Accompagner une personne âgée “bipolaire” - L'Infirmière Libérale Magazine n° 328 du 01/09/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 328 du 01/09/2016

 

Cahier de formation

Savoir faire

M. R., 65 ans, a été diagnostiqué bipolaire à la suite d’une tentative de suicide alors qu’il était traité par antidépresseur pour une dépression. Le psychiatre a proposé un traitement par sismothérapie après plusieurs échecs médicamenteux, mais son épouse vous fait part de son inquiétude : « Va-t-il garder toute sa tête après ça ? »

Vous la rassurez : oui, c’est un soin qui a beaucoup évolué. Aujourd’hui, l’intensité de la stimulation électrique est adaptée à la personne et ne dure qu’une fraction de seconde. Les médecins connaissent précisément les actions qu’ils doivent produire sur le cerveau pour être thérapeutique.

L’activité électrique du cerveau est constamment observée par un électroencéphalogramme. À l’issue d’une ou plusieurs séances, soit le traitement n’aura pas d’effet et sera interrompu, soit le traitement est bénéfique et il est prolongé un certain nombre de séances. Les effets sur l’humeur peuvent être spectaculaires.

PLUSIEURS SITUATIONS

« Concernant le trouble bipolaire chez les personnes âgées, trois situations sont possibles », remarque le Pr Azorin :

→ la personne qui a vieilli avec un trouble bipolaire qui est apparu vers l’âge de 20 ans. Dans ce cas, le plus souvent, les épisodes maniaques ont tendance à se faire moins fréquents et moins sévères, et les épisodes dépressifs deviennent prédominants ;

→ un trouble bipolaire de type 5 révélé par une maladie somatique. Ce peut être une entrée dans la démence qui révèle un trouble bipolaire méconnu jusqu’alors ;

→ un trouble bipolaire à début tardif entre 50 et 65?ans pour lequel la symptomatologie est moins sévère que chez un jeune et avec plus d’épisodes dépressifs.

SYMPTOMATOLOGIE ATYPIQUE

Les symptômes survenant chez les personnes après 50 ans diffèrent de ceux observés chez les patients plus jeunes* :

→ l’hyperactivité se retrouve chez la moitié des patients âgés maniaques sous une forme moins prononcée que chez les jeunes ;

→ l’irritabilité, la colère et l’agressivité sont en revanche plus fréquentes que chez les jeunes ;

→ les symptômes confusionnels avec troubles de la conscience sont fréquents ;

→ des troubles cognitifs de type trouble de l’attention sont souvent associés à une confusion et une agitation ;

→ un délire paranoïde s’exprimant sous la forme d’idées persécutoires (plutôt que sous la forme d’idées de grandeur ou mystiques chez les plus jeunes) ;

→ l’euphorie est moins fréquente ;

→ une dépression agitée peut être présente (épisode mixte). Cette forme de dépression qui peut être due à une anxiété entraîne un risque de suicide important.

DIAGNOSTIC

Comme chez le sujet plus jeune, une des difficultés du diagnostic est sa similitude avec d’autres diagnostics différentiels comme les démences en général, mais surtout la maladie d’Alzheimer et la démence fronto-temporale. Sachant que ces deux troubles surviennent le plus souvent au même âge qu’un trouble bipolaire tardif : avant 65 ans pour la démence fronto-temporale et après 65?ans pour la maladie d’Alzheimer.

Contexte équivoque

Les épisodes mixtes fréquents chez les plus âgés sont très trompeurs. Ils se manifestent par un affaiblissement lié à l’état dépressif avec des comportements puérils, régressifs, d’agitation, liés à la polarité maniaque. « Les épisodes bipolaires entraînent par eux-mêmes un affaiblissement des capacités intellectuelles et des troubles cognitifs. Pour peu que le sujet âgé soit un peu “fléchissant”, avec des troubles cognitifs mineurs liés à l’âge accentués par la maladie bipolaire, il peut présenter un tableau de pseudo-démence dépressive ou mixte difficile à distinguer », explique le Pr Jean-Michel Azorin. « Des personnes mises en maison de retraite avec un diagnostic de démence, de maladie d’Alzheimer par exemple, ont été totalement rétablies avec des traitements adaptés à leur trouble bipolaire », ajoute le spécialiste qui garde en mémoire la reconnaissance des familles des patients qui ont ainsi pu retrouver leur capacité et leur autonomie.

Symptômes similaires

Certains symptômes thymiques peuvent être confondus avec ceux d’une démence, mais doivent dans tous les cas alerter l’entourage et les soignants du domicile :

→ réduction du besoin de sommeil ou sommeil perturbé ;

→ augmentation de la distractibilité et facultés d’attention affaiblies ;

→ irritabilité ou agressivité ;

→ agitation ou ralentissement psychomoteur ;

→ symptômes psychotiques comme des idées délirantes de persécution ou hallucinations auditives ;

→ culpabilité inappropriée (qui peut être délirante) ;

→ fatigue ou perte d’énergie ;

→ perte de poids importante ;

→ accélération de la pensée et/ou modification du cours de la pensée ;

→ diminution de l’aptitude à penser ou à se concentrer ;

→ tristesse ;

→ diminution de l’intérêt et du plaisir dans les activités.

ÉVOLUTION

Chez la personne âgée, l’évolution dépend de l’ancienneté du trouble bipolaire. Les formes précoces qui débutent entre 20-30 ans évoluent vers une fréquence moindre et une disparition de la maladie. Les formes survenues tardivement entre 50 et 60 ans présentent une évolution accélérée*.

Le pronostic est moins bon pour les formes tardives en raison de leur évolution accélérée, d’une plus grande résistance au traitement et d’un risque accru de complications somatiques engendrées par le trouble, comme des fractures, des traumatismes crâniens ou des infections pulmonaires. Le risque d’évolution démentielle serait également plus important*.

PRISE EN CHARGE

Médicaments

Le traitement médicamenteux est similaire à celui des patients plus jeunes et il sera choisi en fonction de l’efficacité des traitements antérieurs et des effets secondaires. Les régulateurs de l’humeur (lithium, carbamazépine ou valpromide) sont privilégiés lors d’un accès maniaque. Les antipsychotiques sont préconisés si l’intensité symptomatique est sévère. Les symptômes confusionnels avec troubles de la conscience, très courants chez la personne âgée, s’atténuent avec le traitement de l’épisode maniaque.

Sismothérapie

Indications

→ En première intention dans les syndromes dépressifs sévères avec manifestations délirantes ou risque de suicide majeur.

→ En deuxième intention en cas d’inefficacité ou d’intolérance à un ou plusieurs traitements médicamenteux bien conduits.

Modalités et enjeux du traitement

« Face à des états mixtes chronicisés par manque de diagnostic, fréquents chez les personnes âgées, seule la sismothérapie permet un rétablissement, souligne le Pr Jean-Michel Azorin. Une fois que la personne est revenue à un état euthymique, il est alors possible d’instaurer un traitement par thymorégulateur. » Le spécialiste précise que « le traitement est bien accepté quand il est bien expliqué au patient et à la famille et que les enjeux sont bien présentés. Il s’agit de retrouver un état normal, avec des résultats souvent spectaculaires, alors que les tableaux de pseudo-démence, aussi appelé “syndromes de glissement”, sont dramatiques ». La sismothérapie, ou électroconvulsivothérapie (lire l’encadré du bas de la page ci-contre), est pratiquée à raison de deux à trois séances par semaines pour un total d’environ dix à vingt séances. Une sismothérapie d’entretien est aussi possible à raison d’une séance par semaine, puis tous les quinze jours, puis tous les mois, puis tous les trois mois pour prévenir la récurrence des épisodes.

* Neuromedia.ca est une publication canadienne sur Internet qui a pour objectif d’informer les seniors sur la prévention des risques pouvant affecter leurs capacités intellectuelles et de mieux en prévoir et gérer les conséquences tant sur le plan personnel que patrimonial.

Question d’un proche

Qu’appelle-t-on « démences fronto-temporales » ?

Ce sont des maladies neuro-dégénératives caractérisées par des troubles du comportement et du langage associés à une détérioration intellectuelle. Elles sont dues à l’altération progressive des zones frontales et temporales du cerveau et touchent environ 5?000 personnes en France*.

* Source : Orphanet, portail d’information sur les maladies rares et médicaments orphelins (www.orphanet-france.fr).

Point de vue

Stimuler en phase dépressive

Isabelle Basset, psychologue clinicienne en service de psychiatrie adulte et en maison de retraite

« La prise en charge d’une personne âgée atteinte de trouble bipolaire impose de prendre en compte l’âge du patient, et d’évaluer les épisodes thymiques au regard d’une éventuelle fragilité. Les épisodes dépressifs d’une personne âgée qui ne veut plus se lever, se laver, manger ou autre peuvent basculer rapidement vers la chronicité avec un risque de glissement et de grabatisation. Il est donc nécessaire d’essayer, autant que possible, de stimuler la personne même dans son effondrement dépressif car la récupération de la marche après une quasi-immobilité pendant deux semaines voire plus peut s’avérer très difficile. Surtout si elle est en plus dénutrie. Le soignant du domicile peut être un peu ferme, un peu “cadrant” tout en rappelant les enjeux de la situation, même si ça peut paraître un peu tyrannique. Dire, par exemple, “vous ne pouvez pas rester au lit et vous savez pourquoi. Vous ne pourrez plus vous lever quand vous aurez récupéré de votre dépression”. Le médecin en charge du trouble bipolaire doit être informé de la situation pour évaluer la nécessité d’une hospitalisation. »

La sismothérapie*

La sismothérapie ou électroconvulsivothérapie (ECT) est une technique qui donne des résultats très satisfaisants dans le traitement de la dépression sévère ou de la mélancolie profonde. Le principe consiste à faire passer un courant alternatif entre deux électrodes placées de part et d’autre du crâne. L’intensité électrique provoque une convulsion, une stimulation des centres à l’origine de crises d’épilepsie qui permet de faire de nouveau fonctionner normalement plusieurs neurones. Ce traitement, auparavant considéré comme brutal, s’effectue aujourd’hui dans un environnement sécurisé, sur un patient ayant subi une anesthésie et un traitement par curare. Les secousses musculaires, qui devraient être douloureuses, sont atténuées grâce à l’utilisation du curare, médicament agissant sur les muscles. Des résultats positifs sont obtenus chez environ 90 % des patients après environ six à douze séances à raison de deux à trois séances par semaine.

* D’après « Traitement de la dépression par sismothérapie », Dr Marie-Isabelle Brioche, médecin anesthésiste à l’hôpital Sainte-Marguerite à Marseille (Bouches-du-Rhône). À retrouver sur le site de l’Assistance publique - Hôpitaux de Marseille (fr.ap-hm.fr) via le lien raccourci bit.ly/2bIbUMI

Question d’un proche

Pourquoi ma mère qui a des idées suicidaires a-t-elle peur d’un risque vital avec la sismothérapie ?

Il faut savoir que les personnes “suicidaires” ne souhaitent pas nécessairement mourir, mais veulent avant tout mettre fin à une souffrance qu’elles jugent insupportable. D’ailleurs, la majorité des personnes ayant des idées suicidaires ne feront pas de passage à l’acte.

Point de vue

Minimiser les risques en phase maniaque

Isabelle Basset, psychologue clinicienne en service de psychiatrie adulte et en maison de retraite

« Lors d’un épisode maniaque, il est important de protéger la personne et ses biens. Pour la personne, mais aussi parfois pour l’entourage, les phases maniaques peuvent être très plaisantes, presque jouissives. Pour une personne âgée, une humeur haute permet en quelque sorte d’oublier la vieillesse. La personne peut retrouver une marche plus dynamique ou réfléchir plus vite avec moins d’oublis. Une “montée en puissance” que l’entourage ou l’infirmière du domicile peut détecter, mais que la personne elle-même minimise et ne souhaite pas interrompre parce que c’est agréable. Il est important de rappeler que certains comportements peuvent avoir des conséquences graves comme une fracture du col du fémur à cause d’une chute pour une personne âgée un peu trop “intrépide”. Lorsque la personne est trop exaltée, il faut parfois mettre à l’écart la carte bancaire ou les clés de voiture pour éviter des situations dommageables ou de mise en danger, et informer le médecin en charge du trouble bipolaire. »