Une profession à la page - L'Infirmière Libérale Magazine n° 300 du 01/02/2014 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 300 du 01/02/2014

 

Au fil de nos archives

Dossier

MARIE-CAPUCINE DISS  

À l’origine, notre magazine était une page blanche, puis les infirmières libérales ont écrit leur histoire. Vingt-trois ans d’archives mettent en lumière nombre de combats. Certains chapitres ont été régulièrement réactualisés, d’autres n’ont pas changé d’une ligne…

Dès son deuxième numéro comme supplément, en juin 1991, L’Infirmière libérale magazine (L’ILM) alerte son lectorat sur la nécessité d’élaborer un code déontologique, « arlésienne de la profession ». Rédigé à l’heure où l’Europe s’apprête à aborder une étape fondamentale avec la ratification du traité de Maastricht, l’article pose cette question aux infirmières libérales : « Ne serait-il pas urgent, à la veille de l’Europe de 1993, de prévoir l’avenir au lieu de le subir ? » Vingt ans plus tard, l’Europe fait peut-être moins rêver, mais du chemin a été parcouru par la profession. Même si le code déontologique n’est toujours pas passé de l’état de rêve à celui de réalité.

En octobre 1996, la Fédération nationale infirmière (FNI) obtient l’inscription du Projet de soins infirmiers (PSI) dans la Nomenclature générale des actes professionnels. Un événement salué dans notre numéro de janvier 1997 comme « une avancée considérable obtenue pour la profession ». Le PSI sonne la reconnaissance de l’autonomie des infirmières dans l’élaboration de leurs soins auprès des personnes dépendantes. Mais, dès sa création, ce projet porte en lui une ambiguïté qui causera sa perte. Il distingue la prise en charge des patients pour lesquels on peut attendre une amélioration de l’état de santé de celle des patients dont l’état ne semble pas devoir évoluer et qui échapperait à la prise en charge infirmière. Il est également prévu que le plan de soin élaboré soit contresigné par un médecin, ce qui n’est pas du goût de tout le monde. Convergence infirmière mène la fronde. Une manifestation se tient en juin 2000. Un contre-projet est élaboré. Avec la parution du PSI au Journal officiel, en octobre, l’opposition se durcit : en signe de protestation, une partie des infirmières libérales suspendent leurs soins.

ARGUMENTS ET INVECTIVES

À la fin de l’année 2000, la rédaction de L’ILM croule sous le courrier des lecteurs, à la suite de la publication d’une interview de la présidente de la FNI, qui ignore ostensiblement l’opposition dont son projet fait l’objet. Une sélection de lettres, aux contenus contradictoires, est publiée. Le ton est parfois violent et reflète les profonds espoirs et les grandes déceptions que suscite le PSI. On invective, mais on argumente aussi, comme cette infirmière qui affirme ne pas avoir « envie d’être dépossédée des soins d’hygiène qui font partie de mon décret de compétence et qui m’ont tout appris sur l’humain », ou ce soignant qui écrit que « le PSI, bien qu’imparfait sur certains points, semble le moyen d’affirmer notre rôle propre en affirmant noir sur blanc cette démarche de soins apprise lors de nos études. Pourquoi cette division qui fait le jeu des pouvoirs publics, alors que les objectifs des deux PSI rivaux sont les mêmes ».

En 2002, Convergence infirmière finit par l’emporter : le PSI est abandonné au profit de son contre-projet, la Démarche de soins infirmiers (DSI). L’infirmière est libre d’arbitrer le type de prise en charge nécessaire pour le patient. Grâce à un formulaire, assez complexe, la soignante établit un recueil de données et une analyse qui lui permettent de proposer au patient un contrat de soins. Et dans la DSI, il n’est plus nécessaire de faire contresigner ce document par un médecin… Une chose, depuis, n’a pas changé : le caractère parfois tendu des relations entre certains syndicats infirmiers…

Directement liée à la DSI, la prescription infirmière fait son chemin au cours de ces années. Un article de septembre 2002, intitulé La prescription infirmière, mythe ou réalité ?, décrit la manière dont les libérales s’accommodent des carences des dispositions légales. Elles doivent régulièrement conseiller le médecin ou lui demander de corriger le matériel figurant sur les prescriptions ordonnant leurs soins. Ce libéral marseillais expose ses difficultés : « Quelquefois le dialogue avec le médecin est difficile. Il faut systématiquement démontrer la pertinence de nos choix. Bref, il faut négocier, et on perd du temps pour pas grand-chose. » L’article souligne l’un des enjeux qui a sûrement retardé l’éclosion de la prescription infirmière : « Toute paranoïa mise à part, il faut dire que la question ne fait consensus dans la profession que depuis peu de temps. Prescrire, c’est aussi se responsabiliser juridiquement et financièrement. »

LA PRESCRIPTION INFIRMIÈRE, UNE VICTOIRE À NUANCER

Ce droit est enfin reconnu par un arrêté paru au Journal officiel en avril 2007. Qualifiée de « victoire prometteuse » dans un article de mai 2007, la prescription infirmière concerne un certain nombre de dispositifs médicaux, définis dans l’arrêté. L’article de L’ILM relève que la « réforme a suscité peu de réactions chez les professionnels ». Premier élément d’explication : la prescription infirmière a été votée au même moment, à l’Assemblée nationale, que la création de l’Ordre infirmier. Mais la réforme paraît également trop modeste. Les médecins peuvent s’opposer à un certain type de prescriptions infirmières, ce qui fait émettre à Annick Touba, du Syndicat national des infirmières et des infirmiers libéraux (Sniil), une réserve vis-à-vis d’une disposition qui « maintient les infirmières clairement sous la coupe des médecins ». La prescription infirmière fait peu à peu son chemin et s’enrichit : vaccination, renouvellement de contraception orale. Un article de mars 2012 révèle que « chaque infirmière libérale prescrirait en moyenne cinq fois par an », principalement pour des pansements. Nombreux sont les professionnels qui attendent de nouveaux élargissements de ce droit de prescription…

UN SAVOIR-FAIRE PARFOIS INEXPLOITÉ

Les années 1990 voient apparaître de nouvelles prises en charge demandant de plus grandes compétences techniques, exigeant un important engagement personnel et ouvrant un nouveau type de relation avec l’hôpital et les autres professionnels de santé. L’ILM consacre un dossier à la prise en charge à domicile du sida, en avril 1995. Même si la lutte est difficile à mener, les infirmières libérales – peu nombreuses – qui suivent des patients atteints par le VIH tirent d’importantes satisfactions de leur engagement. Elles sont dans une démarche permanente de formation et d’information. Elles font pour cela appel aux associations ou aux réseaux. Jack Lemeunier, libéral à Paris, explique : « C’est indispensable pour être en phase avec les médecins et les prescriptions, mais aussi pour pouvoir répondre aux questions que nous posent les patients sur tel essai thérapeutique en cours, tel médicament, ou telles nouvelles perspectives. » Vigilantes, les libérales jouent un rôle capital pour dépister d’éventuels signes d’alerte. Toutes mettent en avant « la relation privilégiée qui s’établit avec ces patients », sans cesse menacée. Les soignants sont confrontés aux deuils réguliers. Comme le résume Fabienne Michel, infirmière libérale parisienne : « Le premier décès représente une épreuve inoubliable mais qui, paradoxalement, forge notre volonté de continuer. » Les réseaux VIH sont d’un grand recours et bouleversent les relations entre professionnels de santé. À Marseille, Thérèse Carlini-Lafite atteste dans un article de novembre 1995 : « Tous – médecins, assistantes sociales, aides ménagères, infirmières – redécouvrent la notion d’équipe : nous sommes des compagnons, des confrères, des copains embarqués dans la même galère. Et aussi unis – et démunis – devant la souffrance et le chagrin. » Peu après la publication de ces témoignages, l’apparition de la trithérapie, en 1996, révolutionnera la thérapeutique et la relation à la maladie.

Avec le décret d’octobre 1989, est reconnue aux infirmières libérales la possibilité d’effectuer une chimiothérapie à domicile, à condition d’avoir suivi une formation de 32 heures. Des professionnels de santé hospitaliers sont convaincus de l’intérêt de cette prise en charge. Marie-France Joyeux-Soyer, surveillante hospitalière (ancien nom des cadres de santé) à Poitiers, certifie, dans L’ILM de mars 1995 : « Pour donner la force de se faire soigner à un patient atteint d’un cancer, il ne faut pas l’amputer de sa vie sociale et professionnelle. » Mais les choses ne se font pas aussi facilement. Un article de mars 1997 se fait l’écho des difficultés auxquelles se heurtent les infirmières qui ont entrepris de se spécialiser en chimiothérapie à domicile. En témoignent ces observations : « Les infirmières se forment et ne trouvent pas ensuite à exercer leur savoir-faire. Certains patients qui demandent à avoir leur infirmière, qu’ils savent apte à assurer les soins requis, se voient imposer l’hospitalisation à domicile. »

« GARDER UN PIED À L’HÔPITAL »

Les relations avec l’hospitalisation à domicile ne sont pas toujours houleuses. Ces structures font appel aux infirmières libérales, qui apportent leur disponibilité. En échange, « cette collaboration nous permet de garder un pied à l’hôpital et d’avoir accès, en avant-première, aux nouveaux matériels et aux nouvelles techniques », comme l’analysent deux infirmiers libéraux parisiens dans notre édition de juillet-août 1997. Ces institutions sont également très présentes dans les réseaux, aussi bien pour le VIH, la toxicomanie, la diabétologie et l’oncologie. La participation aux réseaux demande du temps et de l’implication personnelle, mais elle est aussi gage d’une valorisation de la profession. Comme le déclare Marie-Thérèse Chevobbe, membre d’un réseau en diabétologie parisien, dans un article d’octobre 2005, « le réseau est une carte de visite qui met le patient en confiance et fait tomber les barrières ». La transformation en cours des réseaux en « coordinateurs de parcours de soin complexes », évoquée dans un article de juillet 2012, ouvrira à l’avenir de nouvelles perspectives pour les infirmières libérales désireuses de faire valoir de nouvelles compétences et de collaborer avec l’hôpital.

Historique

INFORMATIQUE De la “libéro-dinosorius” à la généralisation de la télétransmission

Il fut un temps, à la préhistoire, disons en septembre 1991, où seulement 10 à 15 % des cabinets étaient informatisés (selon la Fédération nationale infirmière).

À cette époque, L’ILM enjoignait son lectorat à aller de l’avant et à changer son regard sur la modernité, et donc sur l’informatique : « Il n’est plus question de parler de gadget, mais d’un véritable outil de travail permettant de gagner du temps. » Au fil des articles, le gain de temps qu’offre l’outil informatique pour éditer des feuilles de soins, gérer sa comptabilité ou planifier ses soins est vanté. Pour mieux rallier les professionnelles à cette cause, des glossaires simplifiés permettent de se familiariser avec des notions aussi inquiétantes que “souris” ou “disque dur”.

Avec les ordonnances d’avril 1996, le couperet tombe : les professions libérales de santé ont jusqu’à l’an 2000 pour maîtriser la gestion électronique des dossiers de soin. Un article de novembre 1996 pique leur fierté : les libérales doivent « prévoir un investissement dans les prochains mois pour ne pas figurer, à l’orée du XXe siècle, au rang des libéro-dinosorius ».

Défi finalement relevé. Le bug de l’an 2000 n’a pas eu lieu, et les infirmières se sont ralliées à la télétransmission, facilitée par l’option TLA, terminal lecteur applicatif.

Portrait

VIH L’infirmière et le patient qui voulait déployer ses ailes

Un portrait de mars 1993 décrit le monde d’une infirmière libérale prenant en charge des patients porteurs de VIH, alors synonyme d’une mort annoncée.

Devant une maladie qui fait peur, Colette Caminel ne recule pas : « Peu de personnes acceptent de s’occuper d’eux. » L’infirmière toulousaine suit chaque année une vingtaine de patients, dont la moitié est en stade terminal. Colette porte sur elle un trousseau de clés d’un kilo : « Deux heures de gagnées par jour ! » Elle privilégie les soins VIH en fin de journée, afin d’avoir la disponibilité nécessaire : « Pour un geste technique nécessitant un passage de vingt minutes, je reste parfois deux heures. Il arrive qu’à propos de leur traitement, certains disent : “On arrête tout !” Je leur réponds : “OK, on s’assied et on parle.” Ils ont parfois besoin de discuter, de ne pas être seuls. » Devant un refus de continuer de s’alimenter, Colette a une réponse imparable : elle arrive le matin avec les croissants ou part manger au restaurant avec son patient.

Si l’infirmière a suivi une dizaine de formations pour asseoir ses compétences techniques, elle sait que le relationnel prime. Ce qui lui permet de faire face quand un patient sur le point de mourir, allongé dans des draps à motifs d’oiseaux, demande comment ouvrir ses ailes : « Nous avons ouvert la fenêtre en lui disant qu’il pouvait s’en aller. »

Tribune libre

Patricia Berce, installée à Neauphle-le-Château (Yvelines)

« Nous avons tout assumé »

Dans notre numéro 99, en novembre 1995, Patricia Berce racontait la prise en charge de Paul, « une aventure ».

Ce jeune homme, souffrant d’une maladie passée sous silence dans le témoignage, venait de vivre une expérience compliquée à l’hôpital. Et peinait à trouver une Idel pour des soins palliatifs à domicile. Outre les difficultés techniques et la gestion des non-dits, il a fallu renouer les relations avec l’hôpital…

« La mère, paniquée devant l’état de santé de son fils, vient me demander conseil. À la fin de la conversation, elle avait emporté mon acceptation de le prendre en charge. Mes collègues et associées ne me félicitèrent pas. (…) Il a fallu patiemment retisser les liens entre les deux équipes hospitalières et libérales, puis entre le patient et l’hôpital. Le dialogue direct a permis d’abattre le mur qu’on nous opposait dans un premier temps. Nous parlions le même langage, nous utilisions le même matériel. Nous nous sommes redécouverts et les visites de Paul à l’hôpital purent reprendre.

Aujourd’hui, j’évalue combien le soutien d’un réseau nous aurait aidés alors (…). À l’époque, nous avons tout assumé, ne comptant que sur nos propres ressources. Cette prise en charge nous a permis d’évaluer l’importance de notre rôle propre. (…) Ne nous décourageons pas, allons vers les autres et collaborons pour montrer ce que nous pouvons apporter.

Car il ne suffit pas que nous soyons convaincus d’être un pivot en termes de santé publique, encore faut-il que tous les acteurs de santé l’admettent. »

Clin d’œil

ÉLIMINATION DES DÉCHETS La responsabilité libérale tardivement clarifiée

En mars 1996, L’ILM annonce : « Secteur diffus ne rimera plus avec secteur confus. » Les producteurs de déchets de soins en faible quantité et géographiquement dispersés doivent obéir à la circulaire de septembre 1978 régissant les déchets du secteur hospitaliers. Mais cette réglementation est inadaptée à l’exercice libéral : « La complexité, les coûts ou l’absence de propositions locales ont en effet souvent maintenu le vieux réflexe de jeter tous ses déchets parmi les ordures ménagères. »

Arrive le décret de novembre 1997 qui reconnaît la responsabilité des infirmières dans la collecte et l’élimination des déchets à risques infectieux (Dasri) qu’elles produisent au cours de leurs soins. Un délai de trois mois leur est accordé pour éliminer leurs déchets.

C’en est fini du flou juridique dans lequel les infirmières libérales ont longtemps été maintenues.

Même si la collecte de Dasri ne cesse de s’améliorer, elle reste cependant problématique. Une problématique sur laquelle nous reviendrons dans notre tout prochain numéro…

CHRONOLOGIE

Les débuts laborieux d’une nouvelle institution, l’Ordre infirmier…

Les premiers pas de l’Oni et de sa première présidente semblent bien récents. Mais ils font déjà partie de l’histoire…

Les débuts difficiles de l’Ordre et les multiples attaques dont il a fait l’objet ont été régulièrement relatés dans nos colonnes. Dans le numéro de février 2009, Dominique Le Bœuf, présidente fraîchement élue, affichait son ambition de bâtir un Ordre fort et de s’attaquer sans tarder à la rédaction d’un code de déontologie pour souder la profession. Cette ambition se révèle plus difficile à réaliser qu’il n’y paraissait. Alors que les libérales sont plutôt favorables à la mise en place de l’Ordre infirmier, les salariées se montrent plus mitigées. Leurs syndicats ne calment pas le jeu en se montrant sur la défensive vis-à-vis d’une instance en laquelle ils voient une possible concurrence. C’est l’annonce du montant de la cotisation, de 75 euros, qui « fait l’effet d’une bombe », comme le formule notre magazine en mai 2009.

Un bras de fer épuisant s’engage entre le bureau du Conseil de l’Ordre national et une partie de la profession.

On reproche au bureau national une attitude autoritaire. La situation se durcit quand le ministère s’en mêle et menace les responsables de rendre caduque la création de l’Ordre infirmier s’ils ne baissent pas substantiellement le montant de la cotisation. Face à l’ingérence de l’administration, Dominique Le Bœuf s’interroge sur les motivations de la tutelle : « Aurait-on peur de ce que peut faire un Ordre puissant ? »

Frôlant le dépôt de bilan à l’été 2011, l’Ordre doit licencier une grande partie de son personnel et semble affaibli pour un bon moment.