Les aiguilles du temps - L'Infirmière Libérale Magazine n° 292 du 01/05/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 292 du 01/05/2013

 

CARNET DE TOURNAGE
Les Anges Anonymes Épisode 2

Actualité

Françoise a filé dans la cuisine où l’attend son fruit quotidien, récompense bienvenue pour reprendre des forces. Le déjeuner est encore loin et elle a déjà près de six heures de tournée dans les pattes – ou dans les roues, si l’on se place du point de vue de la trottinette…

« Dites donc, je ne devrais pas manger ma poire, c’est Carême ! » Françoise se dirige d’un pas rapide vers la salle de bain. « Mmm, délicieuse, sucrée à souhait ! », se délecte-t-elle. Madame H. est contente : « Tant mieux ! » Elle commence à se lever lentement de son fauteuil. Nous filmons depuis le pas de la porte. Françoise revient. « J’ai une heure de retard, vous vous rendez compte ? ». Madame H. sourit, les yeux brillants, malicieux.

Bien sûr qu’elle s’en rend compte, assise en robe de chambre dans son petit salon, à attendre l’infirmière, sans doute depuis un bon moment. Madame H. sort de la pièce en poussant son déambulateur et finit par nous voir. Elle nous lance alors, tout sourire : « Hé bien, rentrez messieurs ! »

Cette patiente chez qui nous venons à chaque fois, depuis le tout début du projet, n’en veut pas une seule seconde à l’infirmière d’être en retard. Elle sait ce que c’est, nous explique-t-elle, avec la quantité de patients qu’une infirmière libérale doit visiter en une matinée… sans compter les urgences qui chamboulent régulièrement le programme. Nous lui faisons remarquer que d’autres patients, plus rares à vrai dire, sont crispés sur la question des horaires – ils ne connaissent pas assez Françoise ou n’ont pas envie de comprendre. C’est regrettable, mais c’est leur droit.

À cette idée, nous culpabilisons. Chaque fois que nous accompagnons Françoise dans sa tournée, trois jours par mois, nous la ralentissons, inévitablement. Avec le matériel, impossible pour nous d’être en trottinette: nous la suivons donc en courant, ce qui n’est pas sans amuser les passants. Et plus la matinée avance, moins nous courons vite ! Françoise nous attend patiemment, elle ne peste jamais. Parfois, elle décide de se rendre chez un patient que nous ne filmons pas pour nous laisser le temps de filer à l’adresse du suivant. Le tout dans cet immense IIIe arrondissement de Lyon, véritable triangle des Bermudes pour les non-initiés.

Ce matin-là, nous souhaitons rester un peu avec Madame H., laissant Françoise libre d’enchaîner les visites. Douchée, apprêtée et toujours élégante, Madame H. se réinstalle dans son fauteuil. Assis en face d’elle, nous buvons ses paroles.

« Je la vois depuis un an, depuis que je suis sortie de l’hôpital, mais je la connais depuis bien plus longtemps : elle a soigné mon mari, il y a dix-sept ans… » À la pensée du mari défunt, malgré les années, une ombre passe, les yeux deviennent humides, le sourire s’efface un instant pour revenir aussitôt. « Quand je suis sortie, mon petit-fils est allé la chercher: elle était débordée par le travail, mais quand elle a su que c’était pour moi, elle a dit oui tout de suite… Elle lui a répondu: “je me débrouillerai toujours.” Maintenant, on est vraiment très proches. » Nous pouvons d’ailleurs en témoigner.

Jusqu’au clap de fin, au 1er janvier 2014, retrouvez chaque mois le carnet de tournage du documentaire Les Anges anonymes, spécialement réalisé pour les lecteurs de L’infirmière Libérale Magazine.