La double vie de Laurence Miclo - L'Infirmière Libérale Magazine n° 301 du 01/03/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 301 du 01/03/2014

 

VOSGES (88)

Initiatives

JEAN-MICHEL DELAGE  

Installée à Épinal, Laurence Miclo partage son temps, depuis 2009, entre son activité d’infirmière en Lorraine et les missions d’urgence internationales, auprès de populations victimes de catastrophe. Comme aux Philippines, cet hiver.

Un jour de novembre dernier, Laurence Miclo, infirmière libérale à Épinal, regarde le journal télévisé. Parmi les mauvaises nouvelles, un puissant typhon aux Philippines. À l’écran, des destructions massives et de nombreuses victimes. Dans la soirée, elle reçoit un message du président de l’association Médilor (Médecins d’intervention de Lorraine, lire l’encadré p. 64) : serait-elle prête à s’envoler dans les jours suivants ? « Je devais répondre très rapidement, afin qu’il puisse composer une équipe », dit-elle. La jeune femme accepte sans hésiter. Il lui faut préparer son paquetage mais aussi réorganiser son travail et sa tournée avec son associée. Elle effectue les dernières visites à domicile, prévient ses patients (certains d’entre eux lui souhaitent « de bonnes vacances »…). La nuit suivante, elle se rend à Paris en compagnie d’un médecin et d’une autre infirmière.

Un rêve de longue date

Direction Manille, aux Philippines. « Nous sommes partis avec l’association Secouristes sans frontières, qui avait besoin de compléter son staff médical. En même temps, nous devions estimer les besoins réels des populations pour préparer la venue de Médilor. » Sur place, l’équipe rejoint l’île de Cebu. « Mais nous n’avons pas pu approcher Tacloban, la ville engloutie par le typhon Haiyan. » Toutefois, le travail ne manque pas. Pendant deux semaines, l’équipe se déplace en bus, de village en village. « Ce n’était pas apocalyptique, mais il y avait beaucoup de médecine générale ou de pansements. »

Ce n’est pas la première expérience humanitaire de Laurence Miclo. Infirmière depuis 1999, elle rêve de s’engager au sein d’agences humanitaires dès sa sortie de l’Ifsi d’Épinal. « J’ai fait mon stage au Sénégal, dans un dispensaire de brousse, pendant cinq semaines. » Mais la rencontre avec l’homme qui deviendra son mari et la naissance de son fils en 2001 mettent un frein à ses velléités humanitaires. Enfin presque. « Dès la sortie de l’école d’infirmières, j’ai postulé auprès de Médilor, mais l’association avait déjà un effectif bien fourni. Et pendant dix ans, j’ai continué à les relancer ! » En parallèle, elle contacte de grandes organisations comme Médecins du monde ou Médecins sans frontières. « Mon statut de femme mariée, mère d’un enfant, et le fait que je ne sois pas bilingue, me desservaient. J’en étais même à vouloir créer ma propre structure pour partir travailler dans des bidonvilles en Inde. Un projet que j’ai d’ailleurs commencé à monter avec des médecins d’Épinal. »

Enfin, en 2008, Médilor la contacte. À voir son CV régulièrement sur leur bureau, les membres de l’association ont été curieux de rencontrer cette infirmière si persévérante. Convaincus, ils la forment et l’intègrent au groupe. La voici enfin prête à partir sur le terrain des urgences internationales.

Pour Laurence Miclo, la première mission se fait au Mali, en octobre 2009. « Je suis partie avec une douzaine d’autres membres dans la région de Ségou. Nous avons mis en place un dispensaire et participé à une campagne de soins en collaboration avec l’Association pour le développement socio-sanitaire. » Dans cette région fort démunie en infrastructures et personnels médicaux, les quinze jours de la mission sont très chargés, avec plus de 3 000 consultations. « Les pathologies sont assez variées. Malnutrition, mortalité infantile… et le paludisme qui fait des ravages. Cela m’a secouée. J’ai tout à coup découvert la réalité du quotidien des humanitaires. » À son retour, Laurence reprend le chemin du travail, partageant son temps, depuis 2004, entre une clinique vosgienne et ses remplacements en cabinet libéral, après avoir commencé en clinique. Quand elle souhaite s’absenter, elle prend des jours de congé lors de son mi-temps en clinique : « La clinique me soutenait et il était entendu qu’en cas d’urgence, je pouvais partir sans aucun souci. En revanche, dans le cabinet où je faisais des remplacements, les infirmières n’étaient pas ravies à l’idée de me voir partir de façon précipitée ! »

Concurrence entre associations

Le 12 janvier 2010, la terre tremble en Haïti. Un séisme de magnitude 7 détruit en partie la capitale Port-au-Prince. Bilan : plus de 220 000 victimes, 300 000 blessés, environ 1,5 million de personnes à la rue. « J’ai compris que ce serait sérieux, se rappelle Laurence. Dès la nouvelle tombée, j’ai préparé mon sac. Médilor a eu l’accord de la cellule de crise du Quai d’Orsay et nous avons commencé à organiser la mission. » Une vingtaine de membres sont rassemblés pour ce départ. Ils refont le stock de médicaments, préparent les cantines, le matériel de couchage, la nourriture ou encore le matériel pour traiter l’eau. De quoi être autonomes.

Cinq jours plus tard, l’équipe atterrit à Saint-Domingue, à 450 kilomètres de la catastrophe. Les membres de Médilor rejoignent Haïti en pick-up, un voyage qui dure dix heures. « Nous avons monté nos tentes dans l’enceinte de l’Hôpital français. Dès le lendemain, nous avons organisé notre pharmacie et commencé les consultations. Nous avons préparé des dispensaires dans les camps de réfugiés qui se montaient dans tous les quartiers de la ville. Nous travaillions du matin au soir : beaucoup de soins post-amputation mais aussi des soins mal faits à récupérer, des infections. Je me souviens de l’odeur de la mort, tout autour de nous. » Dans ce chaos, l’infirmière découvre aussi l’ambiance sur le terrain : « J’étais étonnée de voir la concurrence entre associations. C’est à qui plantera le plus vite le drapeau de son organisation. Et certains nous regardaient avec dédain, nous, une petite association… » Le retour de Haïti est difficile. Dès le lendemain, elle retrouve la clinique et ses remplacements en cabinet libéral. « J’avais le sentiment que personne ne pouvait comprendre ce que j’avais vu sur place ! Même si, par nos métiers, nous sommes un peu blindés, les situations extrêmes vécues dans la mission sont parfois difficiles à digérer. » En 2011, Laurence Miclo quitte la clinique et s’installe comme Idel à plein-temps. « Et mon associée a accepté ma “double vie”. Elle sait que, si on m’appelle, je partirai en mission. » Depuis, elle est retournée à Madagascar, pour mettre en place un service de soins. « J’ai même assisté un dentiste ! »

Un quotidien moins intense, mais pas routinier

De retour des Philippines, Laurence Miclo reprend ses tournées. En comparaison de ce qu’elle vient de vivre, « les états d’âme, les crises de goutte ou l’arthrose » de certains patients pourraient paraître un peu « gnangnan ». Bien sûr, le quotidien n’a pas l’intensité d’une mission d’urgence après une catastrophe majeure, mais ses tournées à Épinal ne sont pas routinières. Quand certains patients, impressionnés, lui demandent de raconter ce qu’elle a vécu, cela lui fait vraiment plaisir. « J’étais si heureuse de la retrouver, raconte Hélène, une patiente octogénaire. Au retour de sa mission, je pensais qu’elle allait avoir un visage tout défait, qu’elle serait fatiguée… mais pas du tout. Elle est formidable, notre Laurence ! » « Heureusement qu’il y a des personnes comme elle. Quand elle part, je suis les informations à la télévision. Mais à chaque fois je lui demande de revenir vite, j’ai trop besoin d’elle ! », renchérit Huguette, une autre patiente, à l’affût des articles de la presse locale qui relaie les missions de Laurence et de Médilor. Aujourd’hui, Laurence a envie de passer un diplôme universitaire de médecine humanitaire. « Tendre la main à ces populations en détresse, à ces gens qui ont tout perdu dans une catastrophe me comble beaucoup et donne un sens à ma vie. J’en ai besoin pour mon équilibre. Mais je ne sais pas si je serais capable de faire de l’humanitaire à temps plein. » Il faut souffler, se ressourcer, s’occuper de ses proches aussi.

EN SAVOIR +

→ Médilor est une association humanitaire, présente, depuis sa création en 1990, sur de nombreux théâtres d’événements dramatiques : tremblement de terre en Turquie (mars 1992), conflit en Bosnie (1993) ou au Rwanda (1994), tsunami en Asie (décembre 2004), etc. Médilor se compose de médecins, infirmiers, logisticiens, etc. Son site : www.medilor.com