Quand les Idels rament au sens propre comme au figuré - L'Infirmière Libérale Magazine n° 327 du 01/07/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 327 du 01/07/2016

 

CONDITIONS D’EXERCICE

Actualité

Marie Fuks  

INTEMPÉRIES > Les inondations qui ont frappé 1 358 communes, reconnues en état de catastrophe naturelle, ont mis à l’épreuve les patients et leurs soignants, dont les Idels, qui ont dû vite s’adapter pour assurer les soins mais aussi parfois gérer l’inondation de leurs cabinet et domicile.

À Ligny-le-Ribault (Loiret), comme à Nemours (Seine-et-Marne), la crue a été foudroyante. « En dix minutes, l’eau est montée de la cheville à la cuisse, explique Alexandra Bendyoukoff, Idel à Nemours, dont le domicile et le cabinet ont été inondés. Le temps de prendre les dispositions d’urgence (sauver ce qui peut l’être, appeler les assurances…), mes collègues ont pris la relève et nous nous sommes ensuite réparti les patients géographiquement et on a géré la situation au cas par cas durant les jours où il a été difficile, voire impossible de circuler. »

S’adapter, utiliser le bouche-à-oreille, aller à la pêche aux informations pour retrouver les patients évacués, voire en faire évacuer certains vers l’hôpital, trouver des moyens de fortune pour accéder à ceux qui ne pouvaient pas ou ne voulaient pas quitter leur domicile, parcourir des kilomètres supplémentaires (non remboursés et non facturables), gérer le téléphone, assurer l’approvisionnement en médicaments et parfois même en nourriture et faire les déclarations de sinistre pour les patients sans électricité ni téléphone… C’est aussi ce qu’on dû faire Stéphanie Tondu, Gwenola Édouard et leurs quatre collègues de Ligny-le-Ribault. « Nous exerçons sur un périmètre de six villages dont deux étaient particulièrement sinistrés et isolés car les ponts, inondés, sont restés impraticables en voiture pendant une dizaine de jours », explique Stéphanie Tondu.

Système D

Les Idels ont fini par retrouver tous leurs patients et ont mobilisé des ressources inattendues pour faire face à la situation : une épicerie/dépôt de pain a assuré durant quelques jours le secrétariat médical du cabinet et une patiente a fait le lien avec le laboratoire. « Nous déposions les tubes à pied ou en vélo de l’autre côté du pont et le laboratoire, dont le véhicule ne pouvait pas traverser le pont, venait les chercher chez la patiente », explique Gwenola Édouard. Les Idels ont également payé de leur personne en troquant le confort de la voiture pour la “petite reine”, seul moyen d’accéder par les ponts chez certains patients. « Nos efforts ont été largement payés en retour par le sourire que déclenchait notre arrivée en deux-roues chez nos patients », raconte Stéphanie Tondu.

Manque d’information et de consignes

Avec le recul, les Idels reconnaissent avoir rencontré des difficultés notamment liées au manque d’informations et de consignes quant à l’articulation et la mise en œuvre du dispositif de crise. « Certes, nous avons toujours trouvé des interlocuteurs attentifs et dévoués pour nous aider et répondre à nos demandes, commentent unanimement les Idels. Toutefois, force est de constater que nous n’avons reçu aucune information ni aucun soutien de l’Ordre, de la préfecture, de l’Agence régionale de santé (ARS) et des prestataires, pour nous aider à assurer la continuité des soins. » De fait, l’ARS du Loiret indique que « les listes de patients disponibles et mises à jour auprès des Samu et des pompiers concernent les patients suivis par les Ssiad et l’HAD ainsi que les malades à haut risque vital (respiratoire). Elle gère également le suivi des établissements sanitaires et médico-sociaux(1) afin d’assurer l’évacuation des personnes, de leurs dossiers médicaux et de leurs médicaments, mais n’a pas connaissance de la patientèle des infirmières libérales et n’en n’assure pas le suivi dans ces circonstances, dans l’organisation actuelle ». Concernant par ailleurs la prise en charge psychologique des personnes, les Idels, notamment rurales, regrettent de ne pas avoir eu d’information précise quant à la marche à suivre pour signaler les patients en souffrance psychologique.

L’expérience des sinistrés laissée « dans l’ombre »

Caroline Dendoncker, psychologue coordinatrice de la Cellule d’urgence médico-psychologique (CUMP) de la région Centre-Val-de-Loire, explique que la permanence du 15 permettait d’avoir accès à la CUMP sur simple appel, mais reconnaît qu’« il serait pertinent que les Idels soient, comme tous les autres acteurs de terrain susceptibles de contribuer au repérage des personnes en souffrance psychologique, destinataires d’une information spécifique concernant les modes d’entrée vers les soins médico-psychologiques. D’autant que la symptomatologie (troubles post-traumatiques) peut s’exprimer à distance de l’événement, et qu’à ce titre, les Idels constituent un relais essentiel du dispositif d’identification et de prise en charge ». De fait, ainsi que l’explique Julien Langunier, ethnologue(2), la « médiatisation quasi instantanée qui fait suite à une telle catastrophe laisse paradoxalement souvent dans l’ombre l’expérience des sinistrés et ce qui fait événement pour ces derniers ». Notamment, « l’inondation touche en premier lieu la maison en dénaturant les signes du bonheur constitué par son cadre de vie soigneusement choisi (…). La perte des objets personnels comme les photographies ou les souvenirs affecte la mémoire des habitants qui craignent l’amnésie et les difficultés de transmettre l’histoire familiale aux jeunes générations ». D’où l’intérêt d’impliquer plus directement les Idels à la gestion au long court de ce type de crise.

Inscrire les Idels dans les plans de sauvegarde

De toute évidence, une réflexion s’impose donc en termes de communication mais aussi d’articulation et d’organisation des acteurs de terrain afin que la continuité des soins assurés par les Idels soit mieux prise en compte. À la suite de ces inondations, beaucoup de communes, à l’instar de Ligny-le-Ribault, seront amenées à revoir ou à mettre en place un plan de sauvegarde. Espérons qu’à l’instar du travail collaboratif déjà engagé avec les Idels par Anne Gaborit, la maire de cette commune, les collectivités penseront à consulter les Idels pour co-construire avec elles un dispositif d’identification des personnes qu’elles soignent à domicile afin d’éviter, à l’avenir, qu’un patient reste trois jours sans réfection de pansement d’ulcère, qu’une personne âgée incontinente soit évacuée sans ses couches ou un patient sans ses médicaments. Autant de situations qui ajoutent inutilement du stress au stress, obligent les services de secours à retourner chez les patients ou les Idels à courir après des médicaments ou du matériel de soin dans les pharmacies.

(1) En date du 6 juin, 1 289 patients et résidants de dix établissements de santé et 21 établissements médico-sociaux situés dans les régions Île-de-France et Centre-Val-de-Loire ont fait l’objet d’une évacuation diligentée par les ARS.

(2) À lire dans La santé en action, INPES, juin 2015, n° 432. Via le lien racourci bit.ly/292njCI

EN SAVOIR +

→ LE TEMPS DES ASSURANCES

L’Association française de l’assurance a mis en place des mesures d’accélération des délais d’indemnisation et de simplification des démarches pour les assurés victimes des dernières inondations. Des fiches pratiques sont téléchargeables sur son site via bit.ly/1Grz7b9.