Traiter les douleurs de l’AOMI - L'Infirmière Libérale Magazine n° 296 du 01/10/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 296 du 01/10/2013

 

Cahier de formation

Savoir faire

Au stade de la claudication intermittente, la douleur est améliorée par une activité supervisée. Lorsque l’ischémie devient permanente, le traitement doit être adapté à une douleur de type neuropathique. Ce qui n’est pas toujours le cas.

Monsieur P. est atteint d’une AOMI au stade II de la classification de Leriche et Fontaine. Il souffre de “crampes” lorsqu’il marche 100 mètres. Il vous demande s’il ne pourrait pas prendre un peu d’Efferalgan pour soulager cette douleur et continuer à marcher.

Vous lui expliquez que cela n’a pas d’intérêt. Aucun antalgique n’agit aussi rapidement que le repos pour lutter contre la douleur ischémique liée à l’effort. De plus, en travaillant progressivement sur sa capacité à la marche, il pourra augmenter son “périmètre de marche” et protégera aussi ses autres artères.

LA DOULEUR AU STADE DE L’ISCHÉMIE D’EFFORT

La marche, traitement de l’artériopathie

Au stade II de la classification de Leriche et Fontaine, stade de la claudication intermittente, la douleur est déclenchée par l’hypoxie musculaire à la suite d’un effort fourni pour parcourir une distance. La marche fait partie du traitement de l’artériopathie, et une marche de 30 minutes trois fois par semaine au moins est recommandée. La marche est un exercice qui protège les autres artères et entre dans la prévention secondaire du risque cardiovasculaire.

Calibrer son effort

La douleur apparaît toujours après avoir parcouru la même distance. Ce qui importe, c’est de gérer sa douleur et de calibrer son effort. Expliquer au patient qu’il s’agit de marcher sans aller jusqu’à la douleur, sauf pour se tester une fois et connaître son “périmètre de marche”.

Le patient peut aller plus loin en marchant plus lentement ou moins loin en allant plus vite. À l’apparition de la douleur, il faut arrêter l’effort et la douleur s’estompe en 5 minutes. Le patient peut ensuite repartir pour parcourir à peu près la même distance.

Augmenter le périmètre de marche

En faisant de la marche, comme en faisant travailler les muscles en aval de l’atteinte artérielle – c’est le cas dans les centres de rééducation spécialisés –, les vaisseaux se dilatent et se remodèlent plus rapidement qu’ils ne le feraient sans exercice. La marche est un traitement de la claudication qui nécessite une indication et une information. L’Idel peut rappeler que la douleur se déclenche parce qu’à un moment il n’y a plus assez d’oxygène. Marcher en pointillé avec un repos de temps en temps peut aider les patients à augmenter leur périmètre de marche.

La réadaptation vasculaire

Elle est menée par une équipe disciplinaire en centre de rééducation spécialisé. Ce traitement de l’AOMI consiste à faire effectuer aux patients un programme d’exercices destinés à améliorer leur circulation sanguine. Elle est préconisée au stade de la claudication intermittente ou après une revascularisation. Le programme de réadaptation comprend des exercices sur ergomètres (tapis de marche, vélo stationnaire, rameur, etc.), un travail musculaire d’endurance, de la gymnastique et de la relaxation, des massages et des mouvements de kinésithérapie en présence d’œdème. Des exercices respiratoires sont ajoutés si la personne souffre de BPCO. Démarrée dans une structure spécialisée, la réadaptation vasculaire peut être poursuivie dans des centres de jour pendant au moins trois mois. Une rééducation de trois à quatre semaines dans un centre spécialisé donne déjà de bons résultats au niveau fonctionnel. Le périmètre de marche est nettement augmenté, et la réadaptation vasculaire réduit aussi le risque cardiovasculaire global.

Évolution

Spontanément, les artères tendent à se dilater, il y a formation de ramifications artérielles collatérales (parallèles à l’artère obturée), et adaptation du muscle aux conditions d’hypoxie. Si la situation vasculaire reste stable, le périmètre de marche s’améliore spontanément, progressivement. La situation s’aggrave quand les artères se dégradent. Le traitement de fond de l’athérosclérose comprenant la modification des comportements aggravant reste primordial.

Pas d’antalgique

Les antalgiques sont inutiles car aucun médicament n’est actif en 5 minutes, alors que le repos seul soulage la douleur en 5 minutes. Les antalgiques peuvent être prescrits pour des douleurs atypiques, lorsqu’on ne sait pas si la douleur est d’origine artérielle, rhumatologique ou autre. En cas de difficulté de diagnostic.

LA DOULEUR ISCHÉMIQUE PERMANENTE

Physiopathologie

À la différence de la douleur musculaire à type de crampe de l’ischémie d’effort, la douleur de l’ischémie permanente a une forte composante neurogène. Elle est interprétée comme une ischémie nerveuse, une ischémie des fibres sensitives. il s’agit d’une douleur de type neuropathique qui nécessite une prise en charge comparable.

Contexte

Dans l’évolution de l’AOMI, le patient reste rarement au stade de l’ischémie sévère permanente. On peut rencontrer une douleur liée à l’ischémie permanente lorsque le patient est en attente de revascularisation ou lorsque celle-ci n’est pas possible, en cas d’échec de la revascularisation, ou lors d’une récidive après revascularisation, dans une situation où l’amputation est envisagée.

Prise en charge

La douleur est prise en charge en unité de médecine ou de chirurgie vasculaire. Par la suite, le patient est suivi à domicile quand la situation vasculaire est stabilisée et que la douleur est calmée, souvent après un passage en service de rééducation vasculaire. Si le patient sort de l’hôpital en ischémie permanente, le risque d’amputation est majeur.

Traitement médicamenteux

La douleur ischémique permanente est, dans un premier temps, traitée avec des antalgiques classiques de palier 1 et 2, souvent inefficaces. Le traitement antalgique est alors semblable à celui utilisé dans les neuropathies.

Les antidépresseurs

Les antidépresseurs tricycliques ou inhibiteurs de la sérotonine (Laroxyl, Anafranil, Effexor…) ont un effet antalgique propre par inhibition de la recapture de la noradrénaline et de la sérotonine impliquées dans le mécanisme douloureux.

Les antiépileptiques

Ils sont utilisés pour leurs effets bénéfiques sur les douleurs neuropathiques. Certains possèdent une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans le traitement de la douleur (Lyrica, Neurontin, Tégretol), d’autres sont utilisés hors AMM (Rivotril, Lamictal, Epitomax).

Quelques opioïdes forts (antalgiques de palier III)

Morphine

→ Exemples : Moscontin LP et Skenan LP sont indiqués dans les douleurs persistantes intenses ou rebelles aux autres analgésiques.

→ Délai et durée d’action : agissent en 2 ou 3 heures, pendant 12 heures.

→ Administration : par voie orale, en deux prises, le plus souvent équivalentes, à 12 heures d’intervalle. Moscontin LP ne doit pas être croqué ni écrasé (sinon durée d’action ramenée à 4 heures), mais avalé. La gélule de Skenan LP peut être ouverte et mélangée à un aliment semi-solide.

→ Principaux effets indésirables : constipation, nausées, vomissements. Dépression respiratoire (modérée aux doses thérapeutiques, mais sévère en cas de surdosage). Sédation, dysphorie (surtout chez le sujet âgé), confusion mentale. Majoration de l’effet sédatif par l’alcool.

Agonistes morphiniques

→ Exemple : l’Oxycontin LP (oxycodone) est indiqué dans le traitement des douleurs sévères qui ne peuvent être correctement traitées que par des analgésiques opioïdes forts.

→ Délai et durée d’action : agissent en 2 ou 3 heures, pendant 12 heures.

→ Administration : en 2 prises par 24 heures, espacées de 12 heures.

→ Effets indésirables comparables à ceux de la morphine.

Dispositifs transdermiques

→ Exemple : Durogésic (fentanyl) et génériques.

→ Posologie : dose initiale de 12 µg par heure puis dosage adapté à la douleur.

→ Administration : remplacement du patch toutes les 72 heures (minimum toutes les 48 heures si baisse de l’efficacité dans la période 48-72 heures).

→ Précaution d’emploi : possibilité d’intolérance locale au patch ; choisir une zone cutanée non irritée ; ne pas découper le dispositif transdermique (aucune information sur la qualité, l’efficacité et la tolérance des fragments de patchs) ; les augmentations importantes de la température corporelle peuvent accélérer l’absorption du fentanyl. Chez les patients fébriles, surveiller les effets indésirables. Pour la même raison, il ne faut pas exposer le site d’application du patch à des sources extérieures de chaleur, comme un bain chaud.

La réadaptation vasculaire

Comme au stade de la claudication intermittente, la réadaptation vasculaire favorise le développement d’une collatéralité artérielle, ramification artérielle quasiment parallèle au tronc principal dont elle est issue. Ce système de suppléance compense l’insuffisance artérielle. L’objectif est d’améliorer les capacités oxydatives musculaires ainsi que la gêne fonctionnelle, et ralentir l’évolution des lésions athéromateuses.

Adaptation posturale

La position du membre atteint en déclive soulage la douleur sur le coup, mais risque d’entraîner un œdème qui aggrave la situation. Il faut rechercher la position légèrement en déclive qui soulage le patient sans être trop générateur d’œdème. Car, avec l’œdème, la pression interstitielle est plus importante que la pression des capillaires, ce qui aggrave l’ischémie. L’apparition d’un œdème est dangereuse et doit être prise en charge.

La neurostimulation

La neurostimulation transcutanée

La neurostimulation électrique transcutanée (TENS), est assez souvent utilisée quand la douleur n’est pas atténuée par un traitement antalgique classique. Elle peut calmer les douleurs, mais n’est pas toujours efficace.

La stimulation médullaire

Le stimulateur médullaire est utilisé de façon assez exceptionnelle car il nécessite l’implantation d’une électrode médullaire par un neurochirurgien ou anesthésiste. L’intensité électrique est adaptée à la douleur ressentie par le patient. Il faut que le patient soit parfaitement compliant. Ainsi un patient de 80 ans avec une artériopathie sévère n’est généralement pas dans un état physique qui lui permet de gérer cet appareillage.

Point de vue…

Des douleurs insuffisamment soulagées

Isabelle Gaillard, infirmière libérale à Poisat (38), titulaire d’un DU plaies et cicatrisation

« Au stade de l’ischémie permanente, la douleur est constante. Or tous les patients n’ont pas de traitement antalgique en continu. Parfois, ils n’ont que des antalgiques de palier 1, le plus souvent du paracétamol, inefficaces pour soulager la douleur ressentie. Il y a encore des carences en termes de prise en charge de la douleur. Le problème existe aussi pour les soins douloureux. En tant qu’Idel, lorsqu’il n’y a pas de traitement antalgique, je contacte le médecin pour demander à la fois un traitement de fond adapté et un traitement pour les douleurs paroxystiques induites par les soins, avec un antalgique à libération immédiate. »