Accompagner le changement - L'Infirmière Libérale Magazine n° 310 du 01/01/2015 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 310 du 01/01/2015

 

Cahier de formation

Savoir faire

Vous voyez madame M., 75 ans, atteinte d’un cancer du côlon, qui vit seule, pour la prise en charge de la stomie digestive à domicile. Elle vous confie ne pas vouloir prendre son traitement de chimiothérapie car elle n’accepte pas de vivre avec une stomie. Au cours du soin, elle n’est guère coopérante. La stomie la révulse et vous comprenez que c’est déterminant dans son refus de se soigner.

Insister sur la prise du traitement sans un accompagnement global semble inutile. Après l’élaboration du diagnostic éducatif, vous posez comme diagnostic infirmier l’anxiété qui se caractérise par le refus du traitement et l’isolement social. Vous transmettez la synthèse du bilan éducatif au médecin et vous sollicitez pour votre patiente une prescription de séances d’éducation thérapeutique.

EXPLORER LES FREINS

Les freins à l’observance sont aussi multiples et individuels que la multitude de facteurs qui la déterminent. Plus ou moins poussés selon la formation et le temps dont dispose l’Idel, l’observation du patient et le diagnostic éducatif doivent être menés pour orienter au mieux le type d’intervention prioritaire. Les professionnels formés à l’éducation thérapeutique vont utiliser un modèle théorique explicatif qui s’organise autour de cinq dimensions principales : cognitive, comportementale, sociale et relationnelle, émotionnelle et impact quotidien.

Dimension cognitive

→ L’objectif est de sonder le niveau de connaissances du patient sur sa maladie et son traitement et de façon plus globale sur la santé : « Que savez-vous de votre maladie, des complications possibles, savez-vous de quelle façon agit votre traitement… ? »

→ Besoins prioritaires identifiés : intervention informationnelle sur la maladie, le traitement et leur intérêt.

Dimension comportementale

L’objectif est de mieux comprendre les stratégies mises en place (ou non) par le patient pour gérer son traitement. L’Idel, pratiquement seule à voir le patient au domicile, a l’avantage d’observer l’organisation du patient et éventuellement la prise effective du traitement. Elle peut compléter son observation par un questionnement : « Comment prenez-vous vos traitements, vous arrive-t-il d’oublier ou de vous tromper, quel moyen avez-vous trouvé pour ne pas oublier chaque jour, arrêtez-vous vos traitements de temps en temps, à quelle occasion, rencontrez-vous des difficultés pour ouvrir les sachets, utiliser cet inhalateur, mettre votre collyre… ? »

→ Besoins prioritaires identifiés : gestion des oublis, outils techniques, aide-mémoires, entraînement à la manipulation des conditionnements, adaptation du traitement au quotidien…

Dimension sociale et relationnelle

→ L’intimité du patient peut relever des situations à risque d’inobservance : la solitude, l’absence d’aidant, la perte d’autonomie ou de sociabilité… L’observation peut se compléter de questions : « Qui s’occupe de vos médicaments à la maison, avec qui pouvez-vous échanger sur votre maladie… ? »

→ Besoins prioritaires identifiés : accompagnement, intervention de personnes aidantes, aides (maintien à domicile, allocation personnalisée d’autonomie…), assistance sociale, mise en relation avec des réseaux de soin, des associations de patients…

Dimension émotionnelle

→ Les représentations du patient sur sa santé et ses émotions liées à des événements de vie sont un point clé de son adhésion. Si elles ne sont pas exprimées d’emblée, elle peuvent être recherchées : « Quel est votre ressenti actuel sur votre maladie (colère, apaisement, crainte, lassitude…), pensez-vous que prendre un traitement tous les jours est difficile, êtes-vous fatigué, anxieux en ce moment, quelle importance accordez-vous à vos médicaments, vous arrive-t-il ne plus les supporter… ? »

→ Besoins prioritaires identifiés : intervention de type éducationnel et motivationnel.

Impact quotidien

→ L’impact du traitement sur le quotidien (effets indésirables, regard des autres, prise de temps, efforts d’organisation, contraintes de conservation, limitation des activités…) est un facteur primordial de la rupture d’observance, notamment intentionnelle. Là encore, le ressenti est très individuel : la prise d’un seul comprimé peut paraître un effort insurmontable pour un patient, d’autres gèrent bien une polymédication.

→ Pour l’estimer, ne pas hésiter à questionner le patient (« Les contrain­tes de votre traitement vous semblent-elles supportables dans votre quotidien, à quelle occasion ne le sont-elles pas, avez-vous dû renoncer à une activité à cause de votre traitement… ? »…) et à évaluer sa satisfaction globale sur une échelle virtuelle : « Sur une échelle de 1 à 10, où situez-vous votre satisfaction vis-à-vis de votre traitement ? »

→ Regarder du côté de l’ergonomie est, selon certains auteurs, l’une des pistes à développer de façon prioritaire pour améliorer l’observance des patients (lire le point de vue ci-dessus). Dans ce cadre, la voix des patients mais aussi l’observation de leurs pratiques à domicile sont déterminantes.

EXPLORER LA MOTIVATION

Le type d’intervention dépend également de l’avancée du patient dans le processus d’acceptation de sa maladie et de son traitement. La probabilité qu’un individu adhère, s’engage et poursuive une démarche de changement sur le long terme dépend de sa décision individuelle, donc de sa motivation. Il est important d’adapter son action à la phase de changement dans laquelle il se situe. On peut s’appuyer sur le modèle du changement proposé par Prochaska et Di Clemente et qui décrit cinq phases.

Pré-contemplation

→ « Je ne vois par pourquoi je prendrais ce traitement, je ne suis pas malade, je ne ressens aucun symptôme ! »

→ Intervention : prioritairement de type cognitif, avec des informations médicales sur la maladie, ses complications, l’intérêt du traitement.

Contemplation

→ « J’hésite, c’est contraignant de le prendre chaque jour… »

→ Intervention : insister sur la balance bénéfices/risques. « Certes, c’est une contrainte, mais c’est en commençant votre traitement dès maintenant que vous pouvez protéger efficacement vos artères et éviter des complications dans le futur… »

Préparation

→ « Je me sens prêt à essayer mais je crains des effets indésirables… »

→ Intervention : encourager, envisager avec le patient un premier objectif qui lui semble réalisable. « Vous pouvez le prendre cette semaine et, puisque je repasse lundi, nous verrons ensemble si vous avez ressenti une gêne. »

Action

→ « J’ai pris l’habitude de le prendre tous les jours. »

→ Intervention : féliciter et rappeler encore les effets positifs. « Je vous en félicite, c’est une bonne initiative que de penser dès maintenant à protéger votre santé pour l’avenir… »

Maintenance

→ « Je ne suis plus trop sérieux ces temps-ci avec mon traitement. »

→ Intervention : explorer de nouveau les freins à l’observance, établir un diagnostic infirmier de rupture d’observance.

À noter : cette phase de maintenance englobe celles d’éventuelles rechutes.

ACCOMPAGNER SUR LE LONG TERME

Le diagnostic éducatif permet de définir un programme d’interventions dans un projet de santé à long terme, centrées sur les réactions humaines d’adaptation. Ces interventions psycho-comportementales ou plus spécifiquement axées sur l’ergonomie sont définies avec le patient dans un projet de soin à long terme et visent à faire émerger chez le patient des compétences d’auto-soins, de décision et d’adaptation nécessaires à son autonomie. Du ressort de l’ETP, ces interventions demandent des compétences spécifiques afin de maîtriser des techniques, des méthodes et outils spécifiques, donc de s’y former. Le problème majeur restant la rémunération des Idels : les séances, d’une heure environ, ne sont pas inscrites à la nomenclature et donc non rémunérées (sauf dans le cadre d’expérimentations ou d’un réseau de soin). La consultation infirmière semble l’outil de choix pour développer et pour accompagner l’adhésion thérapeutique sur le long terme (lire ci-dessous).

Point de vue

« Des solutions dans la vie concrète des gens »

Catherine Tourette-Turgis, maître de conférences qualifiée, professeur en sciences de l’éducation, UPMC-Sorbonne Universités

« Au risque de prendre le contre-pied des approches uniquement comportementalistes de l’observance thérapeutique, je la vois davantage comme une activité, une série de tâches à conduire. Dans cette approche, le patient est considéré comme un opérateur qui participe à l’organisation d’un travail médical et pour lequel les médicaments sont des outils, efficaces, mais difficiles à utiliser et à maîtriser. Il développe des habitus, invente et détourne l’usage de ces “objets” pour en réduire l’inconfort et rester socialisé. La recherche de solutions pour améliorer l’observance repose alors sur la prise en compte des conditions d’utilisation des médicaments et aussi la gêne occasionnée : il faut regarder du côté de l’ergonomie, explorer la concurrence entre les tâches à conduire par le patient, ses gestes quotidiens, c’est-à-dire sa vie “concrète”. Il faut donc démédicaliser l’approche de l’observance et partir des pratiques de l’utilisateur lui-même. Dans ce sens, j’ai créé un Certificat universitaire de démocratie sanitaire* pour donner aux associations de patients des moyens d’initier des groupes d’analyse de la pratique des patients en matière de soin. »

* En savoir plus : www.universitedespatients.eu

Des médicaments connectés pour favoriser l’observance

Le laboratoire Merck Serono propose deux dispositifs médicaux électroniques d’auto-injection destinés à favoriser l’adhésion des patients à leur traitement : RebiSmart s’utilise avec les cartouches Rebif (traitement de la sclérose en plaques) ; EasyPod avec les cartouches de Saizen (hormone de croissance humaine). Munis d’un écran, ces dispositifs délivrent des instructions sur les modalités d’injections puis enregistrent les informations de prise (date, heure, quantités…) sur une plateforme en ligne qui peuvent être téléchargées par le patient et son médecin.

Point de vue

« La mauvaise observance, critère d’inclusion dans notre programme d’expérimentation »

Dominique Jakovenko, Idel, Président de l’Association des infirmiers libéraux du bassin alésien (Ailba), Trophée de l’infirmier libéral au Salon infirmier 2014

« Notre projet d’expérimentation, dans le cadre de la consultation infirmière, vient d’être validé par l’Agence régionale de santé et la Caisse d’Assurance maladie. Nous allons pouvoir proposer, en collaboration avec les médecins, des séances d’éducation thérapeutique. La mauvaise observance en est l’un des critères d’inclusion, au même titre que les critères biocliniques vitaux ou la mise en route d’un nouveau traitement. Il s’agit, pour les infirmiers formés, de faire un recueil de données et de poser un diagnostic infirmier puis un diagnostic éducatif de la situation clinique en collaboration avec le patient. Mais on est dans une démarche plus poussée que l’information médicale ou l’éducation à la santé : en manipulant les outils d’éducation thérapeutique, on prend en compte le patient dans sa globalité avec son vécu et on fait le lien avec ses compétences pour l’amener à gérer son traitement de façon autonome. L’expérimentation prévoit des séances individuelles sur-mesure d’une heure environ et rémunérées 40 euros, l’objectif étant leur inscription future à la nomenclature. »