Spécialiste du quotidien - L'Infirmière Libérale Magazine n° 329 du 01/10/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 329 du 01/10/2016

 

Éliane Marroc, conseillère en économie sociale familiale, présidente de l’association France ESF

La vie des autres

Sophie Magadoux  

Éliane Marroc, conseillère en économie sociale familiale (ESF) dans les quartiers Nord de Marseille pendant trente-cinq ans, forme aujourd’hui la nouvelle génération. Depuis 2009, à la tête de l’association France ESF, elle fait valoir cette profession trop discrète.

Les Arnavaux, Le Canet, Saint-Joseph… : bienvenue au Nord de Marseille (Bouches-du-Rhône), dans le 14e arrondissement. Trente-cinq années durant, jusqu’en 2011, Éliane Marroc, 60 ans, conseillère en économie sociale familiale (CESF), l’a arpenté en tous sens, à la rencontre de personnes seules ou de familles en difficulté financière. Mais, contrairement à une idée reçue, même si l’éducation budgétaire est une mission centrale pour cette travailleuse sociale, « la question de l’argent n’est que la porte d’entrée à un accompagnement social global : mon véritable cœur de métier est la quotidienneté. C’est pourquoi mon intervention est utile de façon directe. Mais, pour cela, il faut faire preuve de sens de l’observation et s’intéresser au ressenti des personnes. Derrière une facture, il y a un comportement humain. En abordant par le biais financier le logement, l’alimentation, la santé, l’habillement, la consommation ou la préparation d’un projet, j’aide les personnes à donner du sens aux actes constituant la répétition journalière, et donc à pouvoir les modifier si nécessaire ».

Originaire de Marseille, Éliane Marroc obtient son diplôme de conseiller en économie sociale familiale en 1975.

« Je voulais être utile aux autres, et, pour moi qui venais d’un baccalauréat scientifique, l’approche technique et pratique de ce métier me correspondait mieux que ceux plus connus d’assistante sociale ou éducatrice spécialisée – de fait, le rôle des professionnels de l’ESF est souvent ignoré du grand public, voire des autres professionnels du médico-social », commente la professionnelle, qui a ensuite mené toute sa carrière au sein du service social polyvalent de secteur(1) du Conseil général des Bouches-du-Rhône.

Lors d’un suivi individuel, un premier entretien professionnel à domicile amorce l’accompagnement qui s’échelonne en général sur six mois à deux ans. Il comprend notamment : bilan-diagnostic du quotidien, mise en œuvre d’actions éducatives et préventives – activités quotidiennes, entretien d’aide (relation à l’argent, priorités budgétaires…), information (accès aux droits, économies d’énergie…) et formation… –, décidées avec les intéressés, recherche de financements, évaluation… Le but est d’atteindre l’autonomie, l’insertion sociale et professionnelle. Ainsi, « avec une famille qui connaissait des problèmes financiers et des relations compliquées, dans le couple et avec les enfants – la mère se sentait dévalorisée –, j’ai travaillé avec la femme sur la préparation des repas, leur présentation et le fait qu’elle s’habille au lieu de traîner en jogging. Le regard de ses enfants a changé et le climat s’est apaisé. Elle a repris confiance en elle et a initié une recherche d’emploi ».

Actions de groupe

Travailler sur les rapports sociaux et redonner de la valeur à l’individu passe aussi par des actions de groupe comme elle a pu en organiser : « Des rencontres à l’occasion de la réhabilitation de la cité pour choisir l’organisation des espaces communs ou renommer les entrées d’immeuble, favoriser des temps de rencontre au moyen de la fête des Voisins – il y a 168 ethnies différentes dans ces quartiers. » Des actions qui plaisent. « Après un atelier culinaire, plusieurs femmes ont pris conscience de leurs compétences. Elles ont imaginé et construit un projet de restauration pour l’Ifsi Saint-Jacques voisin et certaines ont passé un CAP cuisine. Seulement, les banques et la ville n’ont pas pris leur dossier au sérieux – des femmes, et en plus des quartiers Nord. C’est l’expérience la plus frustrante que j’ai connue. La stigmatisation n’est pas justifiée. »

« On les déformate »

Malgré tout, elle croit en ce métier, et elle s’implique pour sa reconnaissance dès 2005 avec France ESF(2), un réseau d’associations régionales, dont elle est présidente depuis sept ans. Son engagement passe aussi par la transmission à ses futures collègues à l’Institut supérieur Marseille-Cadenelle. Elle y enseigne le positionnement professionnel, l’éthique et la déontologie, indispensables au terrain : « Elles doivent savoir pourquoi elles feront ce métier. On ne les formate pas, on les “déformate”. Si c’est un choix par défaut, elles ne durent pas. Les conditions d’exercice sont chaque fois plus difficiles : aux personnes bénéficiaires de minima sociaux s’ajoutent de plus en plus de travailleurs pauvres. Et nous disposons de moins en moins de moyens pour les aider », remarque-t-elle, regrettant des stages trop courts et seulement en troisième année, pour l’obtention du diplôme d’État. Un métier qui n’est finalement pas sans rappeler l’engagement des infirmières.

(1) Un service social polyvalent de secteur est à disposition de toute la population pour tout type de difficultés sur un secteur géographique donné.

(2) http://france-esf.fr/

Elle dit de vous !

« Comme les Idels, mes consœurs sont encore à 90 %des femmes et interviennent au domicile. Les Idels sont encore plus dans l’intimité des gens. Personnellement, j’ai davantage rencontréles infirmières “psy”, mais une collègue, intervenante du service APA (Allocation personnalisée d’autonomie), les a régulièrement cotoyées. Elle cherchait la cause de l’amaigrissement d’une personne âgée affirmant manger normalement : c’est l’Idel, en ouvrant les placards, qui a fourni la réponse. Idels, paramédicaux et professionnelles ESF, nous sommes des partenaires de fait. Sur le terrain, nous avons besoin d’être en relation. Celle-ci reste en général informelle, car les institutions ne se positionnent pas sur la question. À nous d’entretenir notre réseau de partenaires, quitte à formaliser les relations au cas par cas, lorsque la situation l’exige. »

UNE PROFESSION JEUNE ET MENACÉE

Le diplôme d’État toujours pas reconnu

Né de l’enseignement ménager, le métier de conseiller en économie sociale familiale (CESF) voit le jour en 1969 avec la création du BTS éponyme et la création d’un diplôme d’État (DE) en 1973 (BTS +1). En 2009 a eu lieu la réforme des diplômes, formalisée dans un référentiel professionnel, attribuant un registre préventif ou curatif aux interventions en ESF. Depuis, la validation des acquis de l’expérience permet, notamment, aux autres travailleurs sociaux d’accéder à la profession. À ce jour, le DE n’est pas reconnu comme de niveau bac +3, un dossier suivi de près par France ESF. Les CESF font valoir la singularité de leur travail sur la quotidienneté dont l’approche est basée sur les sciences dures. Autre danger : une exigence de rentabilité, jusque-là propre au secteur privé, qui ne correspond pas au long terme de l’accompagnement ou de la prévention.