La NGAP, “épée de Damoclès” - L'Infirmière Libérale Magazine n° 327 du 01/07/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 327 du 01/07/2016

 

Paroles d’Idels… sur la NGAP

Mathieu Hautemulle  

“L’épée de Damoclès”, expression éculée ? Peut-être. Elle correspond en tout cas à la réalité infirmière, revenant plusieurs fois lors de notre appel à témoignages. Par téléphone ou e-mail, cinq Idels témoignent de leur rapport à la nomenclature. De leur ressenti – voire ressentiment. De l’aide que certains trouvent auprès d’un syndicat. Et l’interrogation sur la durée des AIS 3 est loin d’être le seul casse-tête cité… Certains prénoms ont été modifiés.

“Comme le Code de la route”

« La NGAP me fait penser au Code de la route : des cas particuliers mais qui posent toujours la même question : “Je peux ? Je dois ?” La complexité, je me demande si ce n’est pas fait exprès pour que, de guerre lasse, on cote au minimum - quand cela ne favorise pas, au contraire, la fraude, pour coter au plus avantageux, même sans vouloir frauder. Il faudrait qu’un groupe de travail Sécurité sociale-Idels mette au point un livret explicatif distribué à l’installation, et plus compréhensible quece mémo de l’Assurance maladie qui présentait des cas de perfusion ne correspondant pas à ce qu’on connaît ! Cela permettrait en amont un gain de temps et d’économie. Le problème, c’est qu’on ne peut plus avoir de rendez-vous avec les agents de la CPAM autrement que par téléphone. J’ai envoyé trois e-mails au médecin-conseil : aucune réponse. Or nous avons besoin d’une réponse rapide, dans le cas où le patient s’en va ou décède. La première chose que m’a dite le médecin-conseil lors de mon installation, c’est : “N’essayez pas de frauder, on vous retrouvera.” Puis il m’a conseillé d’aller sur le site d’Ameli : “Vous aurez toutes les réponses !” Quand la déléguée de l’Assurance maladie m’a rendu visite comme chaque année, c’est moi qui lui ai annoncé la parution de nouvelles cotations sur la perfusion… J’ai suggéré à ma CPAM d’ouvrir ses portes : que nous puissions voir comment ils bossent, et qu’eux viennent une journée avec nous sur le terrain. Il faudrait aussi trois ou quatre Idels par département, référentes NGAP-Sécurité sociale. Le seul soutien qui me donne de la sérénité et de la confiance au quotidien, c’est le service cotation proposé par mon syndicat, la FNI*. » DIDIER

“S’il y avait un budget…”

« La NGAP ne couvre pas l’ensemble de nos actes. Par exemple, toutes les préparations et administrations de médicaments. Nous nous occupons également des renouvellements d’ordonnances, en nous déplaçant chez le médecin ou à la pharmacie. Nous aimerions compter AMI 1 + MAU pour un tel passage, normalement rapide. Mais cette cotation est impossible. Certains facturent donc une AIS 3 qui coûte plus cher à la caisse et nous met en délicatesse au regard du critère horaire (trente minutes). De même pour les collyres trois fois par jour post-cataracte : impossible de compter AMI 1 + MAU (ce qui nous conviendrait très bien) ; certains comptent donc AMI 2 pour pansement ophtalmique, pour peu que l’ordonnance soit ainsi rédigée. Voilà des économies… Quant à la contention veineuse, elle passe souvent en AMI 2 avec une ordonnance factice de pansement, avec l’accord du médecin, ou en AIS 3 en fonction du libellé de l’ordonnance. En outre, avoir augmenté les cotations des perfusions est aberrant. Certes, les précédentes étaient compliquées. Mais il est stupide de les avoir majorées à ce point (AMI 14 pour une simple perfusion sous-cutanée posée en dix minutes [avec organisation d’une surveillance]). S’il y avait un budget, il fallait créer dans la NGAP de nouveaux actes. Au final, le travail est fait, les patients suivis, les dossiers de soins tenus, notre investissement total. Avant de crier à l’abus et à la malhonnêteté, les caisses (et la Cour des comptes) feraient mieux de pousser à revisiter la NGAP. Nous sommes disposés à justifier de tous les actes. Mais certains d’entre eux, répondant pourtant aux demandes des médecins et des patients, n’existent pas encore administrativement. Il est dommage que la réalisation de certains actes nous mette ainsi hors-la-loi pour simple “carence administrative”. » P. M.

“Je préfèrerais être au forfait”

« Quand j’entends parler de fraude, de surfacturation, de mauvaise application de la nomenclature, j’ai la boule au ventre. Nous subissons une forme de pression. Je boycotte les formations NGAP pour éviter les ulcères à l’estomac. Je ne compte pas le temps que je passe à me demander si telle MCI est bien adaptée, par exemple. Quand une ordonnance n’est pas très précise, je retourne chez le médecin pour qu’il apporte des précisions, afin de me couvrir. La plupart sont souvent peu compréhensifs, on sent bien qu’on en gonfle certains… Heureusement, d’autres médecins nous adressent des courriers de suivi pour nous très précieux et indispensables comme “preuves”. Nous sommes payés à l’acte, mais au rabais. La NGAP n’est pas adaptée ; c’est toujours à nous de nous adapter ! Je me dis souvent que je préfèrerais même être payée au forfait pour être plus sereine. D’autant qu’il me semble parfois indécent de devoir calculer la cotation, en fin de vie par exemple. Je pense notamment à cette dame de 80 ans et à sa fille avec laquelle j’ai discuté une heure : du bénévolat, au regard de la nomenclature. Nous faisons aussi face à une perte d’argent, car la CPAM s’est rendu compte que, depuis des années, elle payait au tarif montagne nos déplacements alors que nous aurions dû être indemnisés au tarif plaine. Pourtant, les routes et les paysages n’ont pas changé. Et surtout, mon cabinet se situe en plaine, mais les patients vivent en zone montagne… » CARMÈLE, “UNE INFIRMIÈRE ESSOUFLÉE”

“Les aberrationsde la NGAP”

« Idel depuis vingt ans et également formatrice en NGAP, il m’est parfois difficile de répondre à toutes les questions des Idels. Sans compter ce que je nommerais les “aberrations” de la NGAP. En ce qui concerne l’enfant de moins de 5 ans, pour une injection intraveineuse directe, la cotation est AMI 2, alors que, pour une prise de sang, la cotation est la même que pour les adultes, AMI 1,5. Pourtant, on pratique le même geste et la prise de sang nous prend beaucoup plus de temps. Si vous sondez un homme, c’est AMI 4 ; par contre, si vous lui faites de l’éducation à l’auto-sondage, c’est AMI 3,5, alors que vous y passez plus de temps, car il faut lui montrer, mettre en place un programme d’éducation avec des objectifs et une évaluation. Autre exemple : il existe dans la NGAP une cotation pour l’injection de produit d’origine humaine [“Injection d’un sérum d’origine humaine ou animale selon la méthode de Besredka, y compris la surveillance”] alors que, selon le Code de la santé publique, un tel acte ne peut être pratiqué “qu’à condition qu’un médecin puisse intervenir à tout moment”, ce qui n’est pas possible à domicile ! À l’inverse, avec l’engouement pour les soins ambulatoires, de nouveaux actes arrivent pour lesquels il n’y a pas de cotation prévue : ablation de redon, surveillance post-opératoire, surveillance de chimiothérapie par voie orale, retrait de sonde urinaire… La NGAP devrait être réactualisée sérieusement. » CAROLINE FERRER

“Une interprétation hyper-subjective”

« Dans mon cabinet, nous avons échangé après des formations NGAP que nous avions suivies : l’un, optimiste, estime “qu’on peut faire plein de choses”, l’autre a peur de trop coter. Certains collègues ont l’impression d’être systématiquement en fraude. à l’inverse, des cabinets font des toilettes en huit minutes… Des Idels mettent la MCI partout sans réfléchir alors que les textes sont clairs sur son application… si ce n’est pour certains malades en soins palliatifs - à partir de quand un patient est-il en palliatif ? [Sur ce point, lire p. 34, et l’article 23.2 des dispositions générales.] Pour ma part, je fais très attention ! Mais le caractère variable et hypersubjectif de l’application de la NGAP se retrouve aussi du côté des CPAM. Une formatrice nous a raconté qu’une Idel avait envoyé une même question à plusieurs caisses… et obtenu différentes réponses ! Autre problème : souvent, les médecins ne font pas de prescription pour les collyres, et les caisses s’en moquent… Un patient m’a présenté une ordonnance de son médecin pour un collyre ;j’ai appelé le médecin-conseil pour savoir comment coter. Je lui ai dit que je faisais du bénévolat deux fois par jour. Le chirurgien ophtalmologue m’a dit qu’il faudrait régler le problème de façon nationale. » JOSIANE

* La FNI n’est pas le seul à proposer une aide sur la NGAP. Son service cotation, qui entend être réactif (sous 48 heures) et faire foi, est aussi accessible, moyennant finances, aux non-adhérents.