Suivi thérapeutique d’un patient sous AOD - L'Infirmière Libérale Magazine n° 329 du 01/10/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 329 du 01/10/2016

 

Cahier de formation

Savoir faire

À la suite d’une thrombose veineuse, Mme B., 41 ans, est traitée par Xarelto, à la posologie actuelle de 20 mg par jour. Profitant d’un passage à votre cabinet pour un rappel de vaccination, vous remarquez sa mine pâle. Elle vous fait d’ailleurs part de sa grande fatigue et se plaint d’essoufflements. Vous décidez de contrôlersa tension qui est à 100-70 mmHg.

Cette baisse inexpliquée de la pression artérielle et ces signes évocateurs d’anémie doivent faire orienter la patiente vers une consultation médicale rapide afin de contrôler son taux d’hémoglobine et de rechercher un saignement occulte.

SURVEILLANCE CLINIQUE

Elle consiste à rechercher des signes d’hémorragie (non seulement des saignements extériorisés, mais aussi des signes de saignements occultes, lire le tableau ci-contre sur les signes d’hémorragie), en particulier chez les patients à risque (plus de 75 ans, insuffisants rénaux, poids inférieur à 50 kg) et des troubles gastro-intestinaux (dyspepsie, diarrhées, nausées).

SURVEILLANCE BIOLOGIQUE

Avant mise sous traitement

Avant la mise en route du traitement, il faut évaluer la fonction rénale (afin de déceler une insuffisance rénale sévère qui contre-indiquerait une initiation de traitement par dabigatran, mais aussi d’adapter la posologie des xabans à la clairance rénale), la fonction hépatique et doser l’hémoglobine.

Au cours du traitement

→ D’une façon générale, l’utilisation des AOD ne nécessite pas de suivi de l’activité anticoagulante en routine. L’INR n’est pas adapté pour surveiller l’effet anticoagulant des AOD. Mais certains tests de routine peuvent être effectués en cas de suspicion de surdosage, comme la mesure de l’activité anti-Xa pour l’apixaban et le rivaroxaban, et le temps de thrombine dilué, le temps d’écarine ou le temps de céphaline activée pour le dabigatran. Il existe des tests spécifiques de mesure du taux plasmatique des AOD. Cependant, leur indication et leur interprétation ne font pas l’objet de recommandations consensuelles à ce jour et ils sont peu accessibles en pratique courante.

→ Un bilan hépatique avec contrôle du taux de transaminases et de gamma-GT permet de rechercher d’éventuels effets indésirables hépatiques liés aux AOD et une éventuelle altération de la fonction hépatique.

→ La fonction rénale et le dosage de l’hémoglobine doivent être évalués au moins une fois par an (voire beaucoup plus fréquemment en cas d’altération de la fonction rénale) et, si besoin, en cas d’événements intercurrents.

CARNET DE SUIVI

→ Un carnet de suivi (téléchargeable sur www.live-mtve.org) a été élaboré par la Ligue française contre la maladie veineuse thrombo-embolique et le Groupe interdisciplinaire Trousseau sur les antithrombotiques (Gita).

→ Il rappelle au patient les notions importantes pour utiliser correctement son traitement et optimiser l’observance. Le patient peut en outre y consigner la posologie de son traitement, les éventuels médicaments associés et la survenue d’incident ou d’accident.

À DIRE AU PATIENT

Pour éviter les accidents hémorragiques

Prévenir les situations à risque de blessure

→ Déconseiller la pratique de sports violents (rugby, sports de combat) ou à risque de chutes (équitation, ski…).

→ Conseiller le port de gants et de protections adéquates pour jardiner et bricoler.

Bannir l’automédication

→ Certains médicaments peuvent modifier l’action de l’AOD : déconseiller au patient la pratique de l’automédication et l’encourager à demander l’avis d’un médecin ou d’un pharmacien avant de prendre un nouveau médicament.

→ En particulier, rappeler au patient de ne pas prendre de sa propre initiative de l’aspirine ou des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et que l’antalgique/antipyrétique de première intention est le paracétamol.

→ La prise de millepertuis (plante améliorant l’humeur) est déconseillée car c’est un inducteur enzymatique qui peut diminuer les concentrations plasmatiques et l’efficacité des AOD et exposer à un risque thrombotique. Le cas échéant, la prise de millepertuis doit être signalée au médecin.

Signaler son traitement

→ Dire au patient de porter sur soi la “carte d’identifiant”, mentionnant son traitement anticoagulant, fournie par le prescripteur.

→ Éduquer le patient à signaler son traitement à tout professionnel médical et paramédical.

Il est nécessaire de signaler son traitement avant de subir une intervention chirurgicale ou un acte invasif afin que le médecin puisse décider de la conduite à tenir et de l’arrêt du traitement. Par ailleurs, les injections intramusculaires et les infiltrations sont contre-indiquées. De même, le patient doit alerter son dentiste et son médecin avant de subir une intervention bucco-dentaire. « Il est d’autant plus important que le patient signale son traitement avant tout acte invasif que tous les AOD ne modifient pas les tests globaux de coagulation », souligne le Pr Ludovic Drouet.

Informer sans affoler

« Lors des dispensations, j’insiste sur le risque hémorragique, je renseigne sur les signes cliniques qui nécessitent une consultation et je remets au patient les fiches d’information éditées par les fabricants. Il faut aussi être particulièrement vigilant sur les interactions avec des médicaments accessibles sans ordonnance tels que l’aspirine ou certains AINS, comme l’ibuprofène notamment, ainsi que le millepertuis. Le tout est d’informer le patient sans l’affoler ! », nuance le Dr Stéphane Tchikirian, pharmacien.

Surveiller et consulter

→ Conseiller au patient de vérifier qu’il n’y ait pas de sang dans ses urines ou dans ses selles.

→ Inciter le patient à prendre contact avec son médecin en cas de blessure, de chute et systématiquement en cas de choc sur la tête.

→ La survenue de signes cliniques de saignements visibles ou d’hémorragie occulte impose une consultation médicale. En cas d’hémorragie importante, faire le 15 et signaler le traitement AOD à l’urgentiste.

En cas de voyage

→ Dire au patient de conserver sur lui son ordonnance (rédigée en DCI) et sa carte mentionnant son traitement. Penser à emporter une quantité suffisante de médicaments. Garder son AOD dans son bagage à main, de façon à ne pas se trouver sans traitement à l’étranger en cas de perte de valise.

→ Conserver au mieux des horaires réguliers de prise (une ou deux heures d’écart restent acceptables).

→ « Lorsque nos patients sous AOD partent en vacances, ils sont ravis de ne pas avoir à prévoir une prise de sang pendant leur séjour, eux qui ont déjà un capital veineux en mauvais état et qui oubliaient de reprendre rendez-vous avec les laboratoires quand leurs résultats d’INR n’étaient pas bons. Les familles sont également rassurées et partent l’esprit plus libre avec leurs parents. Mais nous leur rappelons l’intérêt de prendre les AOD à heures régulières, de ne surtout pas les oublier (en vacances, certaines prises de médicaments sont souvent oubliées) et de signaler toute apparition d’hématomes ou de saignements anormaux », souligne Cécile Vouloir, infirmière en Service de soins infirmiers à domicile à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine).

Point de vue

« Attention à la fonction rénale en cas de forte chaleur ! »

Pr Ludovic Drouet, responsable du Centre de référence et d’éducation des antithrombotiques d’Île-de-France

« Il est important que les infirmières libérales s’assurent que la clairance de la créatinine soit contrôlée régulièrement, en particulier en cas d’affections intercurrentes ou de forte chaleur. Une règle pratique de fréquence de contrôles systématiques de la clairance renale est fréquemment utilisée par les gériatres : la fréquence mensuelle est donnée par le premier chiffre de la clairance (par exemple, pour une clairance à 40 mL/min, c’est tous les quatre mois). Chez un sujet âgé, il faut aussi s’assurer qu’il ne prend pas en automédication des AINS, non seulement susceptibles d’augmenter le risque hémorragique, mais aussi d’altérer la fonction rénale. Il faut préconiser la prise de paracétamol. »

En cas de chirurgie programmée

La gestion péri-opératoire des AOD dépend du risque hémorragique lié au geste et à la poursuite de l’AOD, mais il doit prendre aussi en compte le risque thrombotique du patient augmenté par l’arrêt de l’AOD. D’après les propositions du GIHP (Groupe d’intérêt en hémostase périopératoire), actualisées en septembre 2015 :

→ en cas de risque hémorragique faible (chirurgie cutanée, chirurgie de la cataracte, certains actes bucco-dentaires, d’endoscopie digestive ou de rhumatologie…) : pas de prise de l’AOD la veille au soir ni le matin de l’intervention. Reprise de l’AOD à l’heure habituelle et au moins six heures après l’acte invasif (en l’absence d’accident hémorragique) ;

→ en cas de risque hémorragique modéré ou majeur, c’est-à-dire considéré comme élevé (biopsie, chirurgie abdominale ou thoracique, neurochirurgie intra-crânienne…) : arrêt de l’AOD trois à cinq jours avant l’intervention (en fonction de l’AOD et de la fonction rénale du patient). La reprise de l’AOD est possible six heures (AOD dans la prévention de la maladie TEV) ou 24 à 72 heures (AOD aux doses curatives, dans la FA ou le traitement de la TVP/EP) après l’intervention, si l’hémostase le permet. Durant la fenêtre thérapeutique post-chirurgicale, un relais par héparine peut être envisagé en cas de risque thrombotique élevé et/ou de nécessité d’anticoagulation prophylactique post-chirurgicale.

Point de vue

« Attention aux saignements, même mineurs ! »

Dr Rachid Mahamdia, gériatre, praticien hospitalier, groupe hospitalier Sainte-Périne, AP-HP

« L’Idel doit évaluer la capacité du patient à gérer lui-même son traitement et surveiller l’observance thérapeutique car le saut de prise peut exposer à un risque d’inefficacité compte tenu de la courte demi-vie des AOD. Elle doit aussi veiller à une bonne hydratation, notamment en cas de forte chaleur qui risque d’entraîner une déshydratation et d’altérer la fonction rénale, et rendre par conséquent le patient inéligible au traitement. Une Idel doit être attentive en cas de signes hémorragiques, même mineurs (ecchymoses, hématomes, épistaxis, gingivorragies), car ces signes peuvent être annonciateurs de complications plus graves. »

Question de patient

Avec mon traitement anticoagulant, vais-je pouvoir me faire vacciner contre la grippe ? Dans le carnet-conseil, j’ai lu queles injections intramusculaires étaient contre-indiquées.

Les injections intramusculaires sont en effet contre-indiquées en cas de traitement anticoagulant, mais la vaccination anti-grippale est tout à fait réalisable par voie sous-cutanée profonde.

Mémento à l’usage des Idels

Administration

L’Idel doit être à même de repérer un schéma thérapeutique inapproprié qui doit l’amener à prendre contact avec les prescripteur :

→ pas de posologie supérieure à deux prises par jour et jamais plus de deux comprimés par prise ;

→ l’AOD ne doit pas être associé à un autre anticoagulant (sauf en période de chevauchement lors des relais AOD/AVK).

Surveillance

L’idel doit être particulièrement vigilante chez le sujet âgé, de faible poids ou en cas d’IR.

S’assurer que la fonction rénale du patient est bien contrôlée au moins une fois par an.

Éducation du patient

L’absence de surveillance biologique de routine ne devant pas amener à banaliser le traitement, l’Idel doit éduquer le patient à :

→ être bien observant ;

→ ne pas pratiquer l’automédication ;

→ alerter son dentiste ou le chirurgien avant toute intervention ;

→ avoir dans son portefeuille une carte d’identifiant.