Les substituts nicotiniques - L'Infirmière Libérale Magazine n° 330 du 01/11/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 330 du 01/11/2016

 

Sevrage tabagique

Cahier de formation

Le point sur

Nathalie Belin*   Dr Béatrice Le Maitre**  

Les substituts nicotiniques, que les Idels peuvent désormais prescrire, constituent le traitement de première intention du sevrage tabagique. Des conseils de prise et d’utilisation des diverses formes doivent être donnés au fumeur pour augmenter les chances de succès.

Le principe

→ C’est la nicotine issue de la combustion du tabac sous forme gazeuse qui, parvenant au cerveau sous la forme de “shoot” en quelques secondes par voie artérielle, entraîne l’installation puis l’entretien de la dépendance physique au tabac (pouvant être évaluée à l’aide du Test de Fagerström, voir tableau p.49). Les complications liées au tabac sont dues à l’inhalation régulière des substances irritantes et cancérogènes présentes dans la fumée.

→ Les substituts nicotiniques délivrent de la nicotine seule par voie veineuse, via une absorption transcutanée pour les patchs, buccale pour les formes orales. Cette cinétique lente limite les symptômes de manque à l’arrêt du tabac (irritabilité, frustration, anxiété, humeur dépressive, agitation, troubles du sommeil), rendant ainsi le sevrage plus confortable.

Différentes indications

→ Les substituts nicotiniques sont indiqués dans le cadre d’un arrêt total du tabac, d’une réduction de la consommation de tabac (arrêt progressif comme première étape vers un sevrage total) ou d’une abstinence temporaire (lieux publics…).

→ Hormis l’âge (15 ans pour les patchs, 15 ou 18 ans pour les autres formes), il n’y a aucune contre-indication à leur utilisation, y compris chez le patient coronarien ou à risque cardiovasculaire ou encore chez la femme enceinte (après échec d’une intervention non pharmacologique).

Les questions à poser

→ Elles permettent d’évaluer le degré de dépendance physique au tabac, de faire éventuellement le point sur les essais précédents et d’orienter vers un avis médical le cas échéant : « Combien de cigarettes fumez-vous par jour ? » et « Quel délai entre le réveil et la première cigarette ? » pour le test de Fagerström simplifié ; « Avez-vous déjà utilisé des substituts nicotiniques ? lesquels et comment ? » ; « Avez-vous une pathologie particulière ? »

→ Le cas échéant, si la prescription de substitut nicotinique est possible pour tous les fumeurs, il est préférable d’orienter certains patients (pour qui le sevrage peut être plus difficile) vers une consultation spécialisée* :

– soit en raison d’une dépendance sévère au tabac : fumer dès le réveil (signe d’une très forte dépendance), problèmes psychologiques ou affections psychiatriques (dépression, anxiété…), co-addictions (cannabis, alcool…) ;

– soit en raison d’un enjeu particulièrement important (risque cardiovasculaire élevé, femmes enceintes ou allaitantes, cancer…).

→ Un accompagnement psychologique, le recours aux thérapies cognitivo-comportementales (liste sur www.aftcc.org) sont également importants, notamment en cas de dépendance “psychologique” (sensation de plaisir, émotions liées au tabac) et/ou “comportementale” (“réflexe conditionné” qui incite à fumer dans certaines situations données : café, alcool, convivialité…) forte. Dans tous les cas, le critère essentiel de réussite reste la motivation.

→ Tout échec doit être dédramatisé : plusieurs tentatives d’arrêt sont souvent nécessaires avant de parvenir à un sevrage total.

Les différentes formes

À posologie égale, elles ont une efficacité équivalente.

Patchs

→ Dosages : 25, 15 ou 10 mg/16 heures ; 7, 14 ou 21 mg/24 heures. Appliqué au lever, le patch “16 heures” est prévu pour être retiré au coucher ; le patch “24 heures”, le lendemain matin. En pratique, hormis chez les fumeurs susceptibles d’être réveillés par l’envie de fumer (forte dépendance), recommander d’enlever le patch la nuit (risque de troubles du sommeil).

→ Caractéristiques : discret, diffusion lente et régulière de nicotine avec un début d’action environ une heure après l’application.

→ Effets indésirables : irritations, allergies possibles (essayer une autre marque ou choisir une autre forme).

Gommes

→ Dosages : 2 et 4 mg.

→ Caractéristiques : la concentration maximale de nicotine dans le sang est obtenue en 30 minutes environ. Du fait de la forme galénique particulière des gommes, la quantité de nicotine libérée est moindre que celle effectivement présente dans la gomme (2 ou 4 mg) ; une partie de la nicotine peut être absorbée par voie digestive (avalée, du fait d’une mastication trop rapide par exemple) et non absorbée par voie buccale (d’où une moindre efficacité). Toutes les gommes sont sans sucre. Différentes parfums.

→ Effets indésirables : hoquets ou brûlures d’estomac, irritations de la gorge, inconfort abdominal si la gomme est mâchée trop vite.

Comprimés sublinguaux et pastilles à sucer

→ Dosages : 1 ; 1,5 ; 2 ; 2,5 ; 4 mg.

→ Caractéristiques : forme discrète (pas de mastication), notamment pour les comprimés sublinguaux, avec une cinétique proche des gommes. Différents parfums, sans sucre.

→ Effets indésirables : hoquets, irritations de la gorge, inconfort abdominal si le comprimé est sucé trop rapidement.

Inhaleur

→ Caractéristiques : substitut rappelant le geste de la cigarette, contenant un tampon imbibé de 10 mg de nicotine et un peu de menthol. L’air aspiré traverse le tampon poreux et se charge de micro-gouttelettes de nicotine absorbées par la muqueuse buccale. Le goût tabac et la gestuelle sont très appréciés de certains fumeurs.

→ Effets indésirables : toux et irritation buccale possible.

Spray buccal

→ Caractéristiques : solution pour pulvérisation buccale à 1 mg par dose. Le spray buccal présente l’absorption la plus rapide avec un effet sur l’envie de fumer ressenti dès la première minute après administration.

→ Effets indésirables : hoquets, irritations de la gorge, inconfort abdominal possible.

Quel dosage ?

La posologie est choisie en fonction du degré de dépendance pharmacologique, les dosages les plus élevés convenant aux fumeurs les plus fortement dépendants. À titre indicatif, 1 cigarette = 1 mg de nicotine = 1 mg de substitut ; donc 1 paquet de 20 cigarettes par jour = 1 patch à 21 mg/24 heures ou 25 mg/16 heures. À noter qu’une cigarette à rouler équivaut à 2 ou 3 cigarettes “normales”. Le type de cigarette (plus ou moins légère) n’a pas d’influence : tout dépend de l’intensité de l’inhalation. Plusieurs patchs peuvent être nécessaires pour les dépendances les plus fortes, sur avis médical.

Comment 

→ Arrêt total du tabac. Il faut associer patch et formes orales pour un sevrage “sur-mesure”. Le patch évite une trop forte sensation de manque tout au long de la journée grâce à une diffusion constante de nicotine. Les formes orales pallient des besoins de fumer à des moments précis.

→ Sevrage progressif (l’objectif reste de parvenir à un sevrage total). Le fumeur ne conserve que les cigarettes “indispensables” et remplace les autres par un substitut oral, ou il réduit sa consommation de tabac sous patch. Peu à peu, il apprend à moins fumer, et l’idée de l’arrêt total semble moins insurmontable.

→ Abstinence temporaire. Utilisation de formes orales à la place du tabac.

→ Choix de la forme orale. Il est fonction du besoin de mâcher (gommes) ou de recourir à une forme plus discrète (comprimés, pastilles) ou plus comportementale (inhaleur). Pour pallier des besoins très urgents de fumer, le spray peut être la forme la plus adaptée.

Suivi

→ La plupart des fumeurs veulent aller trop vite. Ils diminuent trop tôt le dosage du patch ou n’utilisent pas assez de formes orales. Or le sous-dosage est le premier facteur d’échec (persistance de l’envie de fumer, irritabilité, nervosité, difficultés de concentration…). Inciter à utiliser suffisamment de formes orales sous patch pour que le sevrage soit confortable. À noter que, si seules les formes orales les plus faiblement dosées ont l’AMM en association aux patchs, en pratique, on peut parfaitement utiliser des dosages supérieurs si nécessaire. Les signes de surdosage sont beaucoup plus rares (nausées, bouche pâteuse, dégoût du tabac, diarrhées, insomnie, maux de tête…).

→ Maintenir les posologies plusieurs semaines avant de les réduire en diminuant d’abord le dosage des patchs et en continuant à utiliser les formes orales à la demande. La durée totale du traitement doit être suffisante pour prévenir les rechutes : au moins trois mois et jusqu’à six, douze mois, voire davantage.

Législation

La prescription doit se faire sur une ordonnance dédiée exclusivement aux substituts nicotiniques. Prise en charge forfaitaire par l’Assurance maladie (et par certaines mutuelles) dans la limite de 50 euros par personne et par année civile, de 150 euros pour les femmes enceintes, les jeunes de 20 à 30 ans, les bénéficiaires de la CMU et les patients en ALD (affection de longue durée) pour un cancer. Le 11 octobre, Marisol Touraine a annoncé qu’elle souhaitait, par la loi, augmenter à 150 euros le forfait annuel pour tous.

Conseils associés

Utilisation

→ Formes orales. Ne pas boire ni manger durant leur prise (moindre efficacité) et éviter les boissons acides (sodas, jus de fruits) ou le café les quinze à trente minutes précédentes (diminution de l’absorption de la nicotine).

→ Patch. Il n’y a pas de danger à fumer avec un patch (l’aspiration de la fumée est d’ailleurs alors moins forte), mais avoir toujours très envie de fumer avec un patch traduit généralement un sous-dosage. Dans tous les cas, retirer le patch le temps de fumer ne sert à rien car la nicotine continue de diffuser après le retrait du patch durant deux heures.

Les astuces pour tenir le coup

→ En cas d’envie irrésistible de fumer, prendre un substitut oral, boire un verre d’eau, mâcher un chewing-gum ou sucer un bonbon sans sucre : la forte envie de fumer ne dure généralement que quelques minutes. Plus le temps passe, plus ces envies diminuent en nombre et en intensité.

→ En cas de difficultés, une discussion avec un tabacologue peut être rassurante (Tabac info service au 39 89 ou sur www.tabac-info-service.fr).

Les “maux” associés au sevrage

→ La prise de poids n’est pas systématique et peut être contrôlée par des conseils de bon sens : limiter charcuteries, viandes grasses, sucreries… Utiliser les substituts nicotiniques suffisamment longtemps aide à éviter la prise de poids.

→ Humeur dépressive passagère : la nicotine inhalée induit une libération accrue de certains neuromédiateurs, dont la sérotonine. À l’arrêt du tabac, il faut quelques semaines pour que le corps se réadapte à l’absence de cet effet “boostant”.

→ Ballonnements et/ou constipation sont possibles mais transitoires (la nicotine accélère la vidange digestive et intestinale).

→ L’arrêt du tabac améliore la fluidification des sécrétions bronchiques. D’où parfois, des expectorations “sales” les deux à trois semaines suivant l’arrêt.

→ Autres : possibilité de tension mammaire, d’acnés réactionnelles, d’aphtose buccale. Tous ces inconvénients sont peu fréquents et passagers.

Prescription infirmière possible depuis la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé

L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêts.

* Liste des consultations de tabacologie sur www.tabac-info-service.fr.

Et au cours de la grossesse ?

Si l’idéal est de stopper toute prise de nicotine, un traitement par substitut nicotinique est dans tous les cas préférable à la poursuite du tabagisme : les formes orales sont privilégiées (durée d’action moins longue que les patchs). Si un patch est nécessaire (nausées ou vomissements liés à la grossesse par exemple), il est recommandé de l’enlever la nuit. Au cours de l’allaitement, les formes orales sont recommandées juste après une tétée ou au moins deux heures avant.

Test de Fagerström simplifié en 2 questions

1. Combien de cigarettes fumez-vous par jour ?

a. 10 ou moins : 0

b. 11 à 20 : 1

c. 21 à 30 : 2

d. 31 ou plus : 3

2. Dans quel délai après le réveil fumez-vous votre première cigarette ?

a. dans les 5 minutes : 3

b. 6 à 30 minutes : 2

c. 31 à 60 minutes : 1

d. plus d’1 heure  : 0

Interprétation : entre 0 et 1 : pas de dépendance ; entre 2 et 3 : dépendance modérée ; entre 4 et 6 : dépendance forte.