Communiquer malgré les troubles cognitifs - L'Infirmière Libérale Magazine n° 306 du 01/09/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 306 du 01/09/2014

 

Cahier de formation

Savoir faire

Les troubles cognitifs mettent en difficulté les soignants qui prennent en charge les patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Les infirmières libérales peuvent améliorer leurs relations avec les patients en comprenant les réactions d’opposition et en s’appuyant sur des méthodes de soin adaptées aux manifestations de la maladie.

Mme G. est atteinte de la maladie d’Alzheimer et souffre de troubles du langage. La conversation devient difficilement compréhensible, mais vous devez refaire son pansement.

Il est souvent difficile de communiquer avec un patient atteint de troubles cognitifs et de faire comprendre l’intérêt du soin. Quand les mots se dérobent et que les idées s’égarent, l’infirmière doit s’appuyer sur d’autres canaux de communication comme le regard ou le toucher. Le ton de la voix, la mimique, la gestuelle et le regard sont autant de messages non verbaux riches d’informations pour le soignant.

SOIGNER LA COMMUNICATION

Considérer l’échange possible

Les symptômes de la maladie d’Alzheimer se manifestent différemment d’un patient à l’autre, mais les troubles de la mémoire et de l’attention sont généralement les premiers à entraver la relation aux autres. Malgré ces difficultés, et même à un stade avancé de la maladie, le soignant peut agir sur la mémoire émotionnelle qui reste intacte jusqu’au bout de la vie. Il peut utiliser des techniques d’approche et de communication pour laisser une empreinte émotionnelle positive lors d’un soin qui sera ressenti agréablement malgré les troubles cognitifs. Il est très important de toujours considérer la personne comme un interlocuteur possible. À l’inverse, si le soin est ressenti de façon négative, la réponse émotionnelle devient réactive, voire défensive envers l’environnement et envers le soignant. En adaptant sa communication aux capacités du patient, l’infirmière peut :

→ cibler correctement une demande du client ;

→ favoriser l’autonomie de la personne qui réussit sa démarche et revaloriser son estime de soi ;

→ laisser une impression agréable au patient qui peut favoriser les soins à venir.

Éviter les distractions

Les troubles de l’attention sont fréquents et précoces dans la maladie d’Alzheimer. Le soignant a intérêt à privilégier un contexte calme, à l’écart du brouhaha. Une discussion en situation duelle, en tête-à-tête, facilite la concentration. Il est nécessaire d’accorder du temps pour les réponses, d’autant plus que les personnes sont âgées.

Se limiter à une idée par phrase

Le patient qui perd progressivement l’usage des mots réduit son discours à des phrases simples. La mémoire de travail, à court terme, est très tôt mise à mal dans la maladie d’Alzheimer (c’est la mémoire qui sert par exemple à retenir un numéro de téléphone pour le composer immédiatement et à l’oublier ensuite). Le soignant doit choisir des phrases courtes, en se limitant à une idée par phrase. Les phrases trop longues entraînent des problèmes de compréhension car la personne peut oublier le début de la phrase. De même pour les questions : les questions ouvertes du type « où voulez-vous vous installer pour que je refasse votre pansement ? » amènent le patient à conceptualiser et verbaliser des informations, sachant qu’en fonction du niveau de l’atteinte cognitive, ce qui n’est pas présent à sa vue n’existe pas. Il faut préférer les questions fermées qui appellent une réponse par oui ou non comme « est-ce qu’on s’installe au fauteuil comme la dernière fois ? ».

Donner le mot manquant

Lorsque le patient ne parvient pas à trouver le mot juste, l’infirmière peut lui faire des propositions de mots en fonction du contexte et à condition d’avoir compris son intention. La personne qui connaît les mots mais n’y a pas accès les reconnaît lorsqu’ils lui sont proposés. Une proposition de mot “hors sujet” peut faire perdre le fil de la conversation aux deux interlocuteurs. Le soignant doit régulièrement s’assurer d’une bonne compréhension réciproque, par exemple en reformulant l’idée du patient : « Vous préférez rester au lit ? » Tout en prenant garde à l’écholalie lorsque la personne répète exactement les derniers mots (« je préfère rester au lit »), qui n’exprime pas forcément un choix réel. Quand seule la communication verbale est perturbée, le soignant peut montrer les objets (un coussin pour se redresser, un verre d’eau pour boire) pour débloquer la situation, à condition encore une fois d’être sûr de comprendre la demande pour ne pas dévier de l’idée de départ.

Recourir à l’écrit

La lecture est l’une des dernières facultés préservées. Elle est souvent abandonnée parce que la personne ne comprend plus le sens de ce qu’elle lit. Le problème concerne surtout les textes longs, mais les consignes courtes sont lues assez longtemps. Le support écrit peut être une aide à l’observance du traitement, l’observance et la persistance thérapeutiques sont parfois considérées comme le reflet indirect de la qualité de la prise en charge engagée. Il peut être proposé au patient qui se demande souvent s’il n’a pas oublié de prendre son traitement de signer à chaque prise à côté du nom du médicament sur un agenda. En plus d’enlever une source d’angoisse importante, ce gain d’autonomie rassure le patient sur ses capacités et le valorise. Si l’opération est répétée plusieurs fois avec un aidant, la mémoire procédurale prend le relais. C’est la mémoire des routines et des savoir-faire qui est conservée tout au long de la vie. Ainsi, une personne qui ne se souvient pas avoir été dessinateur continue à pouvoir réaliser des croquis.

GÉRER LES TROUBLES DU COMPORTEMENT

Comprendre la réaction émotionnelle

Les troubles du comportement de type agitation ou agressivité doivent être considérés comme l’expression d’un mal-être de la personne angoissée parce qu’elle ne peut gérer des situations simples. Les troubles cognitifs peuvent amener la personne à réagir émotionnellement par du stress, de l’angoisse ou de l’agitation, comme un dernier mode d’expression lorsque la verbalisation est empêchée. D’où l’importance de proposer une attitude émotionnelle positive pour que la personne soit rassurée par une sensation de bien-être. À l’inverse, une attitude hâtive ou expéditive contribue à aggraver la confusion et favorise les comportements d’agitation.

Solliciter les émotions

La mémoire émotionnelle qui reste intacte jusqu’au bout de la vie est la mémoire des souvenirs conscients ou inconscients liés à une émotion forte (joie, tristesse, colère, etc.). C’est pourquoi un sourire et un ton aimable sollicitent cette mémoire et installent la personne dans une situation agréable et rassurante. En regardant le patient en face, le soignant montre qu’il lui accorde de l’attention. À l’inverse, un regard peu ou pas attentif sera perçu de façon négative. Le sourire indique que, même si le message passe difficilement, le soignant veut communiquer et comprendre. D’autant que, par un phénomène de mimétisme (échomimie), la réponse à une question posée agréablement sera donnée sur le même ton. Pour une prise de tension ou la pose de bas de compression, des gestes calmes et souples influencent les souvenirs de la mémoire émotionnelle vers une sensation agréable de la relation. Si la relation émotionnelle est maintenue, les troubles de communication diminuent énormément.

Maintenir le contact

Pour maintenir la relation et être reconnu comme bienveillant par des personnes atteintes de troubles mnésiques, le soignant doit porter une attention permanente à la manière dont il utilise les piliers de la relation que sont la parole, le regard et le toucher. Il est souhaitable de maintenir au moins deux piliers, soit parler et toucher, soit parler et regarder (lire page ci-contre sur la toilette).

Gérer l’agressivité

Avec l’évolution de la maladie, l’agressivité peut prendre la forme d’une irritabilité répétée, d’une opposition gestuelle, de débordements verbaux, plus rarement d’agressions physiques. Il s’agit dans un premier temps de reconnaître l’état de tension de la personne qui s’énerve : « Je vois bien que vous êtes contrarié car on n’arrive pas à se comprendre, mais je vais faire mon possible et ne vous en faites pas, on va trouver une solution à ce qui vous contrarie. » Pour les personnes qui ne refusent pas le contact, un toucher léger sur la main ou sur le bras peut être apaisant. Autrement, la diversion sur un autre sujet peut être un recours pour sortir le patient d’une situation d’échec qui l’angoisse.

Réorienter la conversation en cas d’incohérences

La personne atteinte peut répondre “à côté”, souvent en personnalisant le discours sur ce qu’elle connaît, ce qui lui permet de continuer à s’exprimer. Par exemple, à la question « qu’avez-vous vu à la télévision hier soir ? », une personne qui ne trouve pas la réponse peut dire « j’aime bien me promener dans le jardin ». Il ne s’agit pas alors de faire remarquer que la réponse est incohérente, mais plutôt de communiquer un peu sur ce nouveau thème, ce qui va rassurer le patient. Le regard, les mimiques ou les gestes du patient permettent d’identifier l’émotion associée à ce souvenir. Le soignant peut montrer l’intérêt qu’il porte à cette émotion et ainsi la reconnaître : « Je vois que ces promenades vous font plaisir (ou, au contraire, vous causent du chagrin). » La conversation peut être ensuite ramenée sur le motif de la présence du soignant par des questions simples dans un contexte calme.

Question de patient

Pourquoi ma mère parle-t-elle de choses anciennes comme si elles étaient toujours présentes ?

La maladie d’Alzheimer entraîne une “désorientation” dans l’échelle du temps avec un télescopage des événements récents et passés. La personne peut, par exemple, vouloir aller travailler alors qu’elle est à la retraite, aller chercher à l’école des enfants aujourd’hui adultes ou aller voir sa mère décédée. Il est très important d’accorder de l’attention à ces propos qui touchent des sujets très sensibles pour le patient.