Les professions libérales se rebiffent - L'Infirmière Libérale Magazine n° 307 du 01/10/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 307 du 01/10/2014

 

POLITIQUE

Actualité

CONTESTATION > Des professions réglementées qui se sentent attaquées par le futur projet de loi “croissance et pouvoir d’achat”, des propos considérés comme « vexatoires » par les professions libérales : l’ancien ministre de l’Économie, Arnaud Montebourg, a laissé un lourd chantier. Les professionnels, en colère, ont appelé à manifester le mardi 30 septembre.

Il semblerait que la mobilisation des professions libérales ait porté ses fruits. Face à la pression des huissiers, des notaires, mais aussi des professions de santé, Bercy, qui ne souhaite pas un passage en force de la réforme des professions réglementées, a décidé de la reporter à 2015. Malgré tout, les professionnels concernés sont en colère et n’oublient pas les propos tenus par l’ancien ministre de l’Économie.

Professions stigmatisées

« Arnaud Montebourg a soutenu que les professions réglementées auraient pris six milliards d’euros aux Français et qu’il serait temps de les leur restituer, recontextualise le Dr Michel Chassang, président de l’Union nationale des professions libérales (UNAPL), qui regroupe 62 organisations syndicales. Vous voyez un peu l’image qu’il se fait et qu’il donne des professions libérales. C’est inadmissible ! » « Être stigmatisées et présentées comme des professions dont les revenus sont jugés scandaleux est inacceptable », ajoute Philippe Tisserand, président de la Fédération nationale des infirmiers, membre fondateur de l’UNAPL.

6 milliards à dégager

En juillet dernier, Arnaud Montebourg a en effet annoncé cette réforme visant à dégager six milliards d’euros de pouvoir d’achat en 2015, en s’attaquant aux monopoles des professions réglementées. Le futur projet de loi, “croissance et pouvoir d’achat”, qui s’appuie sur un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) (lire notre numéro 306 de septembre), était encore en cours de préparation lors de son départ du gouvernement fin août. Son successeur, Emmanuel Macron, a fait part, dès son arrivée, de son intention de porter le texte, avec une réécriture partielle, avant sa présentation en Conseil des ministres. C’était sans compter les réactions des professions libérales.

Ouverture au capital

Outre des critiques sur la méthode retenue par les pouvoirs publics pour conduire cette réforme avec l’absence de concertation et le manque de transparence sur le rapport de l’IGF non dévoilé dans son intégralité, c’est essentiellement le fond du futur projet de loi qui alarme les professions libérales. Les instances européennes ne seraient pas étrangères à ce chantier, puisqu’elles souhaitent procéder à « un exercice d’évaluation des réglementations nationales en matière d’accès et d’exercice des professions réglementées », comme le prévoit une directive du 20 novembre 2013. « Au niveau de l’Union européenne, on nous dit que seuls les masseurs kinésithérapeutes sont concernés mais on sait très bien qu’après eux, les mesures vont se décliner aux autres professions », rapporte Philippe Tisserand. Parmi les mesures transversales à toutes les professions libérales, le futur projet de loi de Bercy prévoit l’ouverture au capital des Sociétés d’exercice libéral (SEL). « Aujourd’hui, pour avoir des parts dans une SEL, il faut exercer la profession en question, explique le Dr Chassang. Le futur projet de loi prévoit que demain, on pourra acheter des parts dans une SEL, même en étant exclusivement financier, donc dans le but d’investir. » « La santé devient une marchandise avec l’introduction du capital et donc la perte de l’indépendance des professionnels de santé au service des investisseurs, martèle Philippe Tisserand. C’est inacceptable, et cela risque de mettre à mal la qualité et la sécurité des soins, car, en étant soumises à des actionnaires en attente de dividendes, les professions de santé devront choisir les patients les plus rentables. »

Mesures spécifiques

Certaines professions sont par ailleurs concernées par des mesures plus spécifiques. Il a par exemple été évoqué, pour les infirmières, la suppression du numerus clausus. Même si une telle hypothèse n’est pas explicitement évoquée pour les Idels dans le rapport de l’IGF, certains craignent une régulation par les prix. « Cela suppose qu’une infirmière libérale qui veut du travail devra proposer les prix les plus bas du marché, avance Philippe Tisserand. Le gouvernement veut instaurer une concurrence et appliquer au monde de la santé un raisonnement valable au domaine marchand, alors que nos prix sont déjà régulés. C’est une aberration ! » « Cette idée d’instaurer une liberté totale, d’enlever les freins à la formation et à l’installation des infirmières est une remise en cause des négociations conventionnelles signées depuis dix ans », dénonce le Dr Chassang. Pour les pharmaciens, il est notamment envisagé d’autoriser la vente de médicaments à prescription médicale facultative dans la grande distribution et les parapharmacies - mesure à laquelle s’oppose la ministre de la Santé, Marisol Touraine - et d’assouplir les conditions de regroupement des pharmacies.

Actions, réactions

« Outre le fait qu’aujourd’hui, nous ne savons pas exactement quelles mesures seront prises, nous nous devons de réagir, car l’exercice libéral est menacé », fait savoir le Dr Chassang. L’UNAPL a donc appelé au soutien de toutes les professions libérales qui ont déjà commencé à agir comme les huissiers, les notaires et aussi les pharmaciens, et a lancé un appel général à une “journée sans profession libérale” le 30 septembre. « Si le gouvernement n’entend pas notre appel, nous annoncerons des mouvements plus durs comme des manifestations dans la rue », prévient-il. Les professions libérales attendent du gouvernement « qu’il change de méthode », « accepte de négocier », et « l’assurance que la santé n’est pas une marchandise, qu’elle restera indépendante et qu’on restera propriétaires de nos cabinets », explique le Dr Chassang. Après avoir reçu les professions juridiques en présence de la garde des Sceaux, Emmanuel Macron a annoncé qu’il allait s’entretenir avec les professions de santé, en présence de Marisol Touraine - les pharmaciens ont ainsi été reçus le 19 septembre. Il a par ailleurs affirmé qu’un parlementaire serait missionné sur le projet de loi. Le Premier ministre, Manuel Valls, a quant à lui donné son accord pour qu’un débat parlementaire soit mené sur le projet de loi, ce qui n’exclut en rien le recours à des ordonnances.