La chasse aux fraudes - L'Infirmière Libérale Magazine n° 310 du 01/02/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 310 du 01/02/2015

 

Valérie Chauveau, sous-directrice responsable de la lutte contre la fraude à la CPAM du Rhône

La vie des autres

LAURE MARTIN  

C’est le sujet qui fâche : la fraude à l’Assurance maladie. Valérie Chauveau, qui dirige l’équipe anti-fraude de la Caisse du Rhône, a fait de son métier une protection du bien public.

À la CPAM du Rhône, Valérie Chauveau a la responsabilité des services juridiques et des prestations en nature. Elle est ainsi chargée du contentieux de prestations, mais aussi du recours contre les tiers ou du versement des prestations, c’est-à-dire du remboursement des soins en libéral pour les professionnels et pour les assurés. Cette palette de missions permet à la sous-directrice de travailler à toutes les étapes, du paiement jusqu’au contrôle. Avant d’exercer cette fonction, Valérie Chauveau travaillait dans une autre CPAM où elle faisait de la maîtrise des dépenses de santé. « Quand je suis arrivée dans le Rhône, je me suis spécialisée notamment sur la fraude, compte tenu de l’activité plus importante en volume dans ce département », souligne-t-elle en précisant que, dans le Rhône, toutes professions de santé confondues et assurés, 5 millions d’euros de fraudes ont été détectés en 2014. Les infirmiers représentent la part la plus élevée avec 1 737 188 euros (pour huit Idels). L’an dernier, ils ont cumulé huit plaintes et vingt-cinq pénalités. « Quand on réalise des paiements et du contrôle interne, on s’aperçoit du potentiel qu’il y a à agir sur le montant des dépenses, indique Valérie Chauveau. Cela nous sensibilise à la lutte contre la fraude. » Et d’ajouter : « On essaie de travailler pour faire en sorte que l’Assurance maladie ne paie que ce qu’elle doit. Cela permet de contribuer à la pérennité du système de soin. »

Ciblage du professionnel

Le contrôle d’activité des professionnels de santé commence sur la base d’un ciblage de dossiers grâce à des outils informatiques qui permettent de faire apparaître des atypies de facturations, ou d’un signalement d’assurés et de professionnels de santé. « Il peut aussi y avoir des signalements internes des agents qui perçoivent des anomalies », précise Valérie Chauveau en expliquant que les fraudes ne sont pas forcément “subtiles”, comme cette infirmière qui doublait, voire triplait ses facturations. Quand la CPAM décide de mettre son nez dans un dossier, elle n’hésite pas à prendre du recul sur plusieurs mois et même plusieurs années, et de regarder l’activité du professionnel au sens large. « Une fraude est souvent répétitive, signale-t-elle. Ce sont de petites sommes renouvelées régulièrement. » Lorsque le ciblage d’un professionnel a été effectué, il est rare, selon Valérie Chauveau, que le CPAM fasse “chou blanc” car, avec l’habitude, l’équipe repère tout de suite une anomalie.

La deuxième étape consiste alors à récupérer l’ensemble des données de la facturation ainsi que les pièces justificatives pour les analyser, les croiser, les comparer et ainsi découvrir le mode de fraude. Dans le cadre de son enquête, la CPAM est en relation avec d’autres administrations (fiscale entre autres) via le Comité départemental anti-fraude, ce qui lui permet d’avoir un réseau d’informations, notamment sur l’environnement de la personne contrôlée. « Une enquête prend au moins trois mois, et peut parfois durer jusqu’à huit ou neuf mois. »

« Train de vie »

L’analyse effectuée, l’équipe regroupe les données et chiffre le préjudice au cas par cas. Lorsqu’il y a deux interprétations possibles, elle applique la plus profitable au professionnel. La CPAM décide alors des suites contentieuses, qui peuvent aller du simple indu envoyé au professionnel accompagné d’une lettre de mise en garde, à l’indu avec une pénalité financière dans les cas prévus par le Code de la Sécurité sociale. « En cas de pénalités financières, nous envoyons, en amont, une lettre à l’infirmier concerné dans laquelle les griefs lui sont rappelés », précise Valérie Chauveau. Il peut alors venir s’exprimer et se défendre devant l’une des commissions de la CPAM qui regroupe membres du conseil de la CPAM et membres de la profession. En 2014, les montants des indus étaient compris entre 300 et 8 000 euros.

En cas d’extrême escroquerie, le CPAM a recours au pénal après avoir démontré le mode de fraude utilisé par le professionnel, indispensable pour porter plainte. « L’acte fictif relève du pénal, sauf s’il n’est pas intentionnel », note-t-elle. Et de constater : « Les gens se font prendre parce qu’ils ont été trop gourmands, comme cet infirmier à mi-temps qui facturait pour 350 000 euros d’actes par an. Lorsqu’un train de vie se crée, les fraudeurs continuent souvent de l’alimenter. »

Jusqu’à la saisie des biens

La CPAM dépose alors une plainte, puis, après analyse du parquet et enquête de police, il appartient au tribunal de juger. Lorsque le jugement est favorable à la CPAM, celle-ci veille au remboursement des sommes indues en faisant si besoin appel aux huissiers. Et tout est envisageable, même la saisie des biens. La CPAM peut aussi intervenir auprès du Conseil de l’Ordre des infirmiers, qui a pour mission de veiller au respect de la déontologie et à la qualité des soins. « Il pourra alors prononcer une interdiction d’exercer », conclut Valérie Chauveau.

Elle dit de vous !s

« Mon métier pervertit l’image que je peux avoir de la profession d’infirmière, car je côtoie surtout celles qui organisent des fraudes. Bien évidemment, je connais de nombreux professionnels de santé qui sont scandalisés par ceux qui ternissent l’image de leur profession. Tout le monde n’est pas à mettre dans le même panier. Mais, dans le Rhône, le nombre de personnes qui fraudent est important, et il appartient à la communauté de payer pour eux, ce que je trouve incorrect. Le métier d’infirmier est difficile moralement et physiquement, d’autant plus qu’il s’étale sur une plage horaire étendue. Son exercice demande dévouement et énergie. Quand il est bien réalisé, c’est un très beau métier. Aujourd’hui, on a tendance à dire, “c’est dur, cela doit rapporter”. Oui, c’est dur, mais c’est choquant quand le côté financier prend le dessus dans une profession basée sur le sens du dévouement. »

FACTURATION

« Se renseigner au moindre doute »

Abstraction faite de l’escroquerie, qui se caractérise notamment par une intention de la réaliser, il est possible d’éviter un indu ou une pénalité financière. « Il faut une bonne rigueur de gestion de la facturation », rappelle Valérie Chauveau. Il y a parfois une facturation d’actes fictifs car l’infirmier a prérempli des passages à domicile qui n’ont pas eu lieu. « Certains disent que c’est de la négligence, souligne-t-elle. Mais quand cela se reproduit, cela pose le doute. » Si la facturation a été préparée à l’avance, elle doit être vérifiée tous les jours. Et la base d’une bonne facturation demeure l’application de la nomenclature. « Les infirmiers ne doivent pas hésiter à se renseigner au moindre doute sur la cotation d’un acte », conseille Valérie Chauveau. Et il est important d’effectuer sa facturation au fur et à mesure, et non une fois par mois. « C’est moins lourd que de passer devant une commission des pénalités. » Il faut avoir une activité de bonne gestion et ne pas oublier que, même lorsqu’elle est confiée à quelqu’un ou à une association de gestion agréée, la facturation relève de la responsabilité de l’infirmier.