Initier une prise en charge de la fragilité - L'Infirmière Libérale Magazine n° 318 du 01/10/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 318 du 01/10/2015

 

Cahier de formation

Savoir faire

Vous avez posé à M. G. les six questions de la grille élaborée par le Gérontopôle de Toulouse. Il a répondu positivement à trois d’entre elles : il vit seul, il se sent plus fatigué depuis moins de trois mois et il a plus de peine à sortir de chez lui que par le passé.

Vous lui expliquez que ces trois réponses positives justifient d’évoquer la situation avec le médecin traitant. Celui-ci pourra à son tour lui proposer une consultation gériatrique en vue d’identifier précisément les causes des facteurs de fragilité révélés par le questionnaire.

Ce n’est qu’à partir de ce moment que des interventions adaptées lui seront proposées.

L’ORIENTATION APRÈS LE DÉPISTAGE

La recherche de l’origine des facteurs de fragilité repérés est la deuxième étape indispensable de la prise en charge d’une fragilité. Elle permet la mise en œuvre d’interventions ciblées sur des situations individuelles.

Dès le questionnaire de dépistage, l’infirmière peut informer la personne concernée de ce qui lui sera proposé par la suite, à commencer par une visite consacrée aux facteurs de fragilité chez son médecin traitant. Pour les personnes qui répondent positivement à une ou plusieurs questions, l’orientation vers le médecin traitant permet en effet d’évaluer si la personne est ou non en phase de fragilisation, voire déjà fragile. Dans ce cas, il revient au médecin de proposer à cette personne une consultation en service de gériatrie pour une évaluation globale et spécifique de son état clinique et fonctionnel.

L’IDENTIFICATION COMPLÈTE DES CAUSES

Parfois intriquées, « les causes de la fragilité sont complexes et multidimensionnelles. Elles reposent à la fois sur des facteurs génétiques, biologiques, physiques, psychologiques, sociaux et environnementaux », rappelle le Dr Sandrine Sourdet, gériatre, responsable de l’Hôpital de jour d’évaluation des fragilités et de prévention de la dépendance du Gérontopôle de Toulouse.

Il existe une différence fondamentale entre une intervention directe sur un facteur de fragilité et une prise en charge organisée de la fragilité. Ce qui peut entraîner une confusion chez les infirmières qui ont effectivement de tout temps repéré et signalé les difficultés ou les affaiblissements des patients. Or seule une évaluation gériatrique complète pratiquée par une équipe pluridisciplinaire, le plus souvent en hôpital de jour, permet d’identifier exhaustivement les causes de fragilité et de les hiérarchiser pour proposer un plan personnalisé de santé ciblé.

LA TRANSMISSION DES INFORMATIONS

Lors de consultations en hôpital de jour, « certaines informations recueillies peuvent être biaisées par des troubles de la mémoire notamment », reconnaît Sandrine Sourdet. Pour pallier cet écueil, il est systématiquement demandé aux patients de venir accompagnés d’un proche pour avoir une information autre que celle du patient, même si seulement 30 % d’entre eux environ sont effectivement accompagnés. « Les aides à domiciles sont également consultées, car cette difficulté soulève la question des transmissions entre les soins primaires et l’hôpital », ajoute la spécialiste. En pratique, les infirmières libérales relèvent des informations lors du repérage à domicile et l’Hôpital de jour prend le relais pour un bilan de fond. Du coup, « les infirmières ont des informations importantes qui ne sont pas forcément transmises. Entre professionnels de santé, il y a souvent quelqu’un qui a l’information mais qui ne la transmet pas à la bonne personne, ce qui est souvent dommageable pour le patient », remarque le Dr Sandrine Sourdet. Un avis partagé par les infirmières libérales qui ne se sentent pas toujours écoutées ou qui regrettent que la traçabilité de leurs actions ne soit pas organisée, ce qui en empêche, de fait, la transmission. « Le futur bilan de soins infirmiers devrait rendre plus visible et plus transparent le contenu des actions des infirmières auprès du patient, escompte Martine Estivals, infirmière libérale à Baraqueville (Aveyron), et jouer à plein son rôle de support de communication entre l’infirmière et le médecin » (lire l’encadré ci-dessous). Effectivement, le bilan de soins infirmiers qui pourrait remplacer la démarche de soins infirmiers (DSI) (lire aussi notre n° 312 de mars 2015, pp.6 et 7) a pour objectif de mieux rémunérer les soins réellement effectués lors des séances de soins infirmiers, mais aussi de simplifier la transmission des informations entre les professionnels de santé.

LA HIÉRARCHISATION DES INTERVENTIONS

En présence de polypathologies et de comorbidités associées, « il est important d’identifier les pathologies qui ont le plus fort retentissement dans l’état de fragilité du patient et d’encadrer leur prise en charge », précise le Dr Sandrine Sourdet(1). Sachant que la tolérance vis-à-vis de la maladie et l’impact de celle-ci sur l’état de fragilité est très variable d’un patient à l’autre. La prise en charge passe donc par une hiérarchisation des interventions. Deux critères sont pris en compte :

→ la gravité des risques engendrés par les facteurs de fragilité à traiter. Par exemple, en présence d’une dénutrition sévère qui impacte la qualité de vie et présente un risque vital pour le patient, la prise en charge est orientée en priorité sur ce facteur ;

→ l’accessibilité et la faisabilité des interventions, ainsi que l’accord et l’implication du patient. La prise en charge d’un état de dénutrition implique une activité physique, parfois par des activités de groupe, pour lutter contre la sédentarité. « Lorsqu’une intervention optimale n’est pas réalisable et qu’il y a un enjeu pour la santé du patient à court terme, la dénutrition est malgré tout traitée en priorité, même si c’est a minima », indique le Dr Sandrine Sourdet.

POSSIBILITÉS DE FINANCEMENT

Du point de vue de la nomenclature

Actuellement, la Nomenclature générale des actes professionnels (NGAP) ne prévoit d’aide personnalisée qu’en vue de favoriser le maintien, dans son cadre de vie familial et social, d’un patient « en situation de dépendance temporaire ou permanente » (article 11 du titre XVI, “Soins infirmiers”) – et non en situation de fragilité, donc. Pourtant, « même si la personne fragile est en bonne santé, une rémunération est possible via une séance cotée AIS 3 [désignation II de l’article 11], dans le cadre d’une DSI », estime Élisabeth Maylié, Idel, trésorière adjointe de l’URPS-Infirmiers Midi-Pyrénées. Et de rappeler que les moyens mis en œuvre pour le maintien à domicile sont en effet de la responsabilité des soignants par le biais d’une démarche de soins infirmiers et d’une entente préalable. « La cotation serait tout à fait défendable en cas de contrôle », soutient l’infirmière libérale, aussi vice-présidente de l’Organisation nationale des syndicats d’infirmiers libéraux. Une précision, toutefois : « C’est une cotation qui peut effectivement être retoquée si la dimension prévention n’est pas prise en compte. » Pour l’infirmière, cet aspect est central : « La prise en charge des facteurs de fragilité est un soin de prévention en vue du maintien de la personne encore en bonne santé à domicile et pour éviter qu’elle ne soit hospitalisée ou hébergée en maison de retraite. » également interrogée sur ce point sensible, Marie-Claude Daydé, Idel et experte de la nomenclature pour notre magazine, indique que, pour un dépistage de la fragilité afin de faciliter la prévention du risque de dépendance, « l’AIS 4 [désignation IV de l’article 11] paraît la cotation de la NGAP actuellement la plus adaptée puisqu’elle évoque clairement la prévention dans son titre : “séance hebdomadaire de surveillance clinique infirmière et de prévention” ».

Du point de vue économique

« Avec un AIS 3 à moins de 8 euros(2), même un passage quotidien reviendrait à environ 270 euros par mois, ce qui reste bien en deçà du coût d’une seule journée d’hospitalisation », calcule Élisabeth Maylié. « Il y a un retour sur investissement pour l’Assurance maladie, et pour le patient en termes de qualité de vie », ajoute l’infirmière qui a toujours fait de la prévention une priorité et qui regrette qu’elle ne soit pas assez valorisée.

Conclusion similaire en faveur de la prévention du côté des économistes Thomas Rapp et Nicolas Sirven, auteurs de “L’approche économique de la fragilité” (Livre blanc de la fragilité, 2015). Selon leurs travaux, le montant total des dépenses annuelles en soins ambulatoires serait en moyenne de 2 600 euros pour les personnes âgées robustes, 3 500 euros pour les personnes âgées pré-fragiles, entre 4 200 et 4 600 euros pour les personnes fragiles. Pour les auteurs, « le surcoût de la fragilité permet de quantifier le montant des sommes pouvant être consacrées à l’action sociale ». Ainsi le financement d’une action de prévention efficace pour les personnes robustes “à risque” de fragilisation aurait un impact budgétaire neutre pour la Sécurité sociale, dans la limite d’une dépense annuelle variant entre 1 500 et 2 000 euros par personne. Les dépenses de prévention sont en effet intégralement couvertes par les économies réalisées en évitant le surcoût de la fragilité (en l’absence de prévention). Deux conditions seraient nécessaires : un repérage efficace des facteurs de fragilité et des interventions efficientes avec un ratio coût/résultats avantageux.

« Les résultats de la prévention sont difficiles à évaluer, reconnaît Élisabeth Maylié, mais il est déjà possible de constater l’absence d’hospitalisation. À l’inverse, un recours fréquent à l’hospitalisation mettrait en doute la qualité et l’efficacité de la prise en charge. »

(1) “Recherche des causes de fragilité”, Dr Sandrine Sourdet, Livre blanc sur la fragilité, 2015.

(2) AIS 3 = 7,95 euros pour la métropole et 8,1 euros pour DOM et Mayotte, hors déplacement.

Les réseaux gérontologiques

À l’heure actuelle, l’infirmière doit orienter vers son médecin traitant la personne chez qui elle a repéré un ou plusieurs facteurs de fragilité. Toutefois, la prise en charge de la fragilité étant une notion en développement, il peut être intéressant, en cas de non-réponse du médecin, d’inciter la personne concernée à contacter un réseau pour être renseignée. La Société française de gériatrie et de gérontologie a recensé et répertorié les 124 réseaux gérontologiques implantés en France*. Les réseaux sont ouverts au public.

→ Leur mission : les réseaux ont pour rôle de coordonner l’ensemble des professionnels s’occupant d’une personne âgée, d’apporter une expertise gériatrique, mais aussi de faciliter la communication entre professionnels hospitaliers et libéraux. Ils apportent un regard gériatrique dans le cadre d’une prise en charge médico-psycho-sociale envers les personnes âgées fragiles.

→ Leurs interventions : les réseaux n’interviennent jamais sans l’accord du médecin traitant de la personne concernée. Les équipes des réseaux communiquent les résultats de l’évaluation gériatrique au médecin traitant ainsi qu’à la personne concernée, et réfléchissent avec eux à l’élaboration d’un plan d’intervention personnalisé.

*“L’annuaire national des réseaux de santé personnes âgées” répertorie l’ensemble des réseaux gérontologiques de France. Disponible en ligne sur www.sfgg.fr

Point de vue Martine Estivals, infirmière libérale à Baraqueville (Aveyron), élue de l’URPS-Infirmiers Midi-Pyrénées

Le travail de prévention des Idels manque de traçabilité

« La fragilité des personnes âgées n’est pas nouvelle et les infirmières libérales l’ont de tout temps prise en compte. Le simple fait d’être régulièrement présent chez les patients permet d’observer et donc de dépister des facteurs de fragilité. Ce qui manque encore, c’est une traçabilité des actions des infirmières autres que les actes de soin proprement dits. C’est par exemple le cas d’une patiente âgée prise en charge au cabinet qui montrait des signes d’épuisement dus à l’accompagnement de son mari longtemps malade. Lors du décès de celui-ci, l’état de la patiente s’est rapidement dégradé, avec une perte de poids importante en peu de temps, des douleurs diffuses et des troubles du sommeil. C’est lors d’une visite pour une prise de sang pour le suivi de son traitement AVK que j’ai appelé le service de soins à domicile qui la suivait pour recueillir l’opinion des aides-soignantes sur l’état général de la patiente. Puis j’ai alerté le médecin. Ces interventions n’ont pas été tracées ni quantifiées. Or l’Idel a souvent un rôle de coordonnateur des soins à domicile. Outre la question de la rémunération, une meilleure traçabilité de ces actes permettrait de mettre en évidence le travail de l’Idel au cœur des prises en charge à domicile. »

La HAS valide l’intervention infirmière

Dans un avis de décembre 2013*, la Haute Autorité de santé a autorisé un protocole de coopération présenté par l’ARS Midi-Pyrénées, visant à permettre à des infirmières libérales de la région d’évaluer des personnes âgées repérées comme fragiles et de décider de leur orientation vers leur médecin traitant ou d’autres services adaptés. Le protocole de coopération intitulé “Intervention d’infirmières libérales à domicile afin de diagnostiquer et d’initier la prise en charge de la fragilité du sujet âgé” concerne les personnes âgées de plus de 75 ans vivant à domicile.

La délégation à l’infirmière concerne :

→ l’évaluation des personnes âgées repérées comme fragiles ;

→ la décision d’orienter la personne vers son médecin traitant, les services sociaux ou les professionnels de santé adaptés afin de débuter la prise en charge du syndrome de fragilité.

Conditions d’application :

→ l’infirmière intervient à la demande du médecin généraliste après information et consentement de la personne concernée ;

→ la décision et les interventions de l’infirmière sont analysées en réunion pluriprofessionnelle, au maximum dans les trente jours qui suivent la consultation de l’infirmière.

*Avis n° 2013.0092/AC/SEVAM du 4 décembre 2013.

Point de vue Neda Tavassoli, pharmacienne, praticien hospitalier de l’Équipe régionale vieillissement et prévention de la dépendance au Gérontopôle du CHU de Toulouse (Haute-Garonne)

Une consultation de fragilité pourrait s’envisager

« Nous travaillons avec l’Agence régionale de santé (ARS) de Midi-Pyrénées et le Département universitaire de médecine générale sur la gradation de la prise en charge des personnes âgées fragiles. L’Hôpital de jour d’évaluation des fragilités et de prévention de la dépendance est bien adapté à la prise en charge des cas complexes, pour les personnes présentant trois critères de fragilité ou plus, ou en cas de maladie chronique pas très bien contrôlée. Une équipe pluridisciplinaire propose une série de tests et d’évaluations répartiesur une journée, et le patient repart avec un plan personnalisé de soin et de prévention. En revanche, pour les personnes “pré-fragiles”, avec un ou deux critères de fragilité, une “consultation de fragilité” pourrait s’envisager avec des gériatres ou des médecins généralistes formés à la gériatrie. Les maisons de santé pluriprofessionnelles peuvent aussi être intéressantes. À l’heure actuelle, l’infirmière qui repère un état fragile peut le signaler au médecin traitant qui peut à son tour orienter le patient vers une structure de gériatrie s’il l’estime nécessaire. Dans tous les cas le médecin traitant reste le médecin référent.

Les facteurs de fragilité ne sont que des indicateurs possibles de fragilité. C’est leur combinaison qui permet de préciser le diagnostic de fragilité en se référant notamment à la biographie de la personne. Même si les facteurs de fragilité sont très simples à reconnaître, il ne s’agit pasde les repérer pour les traiter immédiatement. Ce point est très important. Pour poser le diagnostic de fragilité et en identifier les causes, une évaluation gériatrique multidimensionnelle par une équipe pluridisciplinaire (gériatre, psychologue, diététicien, kinésithérapeute…) est nécessaire. Par exemple, une perte de poids involontaire ne permet pas de faire des recommandations tant que la cause n’est pas explorée et précisément identifiée. »

Des aidants à risque de fragilité

En 2011, huit personnes âgées de 60 ans ou plus vivant à domicile sur dix sont aidées par leur entourage.

La charge ressentie par l’aidant d’une personne en situation de handicap ou de dépendance a des conséquences physiques, psychologiques, émotionnelles, sociales et financières qui représentent un risque de fragilisation. La charge de l’aidant – on parle parfois de “fardeau” – a une dimension subjective qui tient au ressenti de l’aidant et qui regroupe les conséquences sur les activités et la vie de l’aidant (loisirs, vie familiale…), sur sa qualité de vie et sa santé, ainsi que sur ses relations avec l’aidé.

Ainsi, un quart des aidants déclarent ressentir une fatigue physique et morale, un tiers se sentent anxieux et stressés et près de la moitié (48 %) ont une maladie chronique (Enquête Handicap-Santé, Drees, 2010). En pratique, l’aidant naturel, très impliqué dans l’accompagnement de son proche, peut progressivement négliger son propre état de santé.

L’exemple de la maladie d’Alzheimer

C’est dans le cadre de la maladie d’Alzheimer que la situation de l’aidant a été le plus étudiée. Dans ses recommandations de 2010*, la Haute Autorité de santé préconise une consultation annuelle spécialement dédiée à l’état de santé de l’aidant naturel, avec l’objectif de prévenir, détecter et prendre en charge des effets délétères que l’accompagnement peut induire sur sa santé. L’infirmière qui repère un épuisement ou des signes de souffrance chez un aidant peut lui conseiller de consulter son médecin pour faire un point sur son propre état de santé. En cas de non-réaction du généraliste, il est alors possible pour l’infimière de faire un repérage des facteurs de fragilité pour une orientation vers une évaluation globale gériatrique pour les aidants âgés.

À l’instar de ce qui est préconisé dans le cadre de la maladie d’Alzheimer, la consultation annuelle devrait particulièrement porter sur :

→ l’état psychique : repérage d’une souffrance, voire d’un épuisement, de troubles anxieux et/ou dépressifs, de troubles du sommeil ;

→ l’état nutritionnel ;

→ le niveau d’autonomie physique et psychique ;

→ l’évaluation des appareils cardio-vasculaire, locomoteur et sensoriel ;

→ les examens de dépistage usuels des facteurs de risque cardio-vasculaire, des cancers gynécologiques ou digestifs, des troubles sensoriels et des problèmes dentaires.

*“Maladie d’Alzheimer et maladies apparentées : suivi médical des aidants naturels”, Haute Autorité de santé, février 2010 (à lire via le lien raccourci bit.ly/1UKTd6U).