Sans peur et plein d’humour - L'Infirmière Libérale Magazine n° 290 du 01/03/2013 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Libérale Magazine n° 290 du 01/03/2013

 

ALLIER (03)

Initiatives

Infirmier libéral à Vichy, Deodat Nemeth pratique le soin avec humour durant sa tournée. Également amoureux de la nature, c’est un sportif aimant l’urgence qui a déjà roulé sa bosse à travers de nombreuses missions à l’étranger.

Leur petite maison se love dans un quartier proche du centre hospitalier de Vichy. Deodat Nemeth, infirmier libéral, a suivi dans l’Allier sa femme, infirmière en long séjour. Timéo, leur adorable petit gars aux yeux bleus, est né il y a deux ans. Dans ce rôle de jeune père, Deodat Nemeth rêve tout haut : « Plus tard, j’emmènerai Chouchou faire du quad. J’ai arrêté de barouder pour mon fils, mais cela ne m’empêche pas d’avoir toujours des projets en tête… »

Des patients complices

Mais voici pour lui l’heure d’entamer sa tournée, revêtu d’une « tenue professionnelle » verte : un signe auquel il tient, « à la fois pour l’hygiène et pour être reconnu ». Premier arrêt chez une vieille dame pour un pansement de plaie sur un pied diabétique, et premières plaisanteries : « Il fait exprès de me faire mal », se plaint d’un air faussement scandalisé la patiente à sa fille. Réponse du tac au tac de Deodat : « C’est le seul plaisir que nous avons ! » La vieille dame conclut dans un franc sourire : « Il m’appelle “l’emmerdeuse” : il n’y a que lui qui a ce droit. Et cela dure depuis deux ans déjà… »

Deuxième arrêt chez Simone et Andrée : « Laissez passer ! », leur intime sans ménagement l’infirmier libéral. « Qu’il est pénible, ce monsieur, rétorquent les deux sœurs, complices. Vous ne pourriez pas laisser mourir les gens tranquilles ? » Et Deodat de répliquer : « Vous en avez de bonnes ! Dans ce cas, comment je ferais pour nourrir mon Chouchou ? »

Mais le grand jeu, Deodat le réserve à Cathy et à sa maman : une fois la dialyse péritonéale soigneusement installée, Deodat aime entamer une belle série de grimaces, parfois paré d’un accessoire, un chapeau qui traîne par exemple dans la chambre… « Niveau technique, on a pleinement confiance en lui, commente Cathy. Alors, ce côté humain en plus, c’est bien. Il est capable de dire des bêtises, même sous un masque. » Depuis notre reportage, la maman de Cathy est décédée, et Deodat a reçu ce SMS touchant de Cathy : « Deo, merci pour maman de votre gentillesse et humour, qui l’ont bien aidée. »

Un “clown” respectueux

Si les associations de clowns à l’hôpital sont bien connues, Deodat Nemeth semble avoir adapté sa propre version à domicile. « Certes, je suis là avant tout pour donner un soin, explique-t-il. Mais pourquoi ne pas jouer aussi du registre comique ou faux bourru si on le peut ? Évidemment, je n’ai ce comportement qu’avec ceux qui apprécient les boutades. Et je sais rester grave quand il le faut. » Mais comment parvient-il si bien à mettre en scène ces simples mots ou ces petits gestes, comme le fameux baisemain, qui surprennent et font rire au quotidien ? « J’ai développé ce côté théâtral en fréquentant dès ma jeunesse l’Amicale Robert-Houdin à Angers puis une autre association à Grenoble, où j’ai rencontré deux parrains de magie. La magie est un art dont les secrets sont impossibles à apprendre seul, ne serait-ce que parce que les livres comportent beaucoup d’abréviations. Par exemple, mettre la carte en “MD” signifie mettre la carte en main droite. » D’ici quelque temps, il s’imagine volontiers en train de faire disparaître un foulard devant « les yeux grands comme des soucoupes » de Timéo ! Spécialisé en “close up” (magie rapprochée), au contact des gens, il a assurément plus d’un tour dans son sac…

L’attrait de la mer…

Même sous l’eau, l’humour ne quitte par l’infirmier. Pour preuve, ce cliché (7), où il fait passer un baptême de plongée avec un nez rouge : « J’étais alors infirmier responsable de l’hygiène et de la sécurité au Club Med, aux Bahamas. Là, j’ai profité de mes jours de repos pour accompagner les clients qui plongeaient. » Une discipline qu’il a ensuite perfectionnée auprès d’un moniteur québécois. Car, dans le sport comme dans la vie, Deodat cultive l’esprit de liberté. « J’aime pouvoir plonger sans moniteur, seul ou avec des amis, quand je veux, où je veux. Pour être également autonome en jet-ski, j’ai dû passer deux permis bateau, en eaux intérieures et sur mer. Quand j’ai un rêve, j’essaie de le réaliser, à plus ou moins long terme. » Des rêves tirés de ses rencontres, de ses lectures, ou même de simples images ! C’est en effet une scène des Bronzés 3, filmée d’hélicoptère, que lui a donné envie de pratiquer le jet-ski : « C’était tellement magnifique de les voir évoluer sur cette mer bleue ! » Une saveur qu’il a testée durant l’été, au Lavandou dans le Var, et à Vichy sur le lac d’Allier. Avec une pointe allant jusqu’à 110 km/heure dans les zones autorisées ! « En jet-ski, explique-t-il, y compris pour se diriger, on est toujours en petite accélération, contrairement aux autres sports mécaniques où l’on freine. L’avantage par rapport à la moto, c’est que c’est moins dangereux. On peut tomber dans l’eau sans se tuer, avec au pire une luxation d’épaule. »

… et de l’univers marin

Enfin, l’univers marin le séduit également par toutes ses belles rencontres animales. « En plongée, j’adore observer les poissons. J’ai ainsi passé trois quarts d’heure en compagnie d’un énorme mérou. » Outre la beauté des raies mantas et des baleines qu’il a pu côtoyer en kayak, l’infirmier avoue son faible pour les requins : « En Afrique du Sud, j’ai plongé enfermé dans une cage pour observer un grand blanc. Je milite avec National Geographic pour les sauver. Sur quelque 350 espèces de requins, seules une dizaine d’entre elles sont potentiellement dangereuses pour l’homme. Si j’avais eu les moyens intellectuels et financiers, j’aurais aimé les étudier d’un point de vue scientifique, en devenant océanographe. »

La mécanique humaine

Toutes les activités qu’il pratique sont également une revanche sur la vie, pour lui qui est issu d’un milieu relativement modeste. C’est sa curiosité pour la “mécanique humaine” qui l’a poussé vers le métier d’infirmier. En 1996, il sort diplômé de l’Ifsi de Bourgoin-Jallieu en Isère avec un mémoire consacré à l’historique de l’aide médicale urgente, de l’antiquité à nos jours. Pas étonnant qu’il passe ensuite de la théorie à la pratique ! D’abord via des actions humanitaires, en effectuant des suivis médicaux dans divers dispensaires (au Venezuela, Togo, Honduras et en Mauritanie). Devenu infirmier au Samu de Grenoble (entre juin 2001 et novembre 2005), il est également officier infirmier sapeur-pompier (de 2006 à 2010). Enfin, jusqu’en janvier 2011, il répond régulièrement à la demande de prestataires de services qui le missionnent pour assurer l’hygiène et la santé au quotidien du personnel de grands groupes. C’est ainsi qu’il travaille successivement sur une plateforme pétrolière au Bénin, à bord d’un navire en Mer du Nord, sur un barrage d’Alstom au Soudan… Se sent-il infirmier baroudeur ? Forcément un peu ! « Mon diplôme d’infirmier, je l’ai déjà usé. Chez moi, l’urgence, c’est un peu comme une seconde nature. »

Avec son franc-parler, qui ne lui vaut d’ailleurs pas que des amis, que pense-t-il aujourd’hui de son exercice en libéral ?

Coups de gueule et de cœur

Cartons rouges « à certains médecins, qui continuent d’écrire de manière illisible. L’erreur médicale peut commencer par là ». Concernant la facturation dégressive des soins, « elle pousse des professionnels à abandonner les toilettes ou même à frauder. Ma solution serait de payer les infirmiers libéraux selon une moyenne établie nationalement. Fini les déclarations pour nous et les relectures de la Sécu… ». Mais tout le monde ne travaille pas sur le même rythme ? « Parlons-en, du rythme, justement. Certains collègues n’exagèrent-ils pas quand ils voient jusqu’à quarante clients par matin ? En libéral, il y a très peu de contrôle. On manque aussi parfois de repères, contrairement à l’hôpital où l’on est noté. Et puis, pourquoi se fréquente-t-on si peu entre libéraux ? Moi, par exemple, j’aimerais que l’on réfléchisse ensemble à l’amélioration des pratiques. À quand aussi une charte du patient à domicile ? » Ses envies de progresser en équipe prennent actuellement forme via la constitution du pôle de santé Carnot, au sein d’un immeuble de Vichy, où travaillent déjà plusieurs infirmiers libéraux, un ostéopathe et un professeur de Qi Gong. « Je recherche encore d’autres candidats, parmi les professions médicales, paramédicales ou bien-être. »* Un chantier en cours, sur lequel il travaille d’arrache-pied, comme à son habitude.

* Si son projet vous intéresse, vous pouvez lui écrire à : deonemeth@yahoo.fr