préparation coordonnée avec l’équipe d’obstétrique et de greffe et une modification des traitements, certains d’entre eux étant incompatibles avec la grossesse.

(1) L’existence d’antécédent de carcinome cutané ou la présence de lésions à l’examen prétransplantation impose une surveillance plus rapprochée : tous les trois mois après un carcinome spinocellulaire ou un kératoacanthome ; tous les trois à six mois pour les autres lésions prémalignes ou malignes (carcinome basocellulaire, kératoses prémalignes, maladie de Bowen).

(2) HAS, “Suivi ambulatoire de l’adulte transplanté rénal au-delà de 3 mois après transplantation”, service des recommandations professionnelles, novembre 2007 (lien raccourci bit.ly/2jk6pp8).

Vivre après la greffe : les obstacles psychologiques à surmonter

Pauline Dalmon est psychologue attachée au centre de transplantation du CHU de Toulouse, où elle prend en charge les patients greffés rencontrant, en post-greffe, des difficultés d’adaptation, voire des troubles psychologiques plus ou moins sévères. Témoignage.

« Chez les patients greffés du rein, au-delà de l’anxiété légitime, voire de l’angoisse, que peut susciter l’incertitude quant à la durée de fonctionnement du greffon et les risques de complications et d’infections, les troubles psychologiques peuvent être assez différents selon que les patients ont été dialysés ou non avant la greffe.

Dans le premier cas, la longue maladie,les traitements afférents et la mise en marge plus ou moins marquée du monde du travail ont pu impacter leur identité sociale, les rôles et statuts divers, et certains patients peuvent rencontrer des difficultés pour réinvestir leur identité sociale, professionnelle et/ou familiale. Cela peut être une source de souffrance psychologique majeure, notamment chez les patients adultes jeunes qui nécessitent une prise en charge psycho-sociale conjointe. Chez les patients plus âgés pour lesquels la dialyse constituait un lien de socialisation et un cadre médical structurant, certains peuvent rencontrer des difficultés à réinvestir le nouveau temps libre qu’ils ont grâce à la greffe et à gérer seuls, désormais, leur maladie chronique.

La prise en charge consiste alors à aider les personnes à retrouver des points de repères, à réinvestir des domaines de leur vie par un travail de verbalisation des inquiétudes en lien avec le traitement, la solitude, les freins et leurs ressources intérieures et extérieures. Un travail de coordination avec divers professionnels (assistante sociale, kinésithérapeute, association…) peut être mis en place pour aiderles personnes à vivre au mieux cette transition.

Les patients bénéficiant d’une greffe préemptive (patients la plupart du temps asymptomatiques, n’ayant jamais nécessité un traitement par dialyse et greffés à partir d’un don du vivant) peuvent présenter des difficultés d’adaptation liés au fait qu’ils perçoivent la greffe non pas comme un soin mais comme ce qui vient concrétiser réellement la maladie. Cette réalité est déstabilisante pour un certain nombre d’entre eux avec lesquels il convient de réaliser un travail sur : “qu’est-ce que la maladie ?”, “être malade et paraître en bonne santé”, “qu’est-ce que le soin ?”, “comment différencier le soin de la maladie ?”. Cette problématique est parfois plus prégnante en post-greffe que la question de l’acceptation de l’organe d’un proche vivant qui fait généralement l’objet d’un travail psychique en amont de la transplantation. »