L’observance médicamenteuse - L'Infirmière Libérale Magazine n° 310 du 01/01/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 310 du 01/01/2015

 

Cahier de formation

Savoir

Plus d’un patient chronique sur deux est inobservant vis-à-vis de son traitement. “Irrationnel” mais “naturel”, ce comportement complexe est influencé par de multiples facteurs qui dépassent souvent le cadre du simple “oubli”. Il est utile de mieux connaître les déterminants de l’observance et de préférer l’adhésion thérapeutique à l’injonction médicale.

L’OBSERVANCE

La notion d’observance est empruntée au vocabulaire religieux où elle désigne l’action de pratiquer fidèlement une règle. Dans le milieu médical, elle n’est réellement démocratisée que depuis l’arrivée des trithérapies anti-VIH pour lesquelles une grande rigueur est nécessaire. Elle peut néanmoins revêtir différentes significations.

L’observance thérapeutique

→ La définition fondatrice de l’observance thérapeutique a été proposée en 1979 par l’épidémiologiste américain Haynes comme « l’importance avec laquelle les comportements d’un individu, en termes de prise médicamenteuse, de suivi de régimes ou de changement des habitudes de vie, coïncident avec les conseils médicaux et de santé ». Elle désigne donc un comportement de santé large qui englobe la prise des traitements mais aussi les règles hygiéno-diététiques (alimentation, évitement des conduites à risque comme le tabac, exercice…), les examens de suivi, l’autosurveillance….

→ L’observance ainsi définie renvoie à une relation d’obéissance entre le soignant (qui “ordonne”) et le soigné (qui se conforme, plus ou moins, à la prescription).

À noter : le terme “compliance”, surtout utilisé par les Anglo-Saxons, est emprunté au domaine de la physique où il désigne le caractère élastique d’un corps soumis à une force. Transposé au domaine médical, il réduit davantage encore la relation soignant-soigné à un rapport de force, le patient étant soumis aux directives médicales.

L’observance médicamenteuse

L’observance médicamenteuse est la facette de l’observance thérapeutique qui s’intéresse au fait d’entreprendre ou de poursuivre des traitements selon les recommandations médicales. Elle est de loin la plus étudiée car la plus facilement quantifiable par des méthodes directes (observation ou décompte des prises, dosages plasmatiques ou urinaires des médicaments ou de leurs métabolites, etc.) ou indirectes (questionnaires patient, relevés de prise…).

Qu’est-ce que le taux d’observance ?

Le taux d’observance, exprimé en pourcentage, quantifie le degré ou niveau d’observance médicamenteuse : il correspond au rapport entre le nombre de prises effectives et le nombre de prises prescrites sur une période donnée (soit 50 %, 70 %, 90 %… des prises effectivement administrées).

À quel taux est-on observant ?

Certains auteurs considèrent qu’un patient “observant” est celui qui se conforme toujours et sans exception à sa prescription (taux d’observance de 100 %). Mais, de façon majoritaire et dans la plupart des essais cliniques, le patient est considéré comme “observant parfait” s’il atteint au moins un “seuil d’observance” de 80 % : autrement dit, s’il prend correctement au moins 80 % des médicaments sur une période donnée (lire la question d’Idel ci-dessous). A contrario, l’inobservance (ou la “non-observance”) débute pour un niveau d’observance inférieur à ce seuil…

À savoir : pour certains traitements, ce seuil peut néanmoins être supérieur. C’est le cas des traitements antirétroviraux utilisés dans le cadre du VIH pour lesquels un seuil de 95 % est retenu (seuil en-deçà duquel le risque de résistance viral est majoré).

ÉTAT DES LIEUX

Dès les années 1990, les études internationales sur l’observance médicamenteuse se sont multipliées, notamment dans le cadre des pathologies chroniques où elle est plus largement constatée.

Un résultat médiocre…

En 2003, après analyse des études internationales les mieux documentées, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) conclut que la proportion de malades chroniques respectant leur traitement n’est que de 50 % dans les pays développés (et sans doute plus faible encore dans les pays en voie de développement). D’ores et déjà, l’OMS prédit que le phénomène « ne fera que s’amplifier à mesure que la charge mondiale des maladies chroniques va s’accroître » avec le vieillissement de la population. …

et qui tend à s’aggraver

En 2014, les résultats d’une étude conjointe IMS Health/Crip(1) actualisent le constat en France et donnent raison aux prédictions de l’OMS. L’étude mesure l’observance sur douze mois de 170 000 patients en initiation de traitement pour six pathologies chroniques qui représentent le quart des dépenses de médicaments et qui comportent un risque à terme de complications graves. Globalement, la proportion de patients observants est évaluée à 40 %. Plus spécifiquement, et par ordre croissant : 13 % des patients souffrant d’asthme sont observants, 36 % des insuffisants cardiaques, 37 % des diabétiques de type 2, 40 % des hypertendus, 44 % des patients souffrant d’hypercholestérolémie et 52 % de ceux souffrant d’ostéoporose.

Toutes les maladies sont concernées

L’OMS concluait en 2003 à un résultat médiocre, quel que soit le type de la maladie, « le phénomène étant observé dans toutes les situations imposant au patient de s’administrer lui-même ses médicaments ». Si les maladies asymptomatiques (hypercholestérolémie, ostéoporose, diabète…) sont davantage concernées par les difficultés d’observance, les maladies “immédiatement” graves ne sont pas épargnées. Pour exemple, la non-observance des médicaments immunosuppresseurs serait la première cause de rejet de greffe d’organe, le taux d’observance dans le cadre du VIH ne serait que de 54 à 80 % (selon études) et il ne dépasserait pas 65 % chez les patients en dialyse péritonéale…

Pas seulement les médicaments

Si l’observance médicamenteuse est la plus souvent mesurée, elle n’est généralement que la face visible d’une inobservance plus globale, notamment vis-à-vis des règles hygiéno-diététiques pour lesquelles les taux observés seraient plus bas encore. Selon un constat du réseau Diabète Paris Nord(2), 80 % de patients souffrant de diabète de type 2 ne suivent pas les recommandations nutritionnelles…

ENJEUX

Les conséquences de l’inobservance s’entendent d’abord sur le plan individuel mais aussi collectif.

Conséquences médicales

L’inobservance expose à des risques d’augmentation reconnue de la morbidité (rechutes, aggravation, échappement thérapeutique, complications, hospitalisations…) et de la mortalité. Leur évaluation est difficile, mais une étude menée en 2014 par le cabinet d’étude Jalma(3) estime qu’une meilleure observance permettrait d’éviter en France chaque année 100 000 hospitalisations et 2 % des décès…

Les personnes âgées sont particulièrement impactées avec en tête les chutes iatrogènes liées à une hypotension orthostatique ou à un syndrome confusionnel (psychotropes, médicaments de la sphère cardiovasculaire, antalgiques…) : 10 % des hospitalisations et 10 % des chutes chez les seniors seraient ainsi dues à une mauvaise observance médicamenteuse(4). Les chutes des plus de 65 ans provoquant selon l’Inserm près de 9 000 décès annuels, 900 décès par chute chaque année sont liés à des médicaments(5).

Conséquences économiques

→ Les conséquences économiques ne sont pas négligeables en termes de coûts directs (traitements des complications, hospitalisations…) ou indirectes (dégradation de l’état de santé, perte d’autonomie, arrêts de travail…). En 2012, une étude mondiale d’IMS Health révélait que plus de la moitié des économies potentielles de santé relèvent de l’observance, soit 269 milliards de dollars pour 186 pays.

→ En France, le cabinet Jalma(3) estime que la mauvaise observance coûterait chaque année près d’un milliard d’euros en hospitalisations évitables. L’IMS Health annonce en 2014(1) une économie annuelle potentielle de plus de 9 milliards d’euros pour les principales complications des six pathologies chroniques étudiées, soit : l’AVC, les maladies coronariennes, l’infarctus du myocarde, l’œdème pulmonaire, les fractures ostéoporotiques et l’état de mal asthmatique.

→ Selon l’OMS, optimiser l’observance médicamenteuse aurait plus d’impact en termes de santé mondiale que le développement de nouveaux médicaments(6).

UN COMPORTEMENT COMPLEXE

Prendre son traitement ne se résume pas à l’acte d’avaler des comprimés. Tous les professionnels de santé l’ont expérimenté, l’injonction médicale (« Il faut prendre vos traitements, madame X ! »), même répétée en boucle, ne porte guère ses fruits. Toute la difficulté de l’observance, médicamenteuse ou plus large, réside dans la complexité de ce comportement, soumis à une multitude de facteurs qui l’influencent positivement ou négativement. On ne peut considérer l’observance sans prendre en compte les priorités du patient, ses représentations, son parcours de vie. Il faut garder à l’esprit que ce comportement est complexe.

Comportement multiple

→ Les comportements d’inobservance dits “primaires” désignent les cas où les patients ne prennent pas du tout leur traitement : soit ils ne l’achètent pas (14 % des médicaments prescrits en moyenne), soit ils ne le commencent pas (13 % des médicaments prescrits). Donc, au total, plus du quart des médicaments prescrits ne sont pas débutés. Les comportements d’inobservance dits “secondaires” décrivent les cas où les patients commencent un traitement mais ne le suivent pas correctement. Soit par défaut quand ils oublient des prises, en sautent, diminuent les doses, la durée de traitement, décident de “vacances thérapeutiques” le week-end ou pendant leurs congés, soit par excès quand ils augmentent les posologies ou le nombre de prises, ou encore par adaptation du schéma de prise (par exemple, prise en une seule fois plutôt que fractionnée sur la journée).

→ Les oublis, souvent évoqués par les patients, ne peuvent suffire à expliquer le constat général d’inobservance. D’après les estimations, les oublis “vrais” ne seraient en réalité responsables que de 30 % de la non-observance(7)… L’inobservance peut aussi être plus ou moins consciemment intentionnelle (« je ne veux pas prendre ce traitement », « de toute façon, ça ne me fait rien »…). Elle peut aussi être justifiée de façon objective (« je ne supporte pas les effets indésirables », « il faut prendre cette gélule au petit déjeuner or je ne déjeune pas »…).

→ En 2008, une étude anglosaxonne(8) propose de définir sept types principaux de comportements d’observance : le patient “docile” qui suit son traitement à la lettre, le “démissionnaire précoce” qui l’arrête prématurément, “l’intérimaire” qui saute des prises, “l’intermittent” qui consomme les médicaments de façon irrégulière en diminuant ou augmentant les doses au gré des symptômes, le “joueur” qui tente sa chance sans traitement, le “distrait” qui oublie le plan de prise, le “rebelle” qui s’oppose à tout par nature.

Comportement dynamique

→ Observant un jour, observant toujours ? Non. L’observance est un comportement dynamique. Dans la réalité, il n’y a pas ou peu de patients toujours “observants” ou “inobservants”, mais des fluctuations de comportements dans un sens ou dans l’autre, au gré des événements de vie. Selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales(9), l’inobservance concernerait ainsi la quasi-totalité des patients à un moment de leur prise en charge et le phénomène s’observerait chez plus de 90 % des personnes atteintes d’affections chroniques à un moment donné de leur maladie.

→ En cas d’affection chronique, la première année du traitement est une période particulièrement critique où les abandons sont les plus fréquents. Des études sur la persistance (durée pendant laquelle le patient suit “correctement” son traitement) montrent par exemple que seuls 54 % des patients atteints de maladies cardiovasculaires sont observants de leur traitement (aspirine, bêtabloquant, IEC et statine) après un an et 50 % des patients hypertendus ont arrêté leur antihypertenseur dans un délai d’un an(10).

Comportement naturel

→ Il peut sembler irrationnel de ne pas prendre un traitement quand il est prescrit par le médecin dans le but de préserver sa santé, d’autant plus dans un pays où l’accès est facilité. Irrationnel mais naturel, comme l’explique le Pr Gérard Reach, diabétologue spécialiste de l’observance (lire le Point de vue page ci-contre).

→ Outre la contrainte quotidienne, le traitement rappelle au patient chronique son statut de malade, parfois à vie. Accepter ce statut est un processus de maturation plus ou moins long dont la rupture d’observance fait partie, comme un réflexe de défense pour minimiser sa maladie. Le fait de le prendre (ou non) est finalement le fruit d’un combat intérieur (« je prends mon traitement pour préserver ma santé ») ou je ne le prends pas (« pour vivre mieux l’instant présent, oublier ma maladie, éviter les contraintes… ») dans lequel la rationalité médicale ne prend pas forcément le dessus.

Comportement social

Prendre un traitement expose au regard des autres (port d’une sonde, d’une pompe à insuline…) avec un risque de se sentir stigmatisé, mis à distance. Finalement, si l’inobservance met en jeu la bonne santé physique, elle peut aussi viser une meilleure santé sociale (qui fait partie de la définition de la santé de l’OMS, au même titre que la santé physique ou mentale) : si je ne prends pas mon traitement, je redeviens “normal” aux yeux des autres. La recherche d’une bonne santé sociale permet ainsi également de comprendre l’irrationalité de certains comportements d’inobservance.

Comportement sous haute influence

→ Le comportement d’observance est influencé positivement ou négativement par une multitude de facteurs (plus de 250 facteurs ont ainsi été décrits) qui interagissent entre eux et sont évolutifs dans le temps. Repérer dans le parcours de vie d’un patient les facteurs qui conditionnent son comportement d’inobservance permet de déterminer les leviers qui permettront de l’accompagner vers une meilleure adhésion.

→ Parmi les principaux facteurs identifiés qui favorisent les difficultés d’observance, certains sont liés à la maladie, au traitement ou au patient lui-même.

Lié à la maladie

L’absence de symptômes immédiats, la chronicité, les troubles cognitifs, physiques (baisse de l’acuité visuelle, de la dextérité, des capacités de préhension…).

Lié au traitement

La polymédication (une étude américaine a montré que l’observance passe de 75 % lorsqu’un seul produit est prescrit à 40 % pour quatre médicaments ou plus…), la durée du traitement, la complexité du plan de prise (plusieurs prises quotidiennes), le temps quotidien dédié au traitement, la complexité d’administration (injections, aérosols doseurs, reconstitution de produit…), les effets indésirables, la substitution (le changement fréquent de générique engendre une perte de repère dans le conditionnement, la présentation, le goût).

À noter : la sortie d’hôpital et les fréquentes modifications de traitement pendant le séjour font du retour à domicile un moment de décrochage fréquent de l’observance.

Lié au patient lui-même

→ Sa situation socio-économique : niveau social bas, précarité, situation familiale complexe, éloignement géographique des centres de soin.

→ Son “état” psychique : dépression, troubles du comportement, mésestime de soi, solitude, démotivation.

→ La perte d’autonomie.

→ Ses capacités d’adaptation, de résilience (rebondir après l’annonce de la maladie chronique).

→ Son âge : l’âge en soi n’est pas un facteur de risque d’inobservance mais la vieillesse peut s’accompagner de situations qui sont des facteurs de risque comme une moindre dextérité pour manipuler les conditionnements (flacons, collyres, blisters…), des troubles visuels ou auditifs (lors des explications du traitement), des troubles de la mémoire, des revenus plus faibles, une plus forte vulnérabilité aux effets indésirables… L’adolescence est aussi une période jugée à risque d’inobservance.

→ Son entourage (ou son absence) : isolement, absence de personne ressource, attitude négative des proches.

→ Ses savoirs : une mauvaise compréhension de la maladie, de l’intérêt du traitement, des risques de complication, des expériences négatives antérieures (notamment effets indésirables).

→ Ses représentations et croyances en matière de santé : représentations de la maladie (déni, peur, anxiété, injustice…), perception négative ou subjective de la santé (crainte des génériques, défiance vis-à-vis du système de santé, croyances religieuses, culturelles…), perception individuelle de la gravité, expériences de santé antérieures négatives.

Lié à la relation soignant/soigné

Manque de confiance, de communication, d’informations sur la maladie ou le traitement, de suivi, de disponibilité, d’écoute, temps de consultation insuffisant, nomadisme médical, absence de cohérence dans le parcours de soin.

VERS L’ADHÉSION THÉRAPEUTIQUE

Le constat d’une observance médiocre dans le cadre des maladies chroniques remet en cause le schéma classique théorique de l’observance : le soignant “ordonne”, le patient “se conforme à l’ordonnance”. Une nouvelle approche tournée vers l’adhésion thérapeutique ou “degré d’acceptation par le patient de sa prise en charge” semble aujourd’hui incontournable pour améliorer l’observance. Davantage centrée sur le patient, elle lui redonne de l’autonomie, un rôle actif dans sa prise en charge et un pouvoir de décision : il collabore aux propositions thérapeutiques, y adhère volontairement, se les approprie selon ses priorités. L’objectif étant finalement qu’il trouve du sens lui-même à prendre son traitement et à suivre les recommandations.

Les conditions côté patient

→ Accepter sa maladie : accepter ce nouveau statut de “malade chronique” nécessite une maturation, parfois longue, jalonnée de phases diverses (déni, colère, incrédulité, sensation d’injustice, refus…) à l’instar d’un processus de deuil (deuil de sa bonne santé, de sa liberté et de sa vie d’avant). Envisager l’adhésion à un traitement implique que ce processus d’acceptation soit avancé. À noter que les “retours en arrière” sont possibles tout au long de la vie avec la maladie, à la faveur d’événements personnels (stress, aggravation de la pathologie…).

→ Comprendre son traitement : comprendre le mode d’action du traitement et son intérêt à court et à long terme est un postulat essentiel de l’adhésion (par exemple : « Je sais que l’insuline permet de baisser ma glycémie et que l’hyperglycémie chronique est la cause de complications graves du diabète »).

→ Être en demande d’autonomie : certains patients, généralement plus observants, ne sont pas en demande d’autonomie dans leur prise en charge. Cette passivité (« Moi, je fais comme mon médecin me dit ») doit être respectée : appliquer de façon abusive le modèle de l’adhésion thérapeutique en offrant une autonomie non souhaitée serait contre-productif.

→ Trouver ses propres motivations : pour débuter et surtout poursuivre son traitement, le patient doit trouver son propre intérêt à se soigner, la motivation pour prioriser une “récompense” lointaine (préserver sa santé cardiaque, par exemple) par rapport à une “récompense” immédiate (ne pas prendre son médicament car c’est ennuyeux, chronophage, stigmatisant…). Les priorités médicales sont à juste titre celles du soignant mais pas forcément celles du patient qui a une vie sociale, des préoccupations, d’autres problèmes…

Les conditions côté “pro”

→ Changer son regard : abandonner le modèle paternaliste culpabilisant (« Monsieur, il faut prendre vos médicaments, sinon… ») qui, de toute évidence, ne porte pas ses fruits. Le préalable pour comprendre le pourquoi de l’inobservance et travailler le changement avec le patient est d’être prêt à entendre les difficultés d’observance sans jugement, en la replaçant dans un contexte de normalité dans la maladie chronique. La relation de “soumission” fait place à une relation d’accompagnement.

→ Créer une alliance thérapeutique : l’alliance thérapeutique est l’accord établi entre le patient et le professionnel de santé qui construit avec le patient une stratégie de soin adaptée à la fois aux recommandations médicales et aux priorités et ressources et aux désirs individuels. La prise en charge s’adapte tant que possible à son mode de vie (et non l’inverse).

→ Partager les savoirs : beaucoup moins asymétrique, la relation patient/soigné est interactive. Au savoir médical s’ajoute le savoir expérientiel du patient (organisation quotidienne, croyances…) qui est pris en compte pour l’amener à adhérer. Ce qui implique un droit de “négociation” du patient, le professionnel se positionnant davantage en “partenaire” du changement. Il fait émerger les liens entre les représentations du patient et son comportement de soin, travaille sur les résistances, identifie des leviers à actionner, les mobilise et les fait évoluer.

RÔLE DE L’IDEL

L’information et l’éducation du patient font partie du rôle propre de l’infirmière décrit dans l’article R 4311-5 du Code de la santé publique. Concernant plus précisément l’observance médicamenteuse, sont mentionnés : l’aide à la prise des médicaments, la vérification des prises, la surveillance de leurs effets et l’éducation du patient.

Au quotidien, le rôle de l’Idel est de :

→ connaître la prescription de chacun des patients chroniques suivis et organiser l’administration des médicaments selon la prescription médicale en veillant à l’observance et à la continuité des traitements ;

→ informer et éduquer les patients à leur traitement : intérêt, prises, manipulation des dispositifs… ;

→ repérer des ruptures d’observance ou des situations à risque d’inobservance et en comprendre l’origine ;

→ dans ce cas, si l’Idel y est formée, élaborer un diagnostic éducatif en explorant les déterminants personnels de l’inobservance (comportementaux, émotionnels, cognitifs, sociaux, somatiques…) pour repérer des ruptures, les difficultés d’observance ou des situations à risque d’inobservance et en comprendre l’origine… ;

→ synthétiser les informations, en assurer la traçabilité via les outils adéquats (recueil de données, dossier de soin, compte rendu infirmier, transmission…) et faire le lien avec les personnes ressources impliquées : proches, aidants, médecin, pharmacien… ;

→ accompagner le patient dans son processus de changement comportemental. Ce dernier point entre notamment dans le cadre de l’éducation thérapeutique. L’Idel formée peut élaborer un diagnostic éducatif en partenariat avec le patient (évaluer ses capacités physiques, cognitives, facultés de résilience…), trouver des objectifs communs d’amélioration, mettre en place un programme motivationnel et d’acquisition des compétences de soin, évaluer les changements, suivre et réajuster les interventions en conséquence.

(1) “Améliorer l’observance, traiter mieux et moins cher”, IMS-Health/Crips (Cercle de réflexion de l’industrie pharmaceutique), 2014.

(2) Protocole diabète du Réseau de sante ? Paris-Nord, “Comment favoriser l’observance dans le diabète de type 2”, 2006.

(3) “Les enjeux de l’observance en France”, cabinet Jalma, 2014.

(4) “Consommation médicamenteuse chez le sujet âgé”, Pr Legrain, Haute Autorité de santé (HAS), 2005.

(5) D’après “Observance thérapeutique chez les personnes âgées”, Comité régional d’éducation pour la santé d’Île-de-France, 2001.

(6) “L’observance des traitements prescrits pour les maladies chroniques pose problème dans le monde entier”, OMS, 2003.

(7) “L’observance des traitements, un défi aux politiques de santé”, Livre blanc de la Fondation Concorde, février 2014.

(8) “Amélioration de l’adhésion au traitement chez les patients atteints de maladies inflammatoires de l’intestin” (traduit de l’anglais), Robinson A., 2008.

(9) « Encadrement des programmes d’accompagnement des patients associés à un traitement médicamenteux, financés par les entreprises pharmaceutiques », Inspection générale des affaires sociales, janvier 2008.

(10) Chiffres issus de “Penser autrement le comportement d’adhésion du patient au traitement médicamenteux : modélisation d’une intervention éducative ciblant le patient et ses médicaments dans le but de développer des compétences mobilisables au quotidien”, thèse soutenue par Magalie Baudrant-Boga le 27 octobre 2009, université Joseph-Fourier de Grenoble (Isère).

Question d’Idel

Pourquoi le seuil d’observance est-il fixé à 80 % ?

Sur le plan pharmacologique, on estime de façon consensuelle que 80 % est le taux d’observance en dessous duquel le traitement est moins efficace et des complications peuvent apparaître (par exemple une résistance aux antibiotiques).

Question de patient

Est-on obligé de suivre un traitement prescrit par son médecin ?

Non. Le fait de ne pas se conformer aux directives médicales est un droit, comme stipule l’article L111-4 du Code de la santé publique : « Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé (…). Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. »

Point de vue

« L’inobservance est naturelle »

Pr Gérard Reach, responsable du service d’endocrinologie, diabétologie et maladies métaboliques de l’hôpital Avicenne, Bobigny (Seine-Saint-Denis) et auteur de Pourquoi se soigne-t-on ? Enquête sur la rationalité morale de l’observance (lire Savoir plus p. 44)

« L’inobservance est irrationnelle mais naturelle. Les médecins sont convaincus des bienfaits des traitements sur le plan sanitaire, et ils n’ont pas tort. Mais la réalité humaine fait qu’on a 50 000 raisons de ne pas faire les choses qu’on devrait faire ! Il y a toute une psychopathologie de la vie quotidienne qui explique qu’on ne les fait pas car elles nécessitent des efforts et que l’humain est naturellement paresseux. De plus, prendre un comprimé nous rappelle que l’on est malade et, pour fuir cette idée désagréable, inconsciemment, on ne le prend pas. Certaines personnes donnent plus de poids à une récompense proche et concrète, même si elle est petite, comme de ne pas prendre de comprimés, qu’à une récompense lointaine et abstraite qui est de conserver sa santé sans complications : c’est ce qu’on appelle la myopie “clinique”. D’autres sont néanmoins observantes car c’est aussi une question de caractère. Deux traits de caractère peuvent à mon sens expliquer la non-observance : l’impatience, c’est-à-dire donner la préférence au court terme, et la désobéissance, qui se retrouve dans d’autres actes quotidiens comme celui de ne pas mettre sa ceinture à l’arrière d’une voiture par exemple. »

Les e-patients parlent d’observance

La première enquête nationale “Vos traitements et vous” a été menée en oc tobre dernier auprès de patients chroniques sur le Web par Catherine Tourette Turgis, maître de conférences qualifiée, professeur en sciences de l’éducation à l’UPMC-Sorbonne Universités, en collaboration avec le Pr Christian Pradier, chef du département de santé publique du CHU de Nice (Alpes-Maritimes). Présentés le 19 novembre, les résultats compilent les réponses de plus de 1 000 e-patients ayant répondu entièrement au questionnaire et dressent une tendance ches les patients chroniques utilisateurs du Web.

Si 82 % ont confiance en leur médicament :

→ 44 % oublient parfois leur traitement (le plus souvent les moins de 25 ans, diagnostiqués depuis plus de deux ans et/ou à partir de cinq médicaments par jour) ;

→ 29 % ne l’ont pas pris de façon intentionnelle lors des quinze derniers jours, le plus souvent en diminuant le nombre de doses (47 %) ou en arrêtant complètement (37 %) ;

→ 29 % l’ont modifié eux-mêmes ;

→ 33 % considèrent que le traitement les gêne dans leur vie quotidienne ;

→ 45 % déclarent qu’il leur arrive de ne pas supporter de prendre leur traitement.

On note également que plus le changement de traitement est important (arrêt ou diminution de 50 % au moins des posologies), plus le patient le notifie au médecin. Le climat de confiance avec le médecin est également déterminant : 45 % des patients parlent de leurs difficultés d’observance à un médecin “coopératif” contre 35 % s’il est autoritaire…