Repérer la fragilité - L'Infirmière Libérale Magazine n° 318 du 01/10/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 318 du 01/10/2015

 

Cahier de formation

Savoir faire

Les facteurs de fragilité se traduisent par une diminution progressive des déplacements, de la vie sociale ou de l’alimentation, parfois attribuée à l’âge. L’Idel demeure le pilier indispensable de l’organisation de la prévention des complications qui touchent la population âgée.

Vous vous rendez pour une prise de sang chez M. G., 73 ans, qui est veuf et qui vit seul. Vous le connaissez car vous avez suivi son épouse atteinte de la maladie d’Alzheimer avant son hospitalisation puis son décès. L’épuisement que vous aviez déjà soupçonné lorsque M. G. s’occupait de son épouse semble s’être aggravé depuis le décès de celle-ci. Il semble aussi se désintéresser des tâches quotidiennes et vous vous interrogez sur son équilibre alimentaire.

Vous lui dites que sa situation vous préoccupe. Qu’il existe des moyens de résoudre certaines difficultés qui peuvent se poser depuis le décès de son épouse. La démarche consiste dans un premier temps à identifier les premiers signes de fragilité qui pourraient avoir des conséquences sur sa santé dans un avenir plus ou moins proche. Vous lui demandez s’il accepte de répondre à quelques questions simples pour faire un premier point qui permettra à son médecin d’apprécier l’intérêt d’une prise en charge de prévention. Vous pouvez alors utiliser le questionnaire simple élaboré par le Gérontopôle de Toulouse.

L’objectif du repérage précoce de la fragilité chez les personnes âgées est d’identifier les premiers signes de fragilité pour une évaluation d’éventuels “facteurs de fragilité” afin de les traiter en vue de retarder une dépendance dite “évitable” et de prévenir la survenue de complications à l’occasion d’un stress (chirurgie, perte d’un proche…). Le repérage est la première étape d’un parcours de soins de prévention comprenant l’évaluation globale de la personne et la formalisation d’interventions de prévention adaptées dans un plan personnalisé de soins.

L’INTÉRÊT DU REPÉRAGE DE LA FRAGILITÉ

Le repérage de la fragilité chez un sujet âgé doit amener systématiquement à une recherche des facteurs qui expliquent cette fragilité.

Des facteurs comme l’inactivité ou la dénutrition peuvent être nettement améliorés par une intervention spécifique. De récents travaux ont mis en évidence une aggravation des problèmes de santé sur une courte période chez les personnes diagnostiquées fragiles, en particulier une aggravation des limitations fonctionnelles. Le repérage de la fragilité présente l’intérêt de :

→ prévoir le risque de perte d’autonomie, de chutes, d’institutionnalisation, de décès et d’hospitalisation des personnes âgées de 65 ans ou plus, dans un délai d’un à trois ans ;

→ identifier un risque chez des individus pour qui, jusqu’alors, le risque de décompensation fonctionnelle n’était pas détectable ;

→ repérer une situation précoce et progressive de la perte d’autonomie dont l’évolution peut être réversible. Et ce, alors que les critères de maladies chroniques et de limitations fonctionnelles sont souvent relativement tardifs ;

→ discerner plus précisément les populations à risque sans présumer de besoins identiques à toutes les personnes d’une même classe d’âge (lire p.36).

LES PATIENTS CONCERNÉS

La prévalence de la fragilité est faible avant 70 ans. En 2011, en France, seuls 5,1 % des personnes de 65 à 69 ans étaient considérées comme “fragiles” (en présence de trois critères ou plus selon le modèle de Fried, lire p.35), alors qu’ils étaient 11,9 % entre 70 et 74 ans, 18,4 % entre 75 et 79 ans, et 37,3 % parmi les plus de 80 ans. Inversement, le pourcentage de « robustes » (pas de critère de fragilité selon le modèle de Fried) passe de 52,8 % entre 65 et 69 ans à 23,7 % entre 75 et 79 ans, et à 13,5 % chez les plus de 80 ans*. La Haute Autorité de santé (HAS) préconise un repérage de la fragilité chez les personnes âgées de plus de 70 ans, indemnes de maladie grave et sans dépendance avérée. Ce repérage peut être réalisé par le médecin traitant ou par un autre soignant de premier recours : infirmière, pharmacien, kinésithérapeute, aide-soignante, etc.

L’ÉVALUATION GÉRIATRIQUE

Une évaluation gériatrique globale du type de l’évaluation gériatrique standardisée (EGS) est l’examen de référence pour diagnostiquer et évaluer les facteurs de fragilité. Une évaluation coordonnée et multidisciplinaire est nécessaire pour identifier les causes les plus importantes de fragilité, les hiérarchiser et proposer un plan personnalisé de santé ciblé sur les facteurs de fragilité qui ont été identifiés. Or l’EGS est un processus long, requérant des compétences gériatriques, qui ne permet pas le repérage de la fragilité chez un grand nombre de personnes âgées vivant à domicile. Pour pallier cette difficulté, le Gérontopôle de Toulouse propose une grille de repérage des premiers signes de fragilité approuvée par la HAS (lire l’encadré p.42) qui permet de sélectionner les personnes susceptibles de nécessiter une évaluation plus complète par une évaluation gériatrique globale.

LE REPÉRAGE À DOMICILE

L’état de fragilité est fréquemment asymptomatique. Il peut aussi se manifester par des signes spécifiques (chute inexpliquée, confusion ou incapacité fonctionnelle fluctuante…) ou non spécifiques (asthénie, perte de poids inexpliquée ou infections fréquentes…). À domicile, les infirmières libérales peuvent initier le repérage d’une éventuelle fragilité à travers les six questions simples de la grille du Gérontopôle de Toulouse.

→ Est-ce que la personne vit seule ?

→ A-t-elle perdu involontairement du poids pendant les trois derniers mois ?

→ Se sent-elle plus fatiguée depuis moins de trois mois ?

→ A-t-elle plus de peine à sortir de chez elle que par le passé ?

→ Se plaint-elle de problèmes de mémoire ?

→ Sa vitesse de marche est-elle supérieure à quatre secondes pour parcourir quatre mètres ?

LES AVANTAGES DE LA PRÉSENCE INFIRMIÈRE

« Les facteurs de fragilité sont des facteurs d’installation progressive qui se manifestent par une diminution des déplacements, de la vie sociale ou de la ration alimentaire journalière. L’infirmière libérale porte un regard professionnel sur les évolutions du quotidien du patient à domicile », souligne Élisabeth Maylié, infirmière libérale à Castanet-Tolosan (Haute-Garonne). Des variations qui peuvent échapper à d’autres regards, surtout si elles sont mises sur le compte du vieillissement. « Les infirmières libérales sont en bonne place pour observer une dégradation psychologique ou cognitive par exemple, alors que la famille peut être dans un déni de l’évolution des troubles et que ceux-ci peuvent échapper au médecin lors d’une consultation pour un autre motif », observe Martine Estivals, infirmière libérale à Baraqueville (Aveyron). « D’ailleurs, une telle situation pose souvent dans un premier temps le problème de l’acceptation par le patient et la famille d’une consultation dédiée avec le médecin traitant », ajoute l’infirmière. Le dépistage des facteurs de fragilité induits par une éventuelle baisse des facultés cognitives peut alors être une autre manière d’aborder l’intérêt d’une consultation.

*“Enquête sur la santé, le vieillissement et la retraite en Europe”, Share.

Trois questions à… Neda Tavassoli, pharmacienne, praticien hospitalier au Gérontopôle, CHU de Toulouse, Équipe régionale vieillissement et prévention de la dépendance

« Diffuser le concept de fragilité de la personne âgée »

La notion de fragilité chez certaines personnes âgées indemnes de maladie grave et sans dépendance avérée est-elle bien connue des professionnels de santé ?

Il y a une prise de conscience, mais l’ensemble des professionnelsn’est pas encore suffisamment informé sur cette fragilité. Et le grand public l’est encore moins. D’où un intérêt à communiquer sur ce sujet. Dès l’ouverture de son Hôpital de jour d’évaluation des fragilités et de prévention de la dépendance en 2011, le Gérontopôle de Toulousea mis en place des actions de sensibilisation et d’information envers les différents professionnels de santé de la région.

Les infirmières libérales peuvent-elle jouer un rôle dans le dépistage de la fragilité chez les personnes âgées ?

Oui, en tant que soignantes de proximité, le dépistage des facteurs de fragilité rentre tout à fait dans leur rôle. Par leur présence à domicile, elles sont en bonne place pour repérer les signes chez leurs patients non encore atteints par la maladie ou chez les aidants de patients dépendants. Le Gérontopôle de Toulouse a d’ailleurs fait beaucoup d’efforts pour sensibiliser les infirmières libérales de la région par le biais de leur Union régionale des professionnels de santé (URPS). Un courrier leur a été adressé et des réunions d’information leur sont régulièrement proposées au Gérontopôle. La possibilité d’intégrer les infirmières dans le repérage des signes de fragilité a été abordée avec l’URPS-infirmiers de Midi-Pyrénées. Nous envisageons aussi la possibilité d’intégrer les infirmières libérales dans la prise en charge et le suivi des personnes âgées fragiles qui ont déjà été diagnostiquées et qui ont un plan personnalisé de soin et de prévention. La question de la rémunération a été évidemment soulevée et il semblerait que la démarche de soins infirmiers soit adaptée à ce type de prise en charge.

Comment pourrait se faire le repérage de la fragilité à domicile ?

Depuis décembre 2013, en Midi-Pyrénées, un protocole de coopération permet aux infirmières libérales d’évaluer des personnes âgées repérées comme fragiles et de décider de leur orientation vers leur médecin traitant ou d’autres services médico-sociaux (lire l’encadré p.42). De façon plus générale, les infirmières libérales peuvent très bien utiliser le questionnaire en six questions élaboré par le Gérontopôle de Toulouse. Elles peuvent aussi s’appuyer sur une plaquette conçue à l’intention du grand public (à lire via le lien raccourci bit.ly/1USdwPW) pour expliquer le concept de fragilité et faire un repérage des facteurs avec la personne âgée. En rappelant queles facteurs de fragilité ne sont pas synonymes de gravité. Ce sont des signes d’alerte à prendre en compte en prévention d’un risque de dépendance future. En pratique, les infirmières peuvent cibler les personnes de plusde 70 ans, autonomes, mais qui ne sont pas dans leur meilleure forme.

Point de vue Élisabeth Maylié, infirmière libérale à Castanet-Tolosan (Haute-Garonne), trésorière adjointe de l’URPS-Infirmiers Midi-Pyrénées

Les Idels dans la confidence

« Les facteurs de fragilité sont directement en lien avec des éléments très personnels de la vie du patient, comme les relations avec la famille ou les amis en ce qui concerne des personnes parfois délaissées, surtout avec l’avancée en âge. Ils relèvent aussi des capacités à s’assurer une alimentation équilibrée avec des moyens financiers parfois insuffisants. Autant de sujets très personnels pas toujours faciles à révéler. Nous avons connu le cas d’une patiente âgée, veuve et vivant seule, qui avait accepté une évaluation dans un centre spécialisé. Elle est revenue avec une évaluation exempte de facteurs de fragilité qui ne collait pas avec la réalité que nous pouvions observer à domicile, notamment en termes d’isolement et d’alimentation. Elle nous a alors expliqué qu’elle n’avait pas osé révéler sa situation réelle, qu’elle avait eu honte. Car cela peut être très difficile de reconnaître que vos enfants vous ont en quelque sorte “abandonné”. Autant d’éléments de vie que la patiente nous a spontanément livrés grâce à la confiance instaurée par la relation à domicile. À domicile, la première étape de la confidence est franchie, ce qui nous permet de passer à la seconde phase et d’expliquer que certaines habitudes peuvent représenter des facteurs de risque de complications à venir, et qu’il existe des moyens parfois très simples de les améliorer. »

Repérer les signaux d’alerte

• Le repérage des facteurs de fragilité réversibles permet d’intervenir pour prévenir le risque de perte d’autonomie dans un avenir plus ou moins proche. Quelques exemples de facteurs qui peuvent interpeller l’infirmière et justifier une intervention en matière de santé, déplacements, isolement ou logement. Huit facteurs contribuant fortement à la fragilité des personnes âgées ont été mis en évidence dans un travail de recherche du Credoc*.

→ Éprouver des difficultés particulières dans le logement (porte lourde, escalier…)

→ Éprouver des difficultés pour se déplacer (pas autonome dans les transports quotidiens…).

→ Se sentir souvent seul (e) (vit seul (e), ne rec¸oit pas et ne rend pas de visite…)

→ Estimer que son état de santé s’est dégradé au cours des douze derniers mois.

→ Utiliser une canne pour marcher.

→ Avoir peur de faire un malaise à la maison ou à l’extérieur.

→ Éprouver des difficultés dans au moins un des gestes de la vie quotidienne: toilette, s’habiller, préparer les repas, faire le ménage, les courses, les tâches administratives, entretenir le linge…

* “La fragilité des personnes âgées : perceptions et mesures”, Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), décembre 2008 (lire via bit.ly/1nyyHHI).