Les soins palliatifs à domicile, c’est possible - L'Infirmière Libérale Magazine n° 305 du 01/07/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 305 du 01/07/2014

 

PRATIQUES

Actualité

THIERRY PENNABLE  

TÉMOIGNAGES → La Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap) a tenu son congrès national annuel à Montpellier du 18 au 20 juin. Les participants ont réfléchi à la mise en œuvre de la prise en charge très spécifique des soins de fin de vie.

Les soins palliatifs sont nés d’une critique radicale de la part de la société civile à l’égard du sort réservé par l’institution médicale aux grands malades et aux mourants, ont rappelé les organisateurs. Forte d’une longue expérience du métier, que ce soit à domicile ou en hospitalier, Lucienne Claustres, actuellement infirmière libérale à L’Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse) et formatrice en soins de fin de vie auprès d’Orion santé, est intervenue pour donner son point de vue sur la pratique des soins palliatifs à domicile.

Lucienne Claustres, qui a appuyé son propos sur deux cas cliniques, a souligné « la différence capitale entre vivre sa fin de vie à domicile et mourir à domicile ». Car le désir de vivre sa fin de vie à la maison n’exclut pas le décès à l’hôpital. « La prise en charge de l’infirmière libérale doit être adaptée au désir exprimé par le patient et sa famille. Elle intègre l’éventualité d’un décès ailleurs qu’au domicile », ajoute l’infirmière formatrice.

Davantage une relation d’aide

« Nous travaillons le plus souvent possible à deux au début et à la fin de la prise en charge », précise Lucienne Claustres, qui partage l’unique tournée du cabinet avec Samuel Tijon, son associé, et une infirmière collaboratrice. La première visite permet d’évaluer la prise en charge, les besoins et les capacités du patient et de ses aidants. Il faut aussi vérifier que les intervenants, prestataire de service ou pharmacie, aient bien délivré le matériel et les médicaments nécessaires. Après avoir considéré les connaissances qu’ont le patient et ses proches de la situation, une attention est portée au ressenti du patient envers « l’amoncellement de matériel qui ressemble à une intrusion importante et inquiétante dans le lieu de vie. Le non-respect des lieux d’intimité comme la chambre ou la salle de bain peut être vécu comme une violation de ces espaces ». Un temps est ensuite consacré à « l’ajustement des locaux pour permettre des conditions de travail optimales tout en conservant une ambiance de domicile ». En cours de prise en charge, « le rôle de l’infirmière s’assimile davantage à une relation d’aide qu’à des actes dits “techniques” », observe Lucienne Claustres.

D’un point de vue pratique, « nous avons placé nos visites en début ou en fin de tournée pour donner un temps aux patients et aux proches qui peuvent exprimer leurs difficultés, parfois leurs émotions ». Nul besoin de préciser que l’intervention infirmière déborde rapidement la cotation de la NGAP limitée à deux heures par jour et par patient pour le maintien de celui-ci dans son cadre de vie, « ce qui est souvent insuffisant » constate l’infirmière.

L’absence de médecin peut peser sur l’infirmière

La participation du médecin dans les lieux de la prise en charge est indispensable à un accompagnement adapté à la situation. Si nécessaire, un réseau de soins palliatifs doit être sollicité pour son expertise. Reste qu’à certains moments critiques, l’absence de médecin pèse lourdement sur les épaules de l’infirmière.

Lorsqu’un 24 décembre, en l’absence du médecin traitant, et par sécurité vis-à-vis d’une patiente très affaiblie, Lucienne Claustres propose au mari de la patiente d’appeler le 15 pour faire réhospitaliser son épouse, celui-ci refuse. Il est conscient que son épouse est en fin de vie, mais les précédentes hospitalisations ont été très pénibles. Lorsque l’infirmière est rappelée le lendemain matin pour une nouvelle aggravation de la situation, la patiente s’éteint à son arrivée. « Je suis alors seule face à son mari qui comprend très vite que son épouse vient de mourir. La situation est difficile, se souvient, émue, Lucienne Claustres. Il faut prendre en charge le mari sidéré, avertir les enfants qui habitent à proximité et trouver un médecin pour signer le certificat de décès. » Ce n’est qu’« après plusieurs appels infructueux et une colère qui grandit » qu’un médecin accepte de se déplacer. Les autres ne peuvent pas venir parce que le cabinet est plein ou parce qu’ils finissent leur consultation à midi, ce que comprend très bien Lucienne Claustres, qui connaît la charge de travail des médecins généralistes. Dès son arrivée, le médecin apporte « un soutien dans la gestion du décès soudain et sans explication rationnelle. Il signe les papiers, téléphone aux services nécessaires et prend en compte les demandes du mari avec chaleur et humanité ». Dans un autre cas, en l’absence du médecin traitant au décès de la patiente, « le refus d’un autre médecin de se déplacer pour signer un papier » est très mal ressenti par la famille. « Elle est morte, elle n’intéresse plus personne, et nous non plus », entend plusieurs fois l’infirmière de la part des proches.

Revaloriser les actes infirmiers

« Une formation interprofessionnelle des médecins et des infirmières permettrait une meilleure reconnaissance des compétences et des connaissances de chacun », suggère Lucienne Claustres. Cela pourrait influencer les médecins qui rechignent à prendre en charge des fins de vie à domicile pour des questions de temps et de disponibilité, car ils pourraient mieux s’appuyer sur les compétences de l’infirmière libérale. « Il serait peut-être important de ne pas oublier le secteur libéral lors de l’élaboration des prochaines stratégies nationales. Pour éviter le désinvestissement de la profession, une revalorisation des actes infirmiers est indispensable. »

L’infirmière regrette aussi que les Idels n’aient pas accès au soutien financier du Fonds national d’action sanitaire et sociale, réservé à l’hospitalisation à domicile (HAD). D’autant que le secteur libéral peut fournir plus de flexibilité et de disponibilité que des structures HAD ou Ssiad pour une prise en charge à domicile moins coûteuse que des soins hospitaliers. Et répondre ainsi à 81 % des Français qui expriment le souhait de vivre leurs derniers instants chez eux (Ifop, 2010).

Améliorer les soins palliatifs de ville

À l’occasion du 20e congrès national de la Sfap, le docteur Sébastien Moine, médecin généraliste et doctorant en santé publique, a présenté le programme SCoP3, (pour soins primaires, coordonnés, proactifs, planifiés et pluriprofessionnels). Conçu par le médecin lors de la création d’une maison de santé pluriprofessionnelle à Saint-Just-en-Chaussée (Oise) en 2013, le programme SCoP3 vise une approche interdisciplinaire des soins primaires (en médecine de ville). Le programme, qui repose sur une formation courte des professionnels aux problématiques de la fin de vie, a pour objectif une meilleure coordination des soins de ville en situation palliative.

Les améliorations attendues concernent notamment un meilleur accès aux soins palliatifs et aux traitements antalgiques, une diminution des hospitalisations non programmées et une meilleure coordination ville-hôpital.