Prévenir la surinfection des plaies - L'Infirmière Libérale Magazine n° 291 du 01/04/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 291 du 01/04/2013

 

Cahier de formation

Savoir faire

Face aux plaies chroniques, il est important de prévenir leur surinfection, d’assurer leur détersion et gérer les dernières phases du processus de cicatrisation, notamment la surveillance du développement du tissu de granulation et de l’état des berges des plaies.

Monsieur G. présente un ulcère veineux très exsudatif à la jambe droite. La fibrine très adhésive est difficile à retirer. Vous lui avez demandé de laver abondamment sa plaie à l’eau savonneuse juste avant chacun de vos passages. Il ne comprend pas bien l’intérêt de cette précaution puisque vous allez ensuite nettoyer à nouveau la plaie.

Vous lui expliquez que ce lavage contribue à prévenir une surinfection de la plaie. En lavant sa plaie, monsieur G. chasse des bactéries et évite ainsi qu’elles ne soient trop nombreuses, ce qui constitue un risque d’infection.

CONTEXTE BACTÉRIOLOGIQUE

Les bactéries sont présentes à la surface de toute plaie chronique parce que le milieu leur est favorable, sans que cette présence bactérienne soit constitutive d’une infection. Ces bactéries proviennent principalement de la peau et des muqueuses du patient lui-même, ou de l’environnement. Les examens montrent qu’il y a des bactéries sur la plaie, mais aussi dedans, jusqu’à une certaine profondeur, ce qui impose des prélèvements adaptés (voir encadré p. 38). Lorsque les bactéries s’organisent en biofilms (voir encadré p. 39), elles sont particulièrement résistantes aux antibiotiques et aux antiseptiques. La détersion naturelle s’accompagne de pus, c’est pourquoi on parle de “détersion suppurée”. Ce n’est pas un signe d’infection. D’ailleurs, le respect de la flore bactérienne, qui participe à la détersion, contre-indique l’utilisation d’anti-inflammatoires et d’antiseptiques. Les antibiotiques sont contre-indiqués pour la même raison en l’absence de signes avérés d’infection.

ÉVALUER LE PHENOMENE INFLAMMATOIRE

Une réaction inflammatoire modérée est fréquente et normale sur le pourtour, jusqu’à 1,5 cm autour de la plaie. À l’inverse, une réaction inflammatoire excessive, qui se manifeste par une largeur et une épaisseur plus importante ou par l’apparition d’une nécrose extensive au niveau de la peau périlésionnelle, doit être prise en compte. Cette réaction liée à une présence bactérienne trop importante ou située à une profondeur anormale présente un risque d’extension vers les lymphatiques ou vers le sang, voire un risque de choc infectieux. Sachant que les plaies liées à une insuffisance veineuse sont fréquemment entourées de placards de peau inflammatoire rouge et douloureuse qui ne sont pas dus à une infection, ou d’un eczéma induit par les traitements locaux.

SIGNES D’UNE PLAIE INFECTÉE

Le diagnostic d’infection d’une plaie repose sur une évaluation clinique de l’extension du phénomène inflammatoire. Les signes cliniques de l’infection sont : abcès, chaleur augmentée, douleur, écoulement important, fièvre, induration, œdème, lymphangite, adénite, odeur, plaie atone, plaie décolorée, pus, résurgence d’une seconde plaie en périphérie, retard de cicatrisation, rougeur, tissu de granulation friable (1).

LA PRÉSENCE DE PUS

La purulence d’une plaie chronique est liée à une nécrose des berges ou du fond de la plaie liquéfiée par l’action des leucocytes neutrophiles qui phagocytent les cellules mortes. La nécrose est à la fois la conséquence de bactéries purulentes et un terrain favorable à leur expansion.

La colonisation bactérienne est plutôt traitée par détersion mécanique des tissus nécrotiques, sauf dans le cas d’une plaie avec écoulement purulent et réaction inflammatoire périlésionnelle accompagnés de signes d’infection locale, qui nécessite une prise en charge adaptée (voir plus loin).

TRAITEMENT SELON LE STADE DE L’INFECTION

Stade de la colonisation

Définition

La colonisation correspond à la présence de germes peu nombreux à la surface de la plaie sans invasion des tissus, et ce, dès qu’il y a effraction épidermique. La colonisation n’entraîne pas de réaction immunitaire locale ou générale et ne s’accompagne pas des signes cliniques de l’infection.

Prise en charge

Une légère odeur ou douleur et un exsudat peu abondant sont caractéristiques d’une cicatrisation progressant normalement. Une intervention antimicrobienne spécifique n’est pas nécessaire. Le traitement repose sur des protocoles de pansements absorbant l’exsudat et facilitant le processus cicatriciel selon les principes de la cicatrisation en milieu humide (voir la partie Savoir faire p. 43).

La colonisation critique

Définition

La colonisation critique correspond à une infection locale. La présence de germes à la surface de la plaie et dans les tissus est accompagnée de quelques signes d’infection locale (rougeur, chaleur et douleur) et d’une réaction inflammatoire modérée, mais pas de fièvre ni de signes biologiques.

Prise en charge

Le traitement d’une colonisation critique (ou infection locale) consiste à contrôler les exsudats en débridant les zones nécrotiques et en renouvelant plus fréquemment les pansements. L’augmentation de l’odeur, de la douleur ou de l’exsudat caractérise une cicatrisation qui ne progresse plus normalement. Dans ces situations, les antiseptiques locaux peuvent être utilisés pour prévenir rapidement la survenue d’une infection manifeste, en revenant ensuite à des pansements simples conçus pour favoriser la cicatrisation en milieu humide.

L’infection

Définition

L’infection est atteinte en présence d’une charge bactérienne supérieure ou égale à 105 CFU (colony forming units) par gramme de tissu, associée à des signes cliniques et biologiques d’infection. Elle est traitée par une antibiothérapie adaptée et un prélèvement peut être nécessaire. La validité du nombre de cellules microbiennes pour définir une infection est parfois contestée, car des charges bactériennes importantes sont retrouvées dans des plaies exemptes d’infection avérée. Les choix thérapeutiques sont guidés par l’observation de la vitesse de la cicatrisation et des signes cliniques d’infection.

Prise en charge

Dans le cas de signes majeurs d’infection locale, ou lorsque ces signes sont associés à des signes d’infection générale (fièvre, leucocytose), le traitement nécessite une antibiothérapie générale. Des antiseptiques locaux peuvent être associés si le lit de la plaie nécessite aussi une intervention thérapeutique. Les signes manifestes d’infection locale sont : écoulement de pus avec tuméfaction, douleur, érythème et chaleur locale ; plaie d’apparence non saine ou en dégradation (cellulite, lymphangite ou gangrène) ; signes possibles d’une atteinte des tissus environnants (2).

LAVAGE À “GRANDE EAU”

Le lavage permet de réduire le nombre de germes présents sur les plaies chroniques. Il consiste le plus souvent en des lavages fréquents à l’eau savonneuse. « Le but est de contenir la colonisation en dessous du seuil critique par des mesures locales. Le rôle des infirmières est primordial », souligne le Dr Brigitte Faivre, dermatologue au Centre de traitement ambulatoire des plaies chroniques (CTAPC) du CHRU Jean-Minjoz de Besançon (25). C’est notamment le cas pour les ulcères de jambe très exsudatifs. Jérôme Kern, infirmier libéral à Marseille (13) et formateur en plaies et cicatrisation, explique que « chez les patients autonomes avec un ulcère de jambe, je douche la jambe entière avec le pied. Je fais couler de l’eau tiède sur la plaie avec la douchette à faible pression. Par ce procédé, j’enlève la fibrine ou je la ramollis pour faciliter sa détersion mécanique ». Brigitte Faivre conseille aussi de savonner toute la jambe et la plaie avec un savon doux, un savon liquide sans parfum et sans conservateur, et recommande d’éviter les savonnettes et le savon de Marseille. Il faut ensuite rincer abondamment pour casser le film bactérien. « Si le patient est assez autonome, l’infirmière peut lui proposer de défaire son pansement et de laver sa plaie sous un faible jet d’eau tiède jusqu’à son arrivée. Ce rinçage peut durer une demi-heure, et si c’est une heure, c’est encore mieux », suggère la dermatologue. Si le patient ne peut se déplacer sous la douche, un lavage à l’eau savonneuse avec une bassine est beaucoup plus efficace qu’un peu de sérum physiologique à la seringue. Après le lavage, la peau périphérique est séchée pour éviter un risque de macération.

EMPLOI DES ANTISEPTIQUES

En cas d’infection

Leur usage systématique sur les plaies chroniques est fortement déconseillé. « Les antiseptiques sont délétères à la cicatrisation à cause de leur cytotoxicité envers des éléments cellulaires et peuvent provoquer des résistances bactériennes locales. Ils ont de plus des effets allergisants et irritants. Ils sont préconisés sur des temps courts, quinze jours maximum, pendant une phase critique, face à un problème infectieux local identifié par des signes cliniques, et sur prescription médicale », explique Cécile Peignier, infirmière experte plaies et cicatrisation au CHRU de Montpellier (34). « Après les avoir totalement proscrits, on revient vers un usage adapté des antiseptiques sans qu’il y ait de recommandations établies ni de consensus sur leur bon usage », complète Sylvie Palmier infirmière, également experte plaies et cicatrisation au CHRU de Montpellier. Lorsque les antiseptiques sont utilisés sur une plaie infectée, qu’une antibiothérapie est engagée et que les signes cliniques s’améliorent au bout de huit à dix jours (délai d’action de l’antibiothérapie), l’infirmière peut revenir à des lavages simples à l’eau et au savon.

Par précaution

« Une détersion dans une escarre sacrée malodorante, qui coule, avec un abcès, impose un lavage avec un antiseptique pour éliminer les bactéries sur une large zone avant d’intervenir avec un bistouri pour déterger les tissus. Il y a un risque de déclencher une bactériémie », fait remarquer Sylvie Palmier. L’infection est en même temps signalée au médecin qui décide de l’opportunité d’une antibiothérapie. Certaines infirmières utilisent plus fréquemment les antiseptiques dans les plaies du pied diabétique, plus sujettes à surinfection.

Caractéristiques

Les antiseptiques agissent après un temps de contact défini. Certains sont bactériostatiques et inhibent les bactéries qui ne se multiplient plus. D’autres sont bactéricides et tuent les bactéries. Ces derniers sont plus ou moins tuberculocides (actifs contre les mycobactéries), fongicides (champignons), virucide (virus) ou sporicides (spores de bactéries). Les antiseptiques sont définis par leur spectre d’action, champ dans lequel ils sont actifs. Les antiseptiques à large spectre (chlorexidine, dérivés chlorés, dérivés iodés) sont souvent recommandés par les Clin. « Une nouvelle génération d’antiseptiques composés de polyhexaméthylène biguanide (PHMB) et de bétaïne serait moins délétère pour la cicatrisation tout en ayant une action sur le biofilm. Les études manquent encore pour établir leur efficacité », relève Cécile Peignier.

Attention, l’association de certains antiseptiques avec certains matériels de pansement sont contre-indiqués (eau oxygénée et mousse de polyuréthane). Au cas où ils sont prescrits ensembles, il est nécessaire de bien rincer la plaie après l’asepsie avant de poser le pansement.

LES PANSEMENTS À L’ARGENT

Ils contiennent de l’argent sous forme d’ions Ag+, nanocristaux ou sulfadiazine argentique (pouvoir bactéricide de l’ion Ag+ et action bactériostatique de la sulfadiazine). L’argent est associé à différentes classes de pansements : hydrocellulaires, hydrofibres, interfaces, alginates… Ils sont utilisés, sur prescription médicale (et non infirmière, même s’ils sont encore souvent remboursés par l’Assurance maladie), sur les plaies infectées, dans les mêmes conditions que les antiseptiques, sur une durée limitée à 2 ou 3 semaines. L’argent est un antimicrobien à large spectre, peu toxique en application sur les plaies. La Haute Autorité de santé (HAS) relève toutefois un niveau insuffisant de preuve de leur efficacité, et des bactéries résistantes ont été identifiées.

LES PLAIES MALODORANTES

« L’odeur n’est pas toujours liée à l’infection, précise Sylvie Palmier, par exemple, les hydrocolloïdes laissent un exsudat jaunâtre avec une odeur particulière dans les ulcères de jambe qui peut être confondue avec une surinfection. » Les tissus nécrotiques en décomposition ont aussi une odeur. « La simple odeur de l’exsudat peut gêner selon la localisation de la plaie », remarque l’infirmière. Le charbon contenu dans certains pansements absorbe et fixe les bactéries en neutralisant les odeurs nauséabondes. Les pansements au charbon sont préconisés dans les plaies exsudatives malodorantes, infectées ou pas, en phase de détersion (après détersion des plaques de nécrose). En cas de plaie peu exsudative, un pansement primaire gras est appliqué au contact de la plaie, le pansement au charbon est utilisé en pansement secondaire. Les pansements au charbon sont renouvelés tous les jours dans un premier temps, puis tous les 2 jours.

(1) Les pansements des plaies, collection “Les Guides de Pharmathèmes”, édition Communication Santé, 2008.

(2) “Prise en charge de l’infection des plaies”, European Wound Management Association (EWMA), Medical Education Partnership LTD, 2006.

Technique de prélèvement par écouvillonnage

Une erreur fréquente consiste à frotter l’écouvillon directement sur la plaie et recueillir les bactéries dans l’exsudat plutôt que sur le tissu vivant. En pratique, il convient de :

→ laver la plaie à l’eau et enlever les souillures ;

→ si présence de nécrose sèche : enlever la nécrose avant de prélever ;

→ si plaie sèche : humidifier stérilement l’écouvillon au sérum physiologique ;

→ frotter l’écouvillon sur le lit de la plaie ;

→ repositionner stérilement l’écouvillon dans son étui.

D’après Mémo plaies et cicatrisation, I. Fromentin et H. Charitansky, éditions Lamarre, 2007.

Notions de biofilm

Les biofilms sont composés de bactéries et de champignons englobés dans une matrice fine, visqueuse et brillante (invisible à l’œil nu). Leur développement serait favorisé par une ischémie ou une nécrose des tissus, une malnutrition et une altération de la fonction immunitaire. Des biofilms seraient présents sur la quasi-totalité des plaies chroniques, au moins sur une partie du lit de la plaie. Ils retarderaient la cicatrisation en stimulant l’inflammation, la production d’exsudat et le développement de tissu fibrineux.

Prise en charge

La matrice, synthétisée par les micro-organismes du biofilm, les protège contre les anticorps, antibiotiques, désinfectants et contre les cellules inflammatoires ­phagocytaires. Comme un biofilm est susceptible de se régénérer en quelques jours, il est préconisé de procéder à un débridement et un nettoyage réguliers de la plaie. Si aucune amélioration de la plaie n’est observée (réduction de la production d’exsudat et de nécrose humide), il est impératif d’envisager l’orientation vers un spécialiste pour un débridement plus intensif.

D’après “Biofilms Made Easy”, Wounds International, 2010.