« La France a 40 ans de retard dans le domaine de l’autisme » - L'Infirmière Libérale Magazine n° 326 du 01/06/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 326 du 01/06/2016

 

SANTÉ PUBLIQUE

Actualité

Isabel Soubelet  

INTERVIEW > Florent Chapel, porte-parole et ancien président du Collectif Autisme(1), co-auteur avec Sophie Le Callennec d’un livre-enquête paru fin mars, et père d’un enfant autiste.

L’INFIRMIÈRE LIBÉRALE MAGAZINE : Comment est née l’idée de ce livre très documenté (lire l’encadré ci-dessous) et, de fait, très critique sur la prise en charge de l’autisme en France ?

FLORENT CHAPEL : Mon fils a été diagnostiqué autiste à l’âge de trois ans, soit pas trop tardivement. Il aura bientôt onze ans. Durant toute cette période, nous avons été confrontés avec ma femme à de nombreuses situations aberrantes, notamment pour lui trouver une école et un éducateur. À chaque fois, c’était un véritable parcours du combattant. C’est un vrai raz-de-marée qui est devant nos yeux mais on ne le voit pas, tellement c’est énorme.

D’autant que, je le rappelle, l’autisme n’est pas une pathologie rare : 67 millions de personnes sont concernées dans le monde, et plus de 600 000 en France. Pour moi, la France a quarante ans de retard dans ce domaine. Ce livre est la compilation d’informations, la synthétisation et la mise en avant de toutes les difficultés auxquelles sont confrontées les familles. Notamment les personnes avec lesquelles je suis en contact à travers les associations membres du Collectif Autisme depuis huit ans.

L’ILM : Comment expliquez-vous ce retard ?

F. C. : Nous en sommes là car, au départ, il y a une erreur médicale, voire culturelle, de près d’un demi-siècle ! Et elle n’a pas été corrigée, contrairement à d’autres pays comme les États-Unis, le Canada ou la Suède. Nous payons une conception de la prise en charge qui n’est pas fondée sur la science. Je n’ai rien contre la psychanalyse en tant que telle, mais elle n’a rien à faire dans le traitement de l’autisme. Il faut arrêter les approches culpabilisantes, le trouble de la relation mère-enfant, la psychose infantile… Cela a fait (et fait encore) beaucoup de mal aux mères, aux couples, aux familles, et donc aux enfants atteints de troubles du spectre autistique (TSA) ou de troubles envahissants du développement (TED). Pour une mère, s’entendre demander si elle a donné le sein à son bébé ou, pour un couple, si l’enfant a été voulu, puis vraiment désiré pendant l’acte de conception, afin d’expliquer l’autisme, ce n’est tout simplement pas acceptable ! L’autisme est une pathologie, c’est quelque chose qui se développe et dont on ne voit que les symptômes. Ce n’est pas quelque chose que l’on attrape. C’est un trouble neuro-développemental. La Haute Autorité de santé a montré en 2012 (lire l’encadré En savoir plus, page ci-contre) qu’il était possible de prendre en charge correctement l’autisme avec des méthodes éducatives et comportementales(2). Plus de six cents études montrent l’efficacité de ces méthodes pour l’autisme, alors qu’en face aucune étude ne montre l’efficacité de la psychanalyse dans le traitement de l’autisme. Aujourd’hui, il faut faire changer le corps médical sur ce point. Il doit accepter de se remettre en cause. Mais cela demande du temps, et nous n’en n’avons pas.

L’ILM : Votre analyse est vraiment dure. Est-ce à dire que la situation actuelle est le fait d’une querelle de clochers entre les neurologues, les psychiatres et les psychanalystes ?

F. C. : Il ne faut pas le résumer ainsi. Pour moi, en 2016, il n’y a plus de querelles. Il y a des méthodes qui marchent et d’autres qui ne marchent pas. Il faut se débarrasser des secondes. Dès que l’enfant est diagnostiqué, il faut mettre en place les méthodes éducatives et comportementales. Bien sûr, elles ne fonctionnent pas toutes au même niveau pour tous les enfants. Cela demande une analyse assez fine. Il faut des psychologues, des psychiatres, des professionnels compétents. Nous avons besoin de personnes formées, très bien formées même. Des personnes dévouées et impliquées. Les parents ne peuvent faire cela seuls.

L’ILM : Quels sont les moyens d’action, et surtout d’espoir pour les familles ?

F. C. : J’en vois peu. Près de 77 % des enfants diagnostiqués n’ont pas accès aux méthodes adaptées. Pour les familles, c’est toute une organisation à mettre en place avec des éducateurs, des plannings, de la disponibilité en s’organisant autour de l’enfant, et une envie de s’engager et de se battre. Il est important qu’elles se sentent soutenues. Trop souvent, elles sont culpabilisées ou isolées. Un enfant autiste doit être éduqué, rééduqué. Il faut l’aider à avoir les bons comportements aux bons moments. Quant à l’école, seuls 20 % des enfants autistes y vont. Or, plus que les autres, ils ont besoin d’y aller. La première étape déterminante réside dans le diagnostic, qui doit être le plus précoce possible. Là aussi, la France est en retard. En moyenne, l’enfant est diagnostiqué vers 5, 7 ans contre 2 ans aux États-Unis. C’est beaucoup de temps perdu pour les apprentissages, notamment pour le langage.

L’ILM : Quelle est la prochaine étape pour vous ?

F. C. : Ce livre est le plaidoyer avant le procès ! Tous les compteurs sont au vert afin que les arguments de ceux qui font de la résistance soient cassés devant les tribunaux. Permettre à chaque autiste d’avoir un accès à des méthodes adaptées, sans maltraitance, ce n’est pas demander la lune toute de même ! Je me bats pour que les autistes ne souffrent plus.

(1) Le Collectif autisme rassemble six fédérations d’associations de parents d’enfants autistes représentatives en France : Asperger aide France, Autisme France, Autistes sans frontières, Sésame autisme, Pro Aid autisme et La Fondation autisme.

(2) Elles regroupent notamment l’ABA (analyse appliquée du comportement) qui permet l’apprentissage dans un cadre très structuré, et le PECS (système de communication par échange d’image) qui aide à suppléer ou favoriser la communication grâce à des pictogrammes.

À noter : en septembre prochain, un site Internet gouvernemental dédié aux troubles du spectre autistique (TSA) est annoncé comme prévu par le troisième Plan autisme (2013-2017) doté de 205,5 millions d’euros.

À LIRE

Coup de gueule !

Une fois le livre refermé, on ne peut qu’être révolté, voire abattu, ou les deux ! C’est un état des lieux sidérant sur l’autisme, résultat de nombreuses années de confrontation à cette difficile réalité, que Florent Chapel, lui-même père d’un enfant autiste et porte-parole du Collectif Autisme, nous confronte. Il dresse un bilan accablant de la situation en France tant sur l’établissement du diagnostic que sur les méthodes d’accompagnement. Il pointe la souffrance et l’errance des familles souvent accablées par la situation, isolées ou confrontées au rejet des institutions comme l’école. En alternant témoignages poignants, cadrage historique, évolution juridique et exemples à l’étranger, cette enquête terrassante, écrite à quatre mains avec Sophie Le Callenec, anthropologue de formation, happe le lecteur. On sort du simple “coup de gueule” pour découvrir une enquête étayée et réalisée en profondeur. Sur un sujet qui ne peut que faire réfléchir.

Sophie Le Callennec et Florent Chapel, Autisme. La Grande Enquête, préface de Josef Schovanec, Éd. Les Arènes, 256 pages, 2016. 21,90 euros.

EN SAVOIR

→Fin 2014, le Conseil d’État a validé le contenu des recommandations de 2012 de la HAS sur l’autisme (lien Internet : bit.ly/25w6uaz), très contestée par des psychanalystes et pédopsychiatres. La HAS a classé les approches psychanalytiques et la psychothérapie institutionnelle parmi les interventions globales non consensuelles.