Conflits de superficies - L'Infirmière Libérale Magazine n° 323 du 01/03/2016 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 323 du 01/03/2016

 

PROFESSION

Actualité

Laure Martin  

NOMENCLATURE > Le paiement des indemnités horokilométriques aux infirmières libérales fait encore grand bruit. Cette fois-ci, c’est en Guadeloupe que les Idels subissent un durcissement de l’application de la Nomenclature générale des actes professionnels.

En Guadeloupe, la décision est sans appel : aucune Idel ne peut plus facturer d’IK (indemnités horokilométriques). La Caisse générale de Sécurité sociale (CGSS)(1) a décidé « d’appliquer de façon stricte et précise l’article 13 de la NGAP », la Nomenclature générale des actes professionnels, explique Jean-Marc Sansiquet, directeur des prestations Assurance maladie à la CGSS. Selon cet article, le paiement d’IK est possible si le professionnel de santé prend en charge un patient dont le domicile se situe en dehors de l’agglomération où est installé son cabinet ; de plus, rappelons que l’IK est calculée à partir du domicile du professionnel le plus proche du patient(2). La Caisse s’appuie sur une décision de la Cour de cassation du 14 janvier 2010, qui a retenu la définition de l’agglomération de l’Insee (lire l’encadré) pour refuser le paiement des IK à un médecin généraliste qui le réclamait(3).

Pourquoi ce durcissement de la part de la CGSS depuis septembre 2015 ? « Nous voulons rationaliser l’offre de soins et optimiser les coûts, rapporte Jean-Marc Sansiquet. Comme le territoire n’est pas classé en zone surdotée, il y a eu beaucoup d’installations ces dernières années et la démographie des Idels a explosé. » En 2014, il y avait en moyenne près de 376 Idels pour 100 000 habitants en Guadeloupe, contre 154 en métropole(4). De plus, d’après une étude de la CGSS, il existe au moins un cabinet infirmier dans chacune des agglomérations guadeloupéennes. « Il n’y a donc pas de justification à appliquer des IK », selon Jean-Marc Sansiquet.

Spécificités guadeloupéennes

Cette décision n’est pas du goût de la profession car « la Guadeloupe possède des spécificités sur le plan géographique, pointe du doigt Gladys Chapiteau, présidente du Syndicat des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil) Guadeloupe. Alors que la superficie moyenne des communes est de 14,88 km2 en métropole, elle s’élève en Guadeloupe à 61,5 km2. » Et d’ajouter : « Nos communes, étendues, sont constituées de bourgs et de sections, et entre ceux-ci, il y a des espaces non construits. » La définition de l’Insee ne convient donc pas à la profession, qui a saisi la commission de recours à l’amiable auprès de la Caisse.

En Martinique, la menace

La CGSS de Martinique entend également s’appuyer sur l’arrêt de la Cour de cassation pour modifier le paiement des IK. La Cour prend donc comme référence la définition de l’agglomération de l’Insee, et justifie ce choix par le fait que cette délimitation est également celle retenue par la Convention nationale liant la Caisse primaire d’Assurance maladie (CPAM) des Pyrénées-Orientales aux transporteurs sanitaires privés. Or « aucun texte ne précise qu’il faut retenir cette définition de l’Insee », dénonce Jean-Marie Clovis, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI) Martinique. D’autant plus que, si elle était appliquée à la Martinique, cela voudrait dire que toutes les communes ou presque font partie d’une agglomération. Par ailleurs, « la convention des transporteurs sanitaires privés ne fait pas mention des DOM, ce qui veut bien dire que nous en sommes exclus », considère-t-il.

Face à cette opposition des Idels, la CGSS a décidé de procéder à des vérifications avant d’appliquer sa décision. Pendant ce temps, les infirmiers peuvent donc toujours facturer leur IK en Martinique. La réponse de la Caisse devait être connue courant février. « En fonction, nous ferons un recours gracieux auprès de la Caisse et éventuellement un recours devant le tribunal des affaires de Sécurité sociale », annonce l’infirmier.

Collectif “Idel Doubout”

En apprenant la volonté de la CGSS de supprimer les IK, des Idels de Martinique ont fait grève fin?janvier puis ont décidé de se rassembler pour fonder un collectif, Idel Doubout. Certes, depuis, la décision de la CGSS a été « mise en attente », mais « le collectif est aussi un moyen de rassembler les Idels qui se sentent souvent isolées dans leurs problématiques, souligne Carole Lamarre, infirmière libérale à Fort-de-France et membre fondateur du collectif qui dit regrouper plus de deux cents Idels. C’est un moyen de fédérer la profession. » Objectif : agir pour le paiement des IK. « Nous avons rendez-vous fin février avec la Caisse et les syndicats pour faire des propositions et trouver un consensus », ajoute Carole Lamarre avant d’expliquer : « Il y a des endroits du territoire qui sont reculés, où les routes sont en mauvais état avec un mauvais éclairage public. » L’application de la définition de l’agglomération par l’Insee impliquerait que les Idels devraient prendre en charge des patients dans ces « zones isolées » sans pour autant percevoir d’IK car ces quartiers feraient dorénavant partie de l’agglomération. « C’est rageant ! » Le collectif souhaite donc définir un cadre pour faire en sorte que « les infirmiers ne se retrouvent pas perdants ». Et il ne faut pas oublier les patients. « Nombreux sont ceux qui restent chez eux car ils ne peuvent pas aller en maison de retraite, pointe du doigt l’infirmière. Nous ne voulons pas avoir à leur refuser la prise en charge parce que nous ne serons pas indemnisées pour les déplacements à domicile. »

(1) Qui, outre-Mer, regroupe CPAM, Urssaf et Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) (sauf les prestations de la branche famille).

(2) Sauf en cas d’inclusion du patient dans un Prado (programme d’accompagnement de retour à domicile après hospitalisation).

(3) Décision à lire sur le site de Légifrance (lien raccourci : bit.ly/1o6TAzH).

(4) Données Drees (www.ecosante.fr). Les données Cnamts/Sniir pour 2014 montrent aussi une différence sensible entre Guadeloupe et métropole.

Des agglos à géométrie variable

Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), est appelée unité urbaine une commune ou un ensemble de communes présentant une zone de bâti continu (pas de coupure de plus de 200 mètres entre deux constructions) qui compte au moins 2 000 habitants. Si l’unité urbaine se situe sur une seule commune, elle est dénommée ville isolée. Si l’unité urbaine s’étend sur plusieurs communes, et si chacune de ces communes concentre plus de la moitié de sa population dans la zone de bâti continu, elle est dénommée agglomération multicommunale.

Le Code de la route, lui, définit l’agglomération comme « un espace sur lequel sont groupés des immeubles bâtis rapprochés et dont l’entrée et la sortie sont signalées par des panneaux placés à cet effet le long de la route qui la traverse ou qui la borde » (article R 110-2). C’est plutôt cette dernière définition que l’on défend côté Idels…