Rendre la vie légère comme une plume - L'Infirmière Libérale Magazine n° 310 du 01/01/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 310 du 01/01/2015

 

FINISTÈRE

Initiatives

LAURE MARTIN  

Les épreuves de la vie, Hélène Cloarec les connaît. Mais c’est la douceur ainsi que ses mots qui caractérisent cette infirmière libérale, installée à Guissény, en Bretagne ? les poèmes qu’elle écrit servent de « baume sur le cœur des gens ».

Quatre heures du matin. Les pas se font discrets dans les escaliers. Hélène s’installe à sa table de cuisine après avoir lancé la cuisson du déjeuner pour son mari et l’une de ses filles pendant que Figaro, son chat noir, veille sur elle. Le café est prêt, dans son mug. Elle se laisse quelques minutes. L’inspiration vient… ou non. « J’accouche de mes poèmes, explique-t-elle. Quand je suis inspirée, je peux en écrire un en quelques minutes, sinon, je ne force pas. Mes poèmes sortent de moi, j’arrive ­toujours à me surprendre, c’est dans mon être profond, c’est une source inépuisable. » Depuis toujours, Hélène aime les mots. Les mots lui plaisent et l’inspirent. Mais cela lui a pris un peu de temps avant de l’exprimer au travers de poèmes. « Je suis très inspirée par la nature, le temps breton, les éléments et la nature humaine, riche et complexe à la fois, que je côtoie en permanence. Je ne peux pas faire que des soins, sinon, je m’ennuie. »

Engagée en hôpital militaire

Enfant, Hélène s’imaginait déjà infirmière : elle se mettait en scène, partant en mission humanitaire en Afrique. Cette envie s’est transformée en fil conducteur tout au long de ses études, jusqu’à son diplôme d’infirmière en 1992. Elle décide alors de rejoindre l’armée pour concrétiser son projet. « Mais l’armée est très sélective, et mon dossier ne passait pas à cause de ma scoliose. » À force de persuasion auprès de la surveillante principale de l’hôpital militaire de Brest, elle parvient tout de même à intégrer l’hôpital militaire de Lyon, ville où elle souhaite s’installer puisque son futur mari y vit. Après un premier engagement, elle rempile pour deux ans, mais, ne pouvant pas partir en mission à l’étranger pour des raisons familiales, elle décide de se lancer dans une carrière en libéral, également plus compatible avec la naissance de sa fille. « Je me suis trouvée une passion pour le libéral, raconte-t-elle. J’ai tout de suite aimé ce côté indépendant, autonome. »

Le libéral, la liberté

Hélène ne compte pas ses heures et, au fil des années, elle multiplie les kilomètres pour aller soigner ses patients. « Pour moi, c’est cela le libéral, c’est la liberté. » Puis, un jour, en rentrant du travail, son mari lui annonce son envie de quitter Lyon pour retourner en Bretagne. Aussitôt dit, aussitôt fait. La maison est mise en vente et ils s’installent à Lannilis en 2001. Hélène commence par faire des remplacements dans une dizaine de communes de la région et, deux ans plus tard, décide de racheter une patientèle à Guissény, « afin de courir un peu moins ». Mais, même si elle aimait beaucoup la patientèle de ce cabinet, « je n’envisageais pas l’exercice du métier de la même façon que ma consœur ». Alors, en 2007, elle crée son propre cabinet, Bleu Océan. « C’est à cette époque que je me suis découverte une âme de poète. En accrochant des rideaux dans la chambre de ma fille sur lesquels il était inscrit Bleu Océan, cela m’a inspirée. J’ai senti ma fibre artistique. Je savais que je l’avais au fond de moi. »

Des organes qui se régénèrent

En 2009, elle commence à écrire poèmes sur poèmes. L’inspiration est là. Son travail fonctionne bien, la vie de famille aussi. Mais l’année 2013 reste et restera gravée dans sa mémoire : l’infarctus de son mari, puis la dégradation de sa relation avec sa collègue au cabinet, et enfin le coup de grâce, une méningite bactérienne et une méningite virale coup sur coup pour sa fille aînée. « J’ai cru voir mourir ma fille, se remémore-t-elle, les larmes aux yeux. Nombre de ses organes étaient attaqués par la bactérie, dont son cœur à plus de 60 %. Les médecins parlaient d’amputation, et m’ont dit qu’elle allait mourir. » Hélène, qui pratique également l’énergétique et le magnétisme, a mis en place une chaîne de prière pour sa fille. « J’ai appelé tous mes contacts énergéticiens et shamans pour qu’ils pensent à ma fille, explique-t-elle. J’ai mis en route une force parallèle. J’avais confiance. » Et l’impensable s’est produit : les organes de sa fille ont commencé à se régénérer. Un rein, le foie, puis le cœur a fini par repartir lui aussi. Entre-temps, Hélène pressent que quelque chose se trame à son cabinet. En effet, fin 2013, sa consœur et leur remplaçante la « lâchent du jour au lendemain ». Même si elle est à bout de force, Hélène ne panique pas et remonte la pente. En novembre?2013, elle préfère scinder le cabinet en deux pour mettre un terme à cette histoire. Depuis, Hélène a recruté trois autres infirmières et deux remplaçantes. Elle a d’ailleurs comme projet d’ouvrir un second cabinet à quelques kilomètres du premier afin de répondre à la pénurie de l’offre de soins sur son territoire. « Je fais du libéral depuis vingt ans et aujourd’hui je gère mon cabinet pour nous six. Il manque un chaînon entre les infirmières libérales et tout ce qu’il y a autour. Je me considère comme une coordinatrice. Désormais, je ne travaille que le matin et, l’après-midi, je fais de la coordination pour l’ensemble de mon cabinet. C’est un vrai métier qui représente un quart de mon travail, mais ce n’est pas reconnu. »

La “poèmothérapie” en breton

Cette période n’a pas été propice à l’inspiration d’Hélène qui a produit très peu de poèmes. Mais, avec la fin de cet épisode douloureux, les idées sont revenues d’elles-mêmes, avec des écrits plus profonds. Les poèmes s’entassent maintenant par centaines dans ses cahiers et ses cartons. Outre les mots, Hélène a également des projets en tête pour développer cette activité. Elle a en effet créé en 2013 une entreprise à la chambre de commerce, “La petite marchande de poèmes”. « Mes poèmes me permettent de ne pas me taire, explique-t-elle. Je fais de la “poèmothérapie”, je veux soigner les maux par les mots. Avec mes poèmes, c’est comme si je mettais un baume sur le cœur des gens. Du moins, je l’espère. » Ces poèmes parlent de la vie, des choses simples. Elle diffuse ses mots en français et en breton, pour donner ou rendre le sourire à ses lecteurs, et notamment à ses patients, chez qui il n’est pas surprenant de retrouver un poème d’Hélène encadré. Ce n’est que récemment qu’elle a appris le breton, en immersion, pendant quatre mois, le vendredi soir après le travail et les weekends. « En breton, chaque mot a une image », indique-t-elle. Parallèlement, afin de mieux comprendre les individus, Hélène a suivi des études sur le développement personnel à l’Institut privé de sciences humaines de Nantes et elle est devenue psychothérapeute.

Des poèmes sur tout support

L’année dernière, Hélène a commencé par vouloir diffuser ses poèmes sur des cartes postales, car « les gens ne lisent plus les recueils de poèmes », explique-t-elle. Elle s’est donc rapprochée d’une graphiste-illustratrice, de son nom d’artiste Tataninig, installée à Plouescat, qui lui a proposé des illustrations pour ses poèmes. Tataninig raconte : « Le projet d’Hélène m’a tout de suite intéressée car je n’avais jamais travaillé avec une poétesse. Et l’avantage, c’est qu’Hélène savait exactement ce qu’elle voulait. » Six poèmes ont été illustrés sur 3 000 cartes et mis en vente dans les commerces et chez les créateurs des environs : les fleuristes, les coiffeurs, les restaurants. « Cela marche, ou ne marche pas, ce n’est pas grave. Je le vois comme un outil pour les gens, pour qu’ils aillent mieux. Je veux donner des messages d’espoir », témoigne Hélène. Avec Tataninig, elles ont également comme projet d’imprimer des poèmes illustrés sur les briques de lait ou de jus de fruit pour que les gens puissent, au réveil, lire « quelque chose de sympa », souligne-t-elle en précisant vouloir le décliner partout, même sur les trottoirs.

Enfin, dernière idée en date : des cloches avec des poèmes. « Tout le monde dit que c’est la crise. J’ai envie d’apporter du bien aux gens, d’améliorer leur quotidien. Je me suis donc dit que je pourrais mettre mes mots à vibrer dans l’air. » Hélène s’est donc rapprochée de Nannick, une potière installée à Plouguerneau. L’idée est de monter un projet en commun, à base d’une cloche en terre réalisée par Nannick et de plumes sur lesquelles seraient inscrits les mots d’Hélène, qui voleraient au gré du vent en faisant tinter la cloche. « Les vibrations du vent pourraient apporter de la légèreté devant chaque maison, anticipe-t-elle, motivée. Ce serait ma contribution pour un monde meilleur. »

Si, dans la tête d’Hélène, il y a encore de nombreux projets, celui qui lui tient le plus à cœur est de s’installer, une fois à la retraite, dans les Monts d’Arrée, avec ses sabots, sa canne et ses lapins, et de continuer à écrire des poèmes aux côtés de son mari.